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Préalable théorique : l’interactionnisme symbolique et l’ethnométhodologie, cadres de référence paradigmatiques

conscient de son implication dans le système d’acteurs et des limites de sa légitimité d’intervention

3.1 Préalable théorique : l’interactionnisme symbolique et l’ethnométhodologie, cadres de référence paradigmatiques

3.1 Préalable théorique : l’interactionnisme symbolique et

l’ethnométhodologie, cadres de référence paradigmatiques

et courants sociologiques

3.1.1 Principes fondamentaux de l’interactionnisme symbolique

Selon l’approche développée avant les années 30 par le psychologue social Georges Herbert Mead, quel que soit l’individu considéré (l’acteur comme l’analyste), l’accès cognitif au sens des phénomènes résulte d’une interprétation personnelle. Or le cadre interprétatif qui permet cette intériorisation du phénomène provient fondamentalement des interactions entre individus (De Quieroz J. M. et Ziolkovski M., 1994, Delas J.-P. et Milly B., 1997). Ainsi, l'interaction symbolique (communication verbale et non verbale) entre les individus détermine le sens que ces derniers accordent au monde et à leurs propres états mentaux : la

construction de l’identité personnelle mais également de l’identité sociale dépendent fondamentalement de la relation à autrui.

Herbert George Blumer, élève et successeur de Mead, énonce après sa mort les trois principes fondamentaux de l’interactionnisme symbolique, qui tournent autour de la notion de

sens : «

Les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens interprétatif que ces

choses ont pour eux.

Ce sens est dérivé ou provient des interactions que chacun a avec autrui.

C’est dans un processus d’interprétation mis en œuvre par chacun dans le traitement des objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié. »

(De Quieroz J. M., Ziolkovski M., 1994) L’action se fonde donc sur le sens propre que chaque individu se crée pour une situation donnée. Ce sens évolue avec l’individu et ses interactions, et la signification des objets et des actes est donc sans cesse transformée.

Cette approche est fondée sur un postulat constructiviste. Alors que des paradigmes se focalisent sur le sujet (le subjectivisme, le culturalisme – très en vogue à l’époque -, l’individualisme, la psychosociologie) quand d’autres ont pour maître mot l’objet et ses dérivés qui existent en dehors du sujet pensant (objectivisme, naturalisme, structuralisme, et surtout à l’époque fonctionnalisme) l’interactionnisme remet ces deux pôles disjoints en relation, sur le même plan, et insiste sur le processus de construction du réel que réalise chaque sujet confronté à un objet. « La méthode de construction »132 est donc l’interaction objet x sujet, qui est elle-même influencée par les interactions interpersonnelles (Kenaïssi A., 2000). Chaque individu construit ses représentations.

3.1.2 Quelques apports concrets et théoriques du courant

Le « cadre meadien » est intégré à l’école de Chicago et développé dans un premier temps (années 30-40) par des chercheurs tels que H. Blumer ou Everett C. Hughes qui y ajoutent des techniques d’observation directe in situ pour développer une micro sociologie interactionniste, puis par une seconde génération de sociologues (années 50-60), notamment Erving Goffman ou Anselm Strauss. Cette sociologie opposée aux paradigmes dominants de l’époque est polémique.133 En terme de recherche, la production des interactionnistes s’est révélée riche et abondante, renouvelant le regard porté par les sociologues sur de nombreuses questions de société telles que les politiques urbaines (Mc Kenzie, The City, 1925), les problèmes au travail (Hughes, Men and their work, 1958), l’immigration, les relations interethniques et les tensions raciales, ou encore la marginalité et la criminalité (Becker,

Outsiders, 1963 ou Goffman, Asiles, 1961, Stigmates, 1963, tous deux instigateurs de la

« sociologie de la déviance » et des théories de l’étiquetage social134).

Au plan théorique, le principal apport est ce principe selon lequel les faits sociaux ne s’expliquent ni par des caractéristiques propres aux individus (hommes et femmes, noir et blanc, handicapé et valide, etc.) ni par des structures sociales déterminantes, qui s’imposeraient de l’extérieur aux individus et impliqueraient des comportements prédéfinis. Ces faits sont des construits qui naissent sur la base d’interactions sociales, et ils prennent forme dans des rapports et par des échanges interindividuels, concrets et quotidiens, en fonction du sens que les individus donnent aux situations telles qu’ils les vivent. Donc ce qui compte

désormais pour le sociologue n’est pas d’observer les situations sociales comme des choses, mais de comprendre l’interprétation ou la représentation — « la prédiction

créatrice135 » — par laquelle les acteurs « définissent la situation », c'est-à-dire le sens

132 PIAJET J. (dir.), Logique et connaissance scientifique, Encyclopédie de la pléiade, Gallimard, Paris, 1967

133 L’approche pragmatique colle néanmoins très bien avec la sociologie empirique de l’école de Chicago, dont les penchants pratiques et parfois peu académiques sont à relier au chaos social que connaît la ville au début du siècle dernier, et donc au besoin d’une sociologie « concrète » et « efficace » pour s’attaquer à ces problèmes.

134 La lecture de textes issue de ces ouvrages permet facilement de comprendre comment les interactionnistes symboliques replacent justement l’interaction interpersonnelle au centre de leurs explications de phénomènes concrets.

qu’elle revêt à leurs yeux (Kenaïssi A., 2000). Husserl (qui a inspiré l’ethnométhodologie, cf.

infra) considérait que le monde est une donnée objective qui s'impose de la même manière, avec sa structure et son histoire, aux individus qui doivent composer avec, l’intérioriser et l’interpréter à leur manière.

Cette théorie rejoint sur de nombreux points la « sociologie compréhensive » de Max Weber. En effet, bien que l’auteur définisse la sociologie comme « une science qui se propose

de comprendre par interprétation l'action sociale et par là d'expliquer causalement son déroulement et ses effets. »136, cette sociologie doit être compréhensive puisqu’elle doit rechercher le sens et les motifs des actions137 (traditionnelles, affectuelles, rationnelles en valeur ou en finalité). L’apport de l’interactionnisme symbolique est essentiellement le refus de l’interprétation par l’analyste en lieu et place des individus.

3.1.3 L’ethnométhodologie : le langage comme miroir des individus

Nous aborderons rapidement quelques fondements de l’ethnométhodologie, parce qu’elle se construit comme un prolongement de l’interactionnisme symbolique, et qu’en termes méthodologiques elle fournit des éléments pour réfléchir à l’analyse des conversations.

L’éthnométhodologie se fonde notamment sur les nombreux travaux d’Alfred Schütz138, dans lesquels l’auteur considère l’intercompréhension entre individus comme un

mécanisme de construction de la réalité sociale. Cette idée, qui réunit en quelque sorte

les interrelations avec les interprétations et les représentations individuelles, repose sur celle de l’existence d’un stock commun de connaissances disponibles, comprises – ou plutôt compréhensibles - par tous.

Harold Garfinkel reprend l’idée pour fonder le courant ethnométhodologique. Le concept naît d’une étude menée sur les délibérations de jurés aux Etats-Unis, au cours de laquelle Garfinkel découvre à des citoyens lambda, soucieux d’accomplir leur rôle correctement, une surprenante capacité à constituer ensemble une méthode d’analyse judiciaire des faits et des arguments, sans formation juridique mais uniquement en mobilisant une logique de sens commun, sorte de savoir global de la société139. Ainsi, puisque les membres puisent dans un

pool partagé de ressources, la frontière entre le savoir du spécialiste et celui du profane

disparaît : les individus utilisent pour construire leur monde social des savoir-faire,

des règles et des raisonnements sociologiques dont le sociologue n’a pas le monopole de la connaissance, même si ce dernier la théorise et participe à la rendre consciente dans la

société. « Les activités par lesquelles les membres organisent et gèrent les situations de leur

vie courante sont identiques aux procédures utilisées pour rendre ces situations descriptibles »

(Garfinkel H., 1967). Dire une chose et la faire sont deux actions très proches, décrire sa relation avec quelqu’un c’est déjà l’instituer ou la modifier, et c’est donc grâce au principe de

réflexivité du langage (le lien que l’on peut établir entre une expression, la personne qui

l’emploie et son contexte) que l’on peut accéder aux conceptions des individus, avec des mots qui jouent dès lors le rôle de miroirs des personnes. C’est d’ailleurs la maîtrise d’un langage commun qui définit les « membres », terme que Garfinkel préfère aux « acteurs » ou aux « individus ». Et c’est ce principe de réflexivité, associé à celui d’indéxicalité (l’importance du contexte pour les sous–entendus et les insinuations locales qui se cachent derrière des mots

136 Définition issue du premier chapitre d’Economie et société

137 Weber précise dans économie et société « nous entendrons par « action » un comportement humain quand et pour autant que l'agent lui communique un sens subjectif », il ne s’intéresse donc qu’aux comportements qui sont le produit d'un sens subjectif, et qui plus est dont le sens est dirigé vers autrui (actions purement sociales).

138 Pionnier de la sociologie phénoménologique, développée dans la première moitié du XXème siècle. Voir The phenomenology of social world, 1967

139 « Ils étaient soucieux de la justesse de leurs descriptions, de leurs explications et de leurs arguments […] Ils mettaient en œuvre une méthodologie…, mais comment appeler ce truc… ? […] C’est ainsi que le mot ethnométhodologie a été utilisé au départ. Ethno suggérait d’une manière ou d’une autre qu’un membre dispose du savoir de sens commun de sa société en tant que " savoir de quoi que ce soit ". S’il s’agissait d’ethnobotanique, on avait à faire, d’une manière ou d’une autre, à la connaissance et à la compréhension qu’ont les membres de ce qui, pour eux, constituent des méthodes adéquates pour traiter des choses botaniques. C’est aussi simple que cela, et la notion d’ethnométhodologie ou le terme ethnométhodologie étaient pris dans ce sens. » (citation de Garfinkel extraite de Coulon A., 1992, L’Ethnométhodologie, Que sais-je ?, PUF)

comme « et caetera », « ici » ou « eux ») qui expliquent l’insistance des ethnométhodologues sur le langage ainsi que le développement de courants comme celui de l’analyse de conversations.

Outre le fait que cette posture pose des problèmes si l’analyste est confronté à une langue étrangère (considération très pratique mais cruciale à nos yeux), les sociologues qui ont critiqué les positionnements de l’ethnométhodologie sont légion. Trop forte importance accordée à l’individu aux dépens des structures et contraintes environnementales, réduction du fonctionnement social aux interactions, et donc pour les ethnométhodologues au langage… un linguisme souvent jugé naïf. Ajoutons que dans ces approches l’importance et la valeur des silences semblent difficiles à décrypter et prendre en compte alors qu’ils sont des constituants fondamentaux de la personne (certains silences sont gênés, d’autres volontaires, d’autres culturels, etc.). Citons I. Illich : « pour comprendre un être, il est plus important d’être attentif à ses silences qu’à ses mots » (I. Illich, 1972)

3.2 Une approche méthodologique qui lie intimement le

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