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LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT

Niveau 2 : Quantité d’instruction par élève

V- 2- La Distance à la performance attendue (DPA)

La plupart des recherches portant sur les pratiques d’enseignement se centre principalement sur l’enseignant, et ce, quelle que soit l’approche théorique. Ainsi, les didacticiens (didactique professionnelle) « considèrent le plus souvent, un élève épistémique alors que la classe observée est hétérogène », les chercheurs en sciences de l’éducation « sont contraints d’évoquer seulement l’action de l’élève ou l’influence des savoirs » et les ergonomes (ergonomie cognitive) focalisés sur « l’activité enseignante » limite « l’étude de celle de l’élève » (Maurice & Murillo, 2008, p. 68).

Toutefois, Maurice (1996) va être à l’initiative d’une nouvelle approche qui prend en compte chacun des élèves de la classe. À la suite de ses travaux, Murillo (2008) et Maurice & Murillo (2008) vont développer un indicateur : « la Distance à la Performance Attendue » (désormais DPA) centré sur les pratiques d’apprentissage de chaque élève.

V-2-1- Les indicateurs

Leurs recherches portent sur « des séances de lecture (découverte collective de texte) ».

(Maurice & Murillo, 2008, p. 69).

Nous tenons de Vygosky (1997, cité par Maurice & Murillo, 2008, p. 69), que ce que l’élève peut faire avec l’aide de l’adulte se situe dans la zone proximale de développement (ZPD) :

« Cette médiation serait peu utile à un élève qui sait déjà exécuter la tâche proposée, elle serait féconde pour l’élève qui n’est pas trop éloigné des savoirs en jeu, elle risque de devenir inopérante pour un élève trop démuni face à la tâche. »

Selon Clanet (2012, p. 60), il est difficile, pour un chercheur, de mesurer la ZPD de chaque élève, et ce, quand bien même la tâche à réaliser est anticipée et le contenu de la séance planifié car ce contenu « émerge pour partie en situation de classe ». Maurice et Murillo (2008, p. 69) ont donc préféré élaborer un indicateur qui rende compte de l’activité de l’élève en contexte.

La DPA est une mesure individuelle, réalisée pour chaque élève. Cet indicateur permet de mesurer « l’écart entre ce qu’il sait faire et ce qu’il faudrait savoir faire pour effectuer la tâche proposée par l’enseignant ; […] l’écart entre ses performances potentielles et la performance attendue, révélée par l’analyse de la tâche que le maître a choisie ».

L’indicateur DPA permet également d’étudier « à la fois un aspect de l’activité de l’enseignant (ses décisions de choix du niveau de difficulté d’une tâche) et la conséquence de ce choix en fonction du potentiel de chaque élève de la classe ». Certains élèves réussissent en effet quand d’autres échouent. La DPA permet donc de mesurer « l’hétérogénéité didactique de la classe », cette hétérogénéité est due à la diversité des élèves, chaque élève ayant un potentiel différent, mais elle est également créée par l’enseignant qui en choisissant le niveau de difficulté de la tâche maintient, voire exacerbe « ces différences de potentiels » (Maurice &

Murillo, 2008, p. 68-69).

Pour évaluer le niveau de difficulté de la tâche, la DPA a été complétée d’un autre indicateur.

À partir de l’enregistrement vidéo de la séance, les chercheurs effectuent une analyse ergonomique de la tâche (« difficultés spécifiques, savoirs en jeu, prérequis nécessaires, stratégies potentielles, etc. », ils repèrent « les outils de lecteurs nécessaires », puis élaborent des tests afin de mesurer la DPA de chaque élève. (Maurice & Murillo, 2008, pp. 69-70). Ce deuxième indicateur, le « Taux de Réponses Justes (TRJ) » a pour visée « l’évaluation du

« potentiel d’un sujet à qui on a prescrit cette tâche » ». Ces tests « sont proposés aux élèves, en protocole individuel, en dehors du contexte classe », un ou deux jours après la séance observée. A l’inverse de la DPA, le TRJ est une « mesure collective », chaque séance étant associée à un TRJ (Murillo, 2008, p. 5).

Parallèlement, le protocole est complété par des tests standardisés qui sont proposés à l’élève afin de « situer au mieux ses performances, à la fois sur le plan technique et sur le plan compréhension » (Maurice & Murillo, 2008, p. 70).

L’évaluation des apprentissages des élèves réclame par conséquent un protocole particulièrement lourd.

V-2-2- Les résultats

Ces indicateurs montrent donc que l’enseignant choisit le niveau de difficulté d’une tâche en fonction du niveau moyen de sa classe. Ce choix didactique est dépendant de choix

conséquence sur la gestion du groupe classe. Proposer des tâches qui permettent la réussite du plus grand nombre, serait un moyen indirect d’indiquer aux élèves qui échouent, qu’ils peuvent réussir eux aussi mais que pour cela « attention, il faut travailler » (Murillo, 2008, p.

7).

La DPA montre que les enseignants, au fur et à mesure de l’année, adaptent les

« médiations » au niveau des élèves, ces derniers devenant de plus en plus performants. La DPA est de ce point de vue « un indicateur particulièrement pertinent des conditions didactiques de l’apprentissage » (Clanet, 2010, p. 80).

Pour autant, les élèves n’ayant pas tous le même niveau, l’enseignant tente d’ajuster le niveau de difficulté des tâches à « l’ensemble des niveaux des élèves ». Ces savoir-faire « sont des schèmes (Vergnaud, 1985) que les enseignants ont dû construire pour s’adapter aux contraintes des situations rencontrées » (Murillo, 2008, p. 2). Si les tâches sont observables, les schèmes sont inférés.

« La DPA participerait à la modélisation de schèmes professionnels constitués d’anticipations sur l’activité des élèves, de prises d’informations et régulations en cours de séance, etc. Ces schèmes seraient construits en réponse à des obstacles techniques liés à l’enseignement face à un groupe hétérogène. » (Maurice & Murillo, 2008, p. 75)

La médiation et l’étayage de l’enseignant, vis à vis des élèves les plus faibles, justifient l’avancée didactique. Pour autant, « ces procédures d’aide » ont un effet très relatif selon les élèves et contribuent pour certains d’entre eux à « masquer leur exclusion ». Pour ces derniers, l’effet est à très court terme puisqu’ils échouent au TRJ. On imagine dès lors les conséquences sur les élèves les plus éloignés des savoirs en jeu. Les auteurs font référence ici aux effets d’attente (Maurice & Murillo, 2008, pp. 72).

En effet, les enseignants « paraissent contraints de ne pas attendre que tous les élèves aient appris, pour passer à la séance suivante » (Murillo, 2008, p. 4). Par conséquent, bien que les élèves les plus faibles progressent, « l’avancée didactique de la classe les maintient à l’écart » (Maurice & Murillo, 2008, pp. 72).

De fait, les classes sont « plus hétérogènes en fin d’année » ; autrement dit, l’écart se creuse entre les élèves qui progressent et les élèves qui échouent (Maurice & Murillo, 2008, pp. 73) ; De plus, l’augmentation du niveau de difficulté des tâches étant « calée » sur « les élèves moyens qui progressent », l’écart se creuse entre les élèves moyens « qui décrochent » et les élèves faibles (Maurice & Murillo, 2008, pp. 74).

Le choix du support (ici du texte) ne peut convenir à tous les élèves, ce choix « provoque une situation inéquitable », (Maurice & Murillo, 2008, pp. 71). Par conséquent, la difficulté pour l’enseignant est de faire face à un groupe d’élèves hétérogène, Maurice et Murillo (2008, p.

75) parlent d’« obstacle technique ».

Les auteurs (2008, p. 76-77) ont montré que les procédures d’aide n’ont pas toujours l’effet escomptés auprès des élèves trop éloignés des savoirs en jeu. La pédagogie différenciée pourrait représenter une alternative. Toutefois « à partir d’un certain seuil, augmenter l’aide nécessaire à un élève (jusqu’à lui donner la bonne réponse) aurait pour effet de réviser à la baisse son activité cognitive, de masquer son exclusion, de justifier le passage à l’étape suivante ». Reste donc à inventer des solutions car il n’existe à ce jour que « très peu de solutions opérationnelles ».

La fréquence des interactions maître-élève(s) pourrait jouer ici un rôle essentiel. Ainsi,

« partant de ce constat d’une diversité de maîtrise de la lecture en fin de CP pour les élèves

« moyens » de début d’année, J. Clanet (2007), à partir de l’analyse d’une de nos classes, en vient à constater que la fréquence des interactions qui se nouent entre le maître et ces élèves moyens est en lien avec le degré de maîtrise de la lecture en fin de C.P ».

Clanet (2005b, p. 25) a donc établi un lien de dépendance entre la fréquence des « actions-interactions » et les performances des élèves : « ceux pour qui la tâche est difficile et qui sont fréquemment questionnés par le maître réussissent mieux que ceux qui sont pas ou peu sollicités ».