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Section 3 : Quels outils ou méthodes pour une aide à la concertation ?

3.3 Les outils de la « modélisation d’accompagnement »

Bien que la modélisation d’accompagnement défendue par le collectif ComMod (Cf. P1, Chapitre 3, § 3.5) corresponde avant tout à une posture spécifique et à l’entretien d’un rapport particulier entre chercheurs, acteurs locaux et terrain, dans ses expérimentations ce collectif s’appuie essentiellement sur deux outils autour desquels il se fédère : le Jeu de Rôle (JdR) et la Simulation Multi-Agents ou Système Multi-Agents (SMA), présentés comme des outils d’aide à la réflexion collective. Notre propre positionnement (que ce soit en termes de recherche ou d’actions sur le terrain) étant en adéquation avec la posture ComMod (Cf. P1, Chapitre 3, § 3.5), il est important de définir précisément ce que sont ces outils pour une modélisation

68 Il s’agit ici de ce que le sociologue Max Weber appelait « idéal-type » à savoir une conception, une idée construite comme une représentation d’un phénomène social (ici la concertation) que l’on cherche à étudier, et en comparaison de laquelle le réel, ou plutôt les fruits de l’observation vraie pourront être discutés. En ce sens, l’idéal-type n’existe pas, mais il n’est pas pour autant totalement détaché du monde, c’est un repère au sens mathématique au sein duquel il est possible de décrire un phénomène observé en fonction de caractéristiques assimilables aux axes du dit repère. Dans le cadre de ce travail de recherche, « l’idéal-type de la concertation » est défini selon les principes fondamentaux que nous avons exposés : la garantie d’une participation effective de toutes les parties détentrices d’enjeux et d’intérêts pertinentes, l’expression et la prise en compte vraie de l’ensemble des points de vue exprimés (en partie fondée sur la réduction des inégalités de participation).

d’accompagnement, ainsi que les limites de leurs champs d’intervention au sein d’un processus cognitif collectif visant à la gestion d’une ressource renouvelable. Ceci doit en effet nous permettre d’affiner encore notre questionnement de l’outil vidéo participatif en fonction de ses propres avantages et inconvénients, mais aussi en fonction de ses apports potentiels vis-à-vis des outils existants.

3.3.1 Les Jeux de Rôles

Le jeu de Rôle, dérivé du sociodrame développé par J.L. Moreno69 dans la première moitié du XXième siècle, est aujourd’hui une technique classique d’analyse et de travail sur les interactions interpersonnelles, reprise notamment pour l’appui à la gestion locale de territoires (L. Mermet, 1993, V. Piveteau 1994). Dans le cadre de la modélisation d’accompagnement cette technique consiste, à l’aide de différents supports (cartes, monnaie, autres), à mettre en scène les parties prenantes dans une représentation artificielle et dynamique de la situation complexe de gestion dans laquelle ils sont réellement impliqués. Chaque participant est ainsi amené à prendre des décisions d’action, répétées dans le temps, en fonction du rôle qui lui est assigné, des contraintes qui lui sont imposées, et des interactions avec son environnement physique et social (Collectif ComMod, 2007). L’élaboration, sur la base des représentations des différents acteurs (chercheurs compris)70, de règles d’évolution du milieu artificiel selon les « dynamiques naturelles » et les comportements adoptés individuellement et collectivement par les joueurs, permet de mettre en mouvement cette modélisation de la situation. Au sein du jeu chaque décision prise est soumise à l’appréciation du groupe, en cours de jeu ou a

posteriori lors de phases de débriefing où joueurs et animateurs décortiquent ensemble ce qui

s’est passé pendant la simulation. Ceci conduit donc, par le dialogue, à préciser progressivement les points de vue de chacun, discuter le lien entre le modèle joué et la réalité, pour construire et affiner une représentation commune de la situation et éventuellement revenir sur le fonctionnement du JdR. L’hypothèse sous-jacente de cette approche est que les « acteurs jouent selon leurs connaissances et importent dans le jeu les décisions qu’ils

effectuent dans le monde réel, implicitement ou explicitement » (C. Le Page et al., 2004). Le

JdR donne ainsi accès aux comportements des acteurs placés dans des situations « en marge

de la réalité mais cependant en lien analogique avec elle » (C. Le Page et al., 2004)71. Les situations ainsi simulées se retrouvent dédouanées de tout enjeu opérationnel (et émotionnel ?) immédiat, ce qui permet la prise de distance et la montée en généralité (Collectif ComMod, 2007).

Ainsi le jeu de rôle est utilisé sur le terrain par les membres de ComMod depuis 1999 (Barreteau et al 2001) et 2000 (d'Aquino et al 2002) pour améliorer la connaissance de tous - chercheurs compris - sur la dynamique d’une situation de gestion d’une ressource. Cette connaissance se construit en étant progressivement partagée et confrontée aux simulations des pratiques et des interactions en jeu de façon à être remise en question collectivement72. Favorisant le dialogue et l’explicitation des points de vue et des critères subjectifs de décision propres à chaque acteur, le JdR est également utilisé comme un outil de médiation, susceptible

69 Souvent considéré comme le fondateur de la sociométrie, ce scientifique d’origine hongroise aspirait à trouver les moyens de libérer la spontanéité chez les hommes pour harmoniser leurs rapports. Pour ce faire il développa les techniques du psychodrame (et du sociogramme) dont l’objectif est de mettre en évidence les problèmes du groupe afin de favoriser une catharsis sociale.

70 Le jeu de rôle initial peut en effet soit être élaboré par l’animateur (ou l’expert) sur la seule base de ses connaissances de la situation, de ses dynamiques, et de sa compréhension des motivations des diverses parties prenantes, soit être élaboré collectivement et progressivement directement avec les futurs joueurs. Ce deuxième cas correspond au principe « d’autoconception » expérimenté et défendu notamment par Patrick D’Aquino dans divers travaux (I. Touré et al., 2004).

71 Voir également à ce sujet la thèse de William’s Daré, Comportements des acteurs dans le jeu et dans la réalité : indépendance ou correspondance ? Analyse sociologique de l’utilisation de jeux de rôles en aide à la concertation, Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et Forêts, 2005.

72 Rappelons que le recours au JdR se structure selon un processus « évolutif, itératif et continu » (Collectif ComMod, 2003).

d’appuyer les processus cognitifs collectifs. Mais peut-il être réellement considéré comme un outil de structuration de la concertation ? S’il favorise très certainement la participation, l’expression et à un certain degré73 la prise en compte des points de vue des différents participants, il s’agit malgré tout d’un dispositif assez lourd à mettre en place. En effet il n’est pas toujours simple de réunir en même temps et pour plusieurs phases de jeu l’ensemble des parties prenantes. Lorsque des acteurs non encore impliqués sont identifiés comme importants dans le système, il n’est pas non plus aisé de les rattacher a posteriori au processus collectif déjà engagé. En ce sens le jeu de rôle constitue un outil relativement « fermé »74, dont les résultats sont difficilement discutables avec des personnes n’ayant pu prendre part directement aux phases de jeu. Par ailleurs lors des échanges en cours de jeu, il n’est pas évident que les joueurs s’investissent tous de la même façon. Chaque joueur dispose en effet de ses propres qualités oratoires et d’argumentation, et de sa propre capacité d’initiatives.

Ainsi, même si le jeu favorise la participation, l’investissement équilibré de l’ensemble de participants (c’est-à-dire en termes stratégiques le nivellement des jeux de pouvoir) repose pour l’essentiel sur la qualité de l’animation de la séance de jeu75. Il nous semble donc difficile pour un jeu de rôle de structurer réellement une dynamique de concertation dans toutes ses dimensions, selon les principes que nous avons déjà définis. En revanche il nous semble que cet outil peut soutenir de façon efficace, mais ponctuelle, un processus de concertation déjà enclenché, et donc au moins en partie structuré. Le JdR ne guide pas la concertation, il la suit ponctuellement, et la soutient. « L’objectif n’est pas ici de construire un jeu technologiquement

cohérent, mais de faire formaliser graduellement, au fur et à mesure des besoins de concertation et uniquement en fonction de cela, les éléments qui semblent nécessaires aux acteurs pour progresser dans leur prise de décision » (D’Aquino et al., 2002). En revanche c’est

un outil puissant pour produire collectivement une connaissance partagée d’une situation et permettre à chaque participant de revoir la pertinence de son propre positionnement à la lumière de celui des autres et de leurs conséquences sur la dynamique du milieu.

3.3.2 Les Systèmes Multi-Agents

« La théorie des univers multi-agents (Ferber, 1994) est une théorie informatique qui vise

à appréhender la coordination de processus autonomes en concurrence » (F. Bousquet et

al., 1996) Un univers multi-agents se caractérise par la cohabitation de plusieurs « agents », interagissant entre eux et agissant sur des ressources extérieures dont ils influencent la dynamique d’évolution, selon des stratégies qui leurs sont propres. Un « agent » se définit comme « un système informatique situé dans un environnement et capable d’actions

autonomes dans le but d’atteindre ses objectifs » (Wooldridge, 1999, cité par D. Bazile). Cela

signifie qu’un agent peut très bien représenter un individu, un collectif, ou encore une ressource76.

L’utilisation de la simulation multi-agents issue du domaine de l’intelligence artificielle distribuée est particulièrement pertinente pour la modélisation des interactions entre dynamiques sociales et dynamiques biologiques, comme c’est le cas notamment dans les situations de gestion des ressources naturelles (F. Bousquet et al., 2004). Elle permet en particulier de « simuler les changements de règles de gestion et de mieux comprendre les

73 La mise au point de méthodes permettant l’évaluation de ce degré d’influence des points de vue de chaque acteur sur les conceptions des autres, et de ses variations liées à l’utilisation du JdR, constitue une voie de recherche intéressante qui reste à explorer.

74 Voir à ce sujet la notion de « rallongement » proposée par la sociologie de la traduction (Cf. P1, Chapitre 3, § 2.1).

75 Notons enfin que l’efficacité et la jouabilité d’un jeu de rôle sont très dépendantes du nombre de joueurs mobilisés. Plus ce nombre est élevé plus il est difficile d’assurer la fluidité du déroulement du jeu, et plus le rôle de l’animateur est important pour permettre à tous de participer. Néanmoins dans certains cas la seule présence dans la salle où se déroule le jeu de rôle peut permettre à quelqu’un de s’en approprier les principaux résultats.

76 Dans le cas d’une ressource il n’y a évidemment aucune stratégie ni communication d’aucune sorte avec d’autres agents. En revanche, l’évolution de cet agent-ressource dépend de ses interactions avec les autres agents.

effets superposés des stratégies individuelles et des règles collectives » sur les dynamiques

naturelles (D. Bazile et al., 2005). Conformément à la posture de la modélisation d’accompagnement (Cf. P1, Chapitre 3, § 3.5) qui postule l’imprédictibilité de l’évolution des systèmes complexes (tels que les systèmes écologiques et sociaux), le recours à la simulation multi-agent ne prétend pas « prédire les futurs possibles, ni donner des éléments sûrs

d’impacts de quelque action que ce soit […], mais permettre aux acteurs locaux de progresser dans une représentation commune de plus en plus subtile de leur problématique, donc d’avancer ensemble vers des actions de plus en plus pertinentes » (D’Aquino et al., 2002).

L’objectif de la simulation est de permettre à chacune des parties prenantes de mieux comprendre l’impact de ses propres actions, comme celles des autres, sur l’évolution globale du système, et de proposer un support dynamique et interactif à l’élaboration de nouvelles règles collectives de gestion.

De la même façon que les JdR, les SMA sont donc des outils permettant de produire une connaissance partagée (en co-élaborant le modèle et en discutant les résultats des simulations) et éventuellement d’aider à la décision. Le principal intérêt du SMA vis-à-vis du JdR, réside dans la possibilité de faire facilement « tourner le modèle », donc de tester un plus grand nombre de comportements sur des échelles de temps plus longues. De plus son aspect visuel peut en faire potentiellement un bon support de représentation de l’information, susceptible de jouer un rôle pédagogique, de sensibilisation (M. Etienne et C. le Page, 2002).

En revanche, il n’est pas toujours simple pour les participants de se familiariser avec les logiciels informatiques, qui pour beaucoup constituent des boîtes noires dont il faut se méfier. Ceci suppose donc que les utilisateurs puissent participer à l’élaboration du modèle informatique, du moins en définissent les principales règles d’interactions entre agents, ainsi que l’état initial du système global, afin de limiter ce travers. Ceci n’étant pas toujours évident à mettre en place directement à partir de l’interface informatique, les chercheurs du collectif ComMod ont à différentes reprises choisi de combiner JdR et SMA, selon diverses méthodes (par exemple l’autoconception). Le JdR y est utilisé comme cadre pour stimuler des échanges, soit afin de définir collectivement les règles de fonctionnement du système global et les comportements individuels et collectifs envisageables77, soit pour faciliter l’explication de ces règles définies en amont par les chercheurs et les confronter aux points de vues des acteurs.

En favorisant l’émergence de comportements innovants au cours des simulations (JdR) et en stimulant l’imagination des joueurs dans l’élaboration de stratégies de gestion (SMA), ces approches constituent de puissants outils d’aide à la réflexion et à la décision. Ils offrent de plus l’opportunité à chacun de mieux connaître les activités et les contraintes de l’autre, et en ce sens facilitent un aspect crucial de toute dynamique de concertation : le partage des représentations et des logiques d’acteurs (M. Etienne et C. le Page, 2002). Par ailleurs en proposant une analyse collective des effets potentiels des décisions d’action (individuelles et collectives) sur la dynamique du système, le recours au SMA favorise également la prise en compte réelle de la diversité des points de vue. Mais tout comme nous l’avons vu pour les JdR, l’utilisation du SMA pour structurer de manière efficace un processus de concertation impliquerait que toutes les parties prenantes puissent être simultanément impliquées dès le départ, et que l’équilibre entre participants au sein des échanges soit assuré par l’animateur, ce qui peut parfois poser problème.

77 Selon [P. d’Aquino et al., 2002] « les tests réalisés montrent que trois jours ont suffi pour obtenir l’apprentissage recherché, depuis la maîtrise de la carte papier jusqu’à la simulation croisant SMA et SIG. Le faible niveau d’instruction des participants (taux d’analphabétisme très important) n’a pas constitué un obstacle à l’usage de telles simulations informatiques. Grâce à la phase de conception et au test du jeu qui a suivi, ils sont devenus tout à fait capables d’interpréter les résultats des modèles et ont parfaitement intégré la distance entre les modèles et la réalité ».

3.4 Face aux caractéristiques des outils existants, quelle

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