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LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT

Niveau 2 : Quantité d’instruction par élève

IV- 3- Les types d’interactions

L’étude de 1994 portait sur « six visées » : « l’information (le contenu), l’évaluation (vérification, contrôle), l’organisation (les situations d’apprentissage), la stimulation des apprenants (sollicitations, interrogations…), la régulation (évaluation formative), la gestion de la classe et du climat (ambiance) » (Altet & al., 1994, pp. 74-75). Ces six fonctions ont été regroupées en « trois types d’interactions » pour l’étude de 1996 (Altet & al., pp. 39-40) :

- « Les interactions centrées sur le contenu »,

- « Les interactions centrées sur l’apprenant » (la stimulation et les sollicitations), - « Les interactions centrées sur les conditions d’apprentissage » (dont « l’organisation

Altet et al. (1994, p. 92) ont mis en exergue une corrélation entre le type d’interactions du maître et l’activité/passivité des élèves. Les élèves réagissent ainsi différemment aux types d’interactions du maître : ils sont « passifs », ils ont une « réaction active », ou ils ont d’autres réactions : « indifférence, inattention, distraction, absence » (Altet & al., 1994, p. 76).

La « stimulation » entraîne « la participation active » des élèves alors que « l’information » produit davantage de « passivité » de leur part (Altet & al., 1994, p. 92). Ainsi, lorsque le maître est « centré sur le contenu » et qu’il « ignore » les interventions des élèves, ces derniers font montre d’une certaine passivité (Altet & al., 1994, p. II).

Par ailleurs, Altet et al. (1994, p. III) ont également noté une grande variabilité inter-classes s’agissant des incitations au travail (positives versus négatives) : certains maîtres privilégient les « incitations positives » quand d’autres utilisent couramment le « ton du reproche ». On aurait sans doute tort de sous-estimer l’effet de critiques négatives sur la motivation et par voie de conséquence sur l’engagement des élèves :

« Le développement chez les humains est une chose fragile : un rien, un échec momentané, une remarque déplacée peuvent le stopper pour un temps difficile à apprécier. C’est pourquoi il est important que les enseignants créditent leurs élèves d’un pouvoir d’agir. » (Pastré, 2007, p. 91)

Les élèves sont sensibles aux encouragements donnés par l’enseignant. Ils se montrent plus impliqués lorsque ces incitations positives sont données par le maître à bon escient.

Le type d’interactions est aussi « le reflet des choix d’orientation pédagogique (plus centré sur le contenu ou sur l’apprenant, et donc sur une certaine conception de l’apprentissage) » (Altet & al., 1994, p. 98). A travers ces choix, les auteurs ont mis en évidence des profils d’enseignants.

IV-3-1- Profils d’enseignants

Les interactions entre le maître et ses élèves, leur nombre, leur fréquence, leur contenu ou encore la répartition des initiateurs de l’échange sont autant d’indices qui permettent d’inférer l’approche pédagogique dominante au moment de l’observation.

Les deux études (1994 et 1996) font état de deux « profils dominants d’enseignants » : « les uns sont centrés sur un contenu à transmettre, tandis que les autres privilégient l’activité de l’élève-apprenant et les conditions d’apprentissage » (Altet & al., 1996, p. 42). La

« stimulation » et « l’information » dominent dans les interactions maître-élèves. La première est « plus importante en français » quand la seconde prévaut en mathématiques « tout en laissant la place à des interactions de régulation plus fréquentes : ce qui indique des activités menées par l’élève et guidées par l’enseignant » (Altet & al., 1994, p. 78). Notons que selon la discipline enseignée, le type d’interactions diffère. S’il est davantage centré sur les élèves en français et sur le contenu en mathématiques, les élèves restent acteurs de leurs apprentissage en mathématiques.

Le type d’interactions permet d’inférer l’approche pédagogique privilégiée par l’enseignant car est attendu pour chaque approche un type d’interactions. Ainsi dans une approche magistro-centrée, les interactions portent davantage sur les contenus d’enseignement. Selon Perraudeau (2008, p. 154-156), l’interaction dans une approche socioconstructiviste, place l’enseignant comme « tuteur » ou bien comme « médiateur ». Dans le premier cas, la tutelle est exercée comme suit :

« Les six fonctions de la tutelle, identifiées par Bruner (op.cit.) sont : l’enrôlement du sujet dans la tâche (susciter l’intérêt) ; la réduction de la difficulté (supprimer des obstacles) ; le maintien de l’orientation (rappel ou mise en évidence du but) ; la signalisation des caractéristiques (donner une information supplémentaire) ; le contrôle de la frustration (donner une évaluation) ; la démonstration (reprise par l’enseignant de ce que dit l’élève pour produire une exécution). »

L’enseignant médiateur est très proche de l’enseignant tuteur, à la différence qu’« il n’intervient pas avec l’élève dans l’activité engagée : il reste à distance ». Le passage à la

« conceptualisation du savoir ou du faire » se réalise grâce à « l’émergence du savoir-dire ». La verbalisation par les élèves des procédures, des hypothèses, de la validation ou non de ces hypothèses tient ici une place importante. Elle est donc sollicitée et favorisée par l’enseignant, qui restant en retrait, laisse l’opportunité aux élèves d’argumenter, d’échanger entre pairs, etc.

Si deux profils dominants ont été révélés chez des maîtres expérimentés, Vinatier (2007) renchérit et montre via le ou les « registres de fonctionnement » privilégiés par l’enseignant, que ce dernier a un style qui lui est propre.

IV-3-2- La pratique révélatrice d’un style propre à chaque enseignant

Vinatier (2007, pp. 38-44) définit « la notion d’organisateur dans une perspective interactionniste ». D’« un point de vue structurel » d’abord, « l’activité interactionnelle est une activité organisée par des sujets ». Cela implique que l’élève participe aux échanges.

L’enseignant et l’élève sont alors subordonnés à « la gestion de deux registres de l’activité interlocutoire » :

- « La gestion de l’objet des échanges, ce dont il est question, le savoir convoqué par les tâches scolaires, les raisonnements, la finalité poursuivie par l’activité donnée à l’élève. » Cette gestion permet de « lever les malentendus éventuels ».

- « La négociation des places de chacun des sujets (Vinatier, 2002). » Elle consiste à

« s’approprier la situation vécue afin qu’elle devienne un instrument (au sens psychologique) de son développement ».

Selon l’auteure (2007, p. 42), ces échanges se jouent sur « un double niveau de négociation dans les échanges : le pôle résolution et le pôle satisfaction », qui constitue « un invariant des situations de communication ».

D’« un point de vue fonctionnel » ensuite, Vinatier (2007, pp. 43-44) a identifié « trois registres de fonctionnement de l’enseignant » à partir d’une étude comparative débutants/

expérimentés (« débats menées en classe au cycle 3 ») :

« 1. Le registre épistémique concerne la construction du savoir, la dimension apprendre, le qu’est-ce qui s’apprend et comment, la dévolution du problème aux élèves, la question de la pertinence des échanges. »

« 2. Le registre pragmatique concerne la gestion du groupe, le pilotage de la séance, la distribution des tours de parole, la gestion des ajustements interactionnels (M.

Altet). »

« 3. Le registre relationnel concerne la gestion des faces et des rapports de place en fonction du contenu des échanges, la manière dont les personnes s’engagent, s’impliquent ou non, à la première personne […] »

Selon le registre ou les registres priorisés par l’enseignant, il est selon Vinatier (2007, p. 44) possible de définir un style qui lui est propre, le style étant « une traduction fonctionnelle des principes organisateurs de l’activité de l’enseignant ».

Le registre pragmatique a une incidence forte sur les deux autres. Les débutants y sont particulièrement sensibles, c’est le registre qu’ils considèrent le plus urgent de maîtriser (nous y reviendrons dans le chapitre VII, paragraphe I-2). Aussi, nous nous inspirerons des travaux de l’auteure pour constituer nos grilles d’observations.

À un grain plus fin, celui des « types de régulations », Altet (2008) a mis en exergue « un mode de guidage » propre à chaque enseignant. Ainsi, Altet (2008, pp. 51-52) a observé la forme de « guidage » mis en œuvre par un enseignant expérimenté, lors d’un débat (cycle 3),

« plus précisément les types de régulations liées à ses interventions ». Selon Altet (2008, pp.

53-54), la « régulation interactive de l’enseignant » se joue sur plusieurs plans de façon simultanée. Ainsi, lors de cette séance, l’enseignant a mis en place une « régulation sociale », il a ainsi facilité les échanges lors du débat et a joué « un rôle de pilotage des échanges ». La

« régulation didactique » a favorisé les conditions d’un réel débat et enfin « la régulation cognitive concerne la progression des échanges dans la co-construction du savoir scientifique par les élèves et leur conceptualisation ».

Ces différentes régulations « construisent une forme de guidage ouvert qui facilite l’expression des élèves mais aussi la canalise, en servant de « balises » au débat, d’aides pour le faire avancer ». Une forme de guidage « plus contraint » a été observé chez des enseignants débutants (« séance de Lettres 1998, et SVT 2001 ») (Altet, 2008, p. 55).

Pour l’auteure (2007, p. 141, in Altet & al.), « le mode de guidage » traduit la façon dont l’enseignant gère plusieurs variables « par le biais des interactions pour atteindre l’objectif visé », il est en cela « un organisateur fort de la pratique enseignante ; la manière dont l’enseignant guide la dynamique des interactions varie selon chaque enseignant et reflète, selon [les travaux de l’auteure], une certaine stabilité (guidage ouvert ou fermé…) ».

Pour cette même étude (la conduite d’un débat), la notion d’activité a été abordée « dans le courant de recherches ouvert par G. Vergnaud » (Vinatier & Altet, 2008, p. 13). Ainsi, l’observation des séances a été complétée par un entretien entre le chercheur et le praticien,

« un entretien de co-explicitation des savoirs de l’expérience ». L’idée ici est de comprendre

« les principes organisateurs » de l’activité de l’enseignant ainsi que le sens qu’il en donnait.

Un organisateur a ainsi été dégagé : « celui de s’interdire de reprendre et reformuler ce que disent les élèves ». (Vinatier & Altet, 2008, p. 18).

Les enseignants débutants, nous l’avons vu précédemment, ont tendance a fonctionné sur un registre pragmatique, ce qui pourrait expliquer le mode de guidage (plus contraint) privilégié.

Il semble, en outre, qu’un organisateur leur soit propre. Numa-Bocage et al. (2007, p. 135) en ont identifié un, lors de l’observation d’une séance de numération réalisée par une enseignante débutante. Cette dernière avait pour objectif de mettre en œuvre sa séance telle qu’elle l’avait

« Il semble qu’un organisateur puissant de cette conduite de séance puisse être repéré dans l’insistance à ramener sans cesse son déroulement à ce qui était prévu. Les réponses que les élèves délivrent trop tôt ou qui perturbent un déroulement anticipé suscitent des moments critiques qu’il s’agit d’éviter. »

Il semble donc que s’agissant de la gestion des interactions, les enseignants débutants aient des pratiques qui leur soient propres.

Les interactions sont dépendantes de l’approche pédagogique du maître, du ou des registres de fonctionnement qu’il privilégie mais également du statut de l’élève.