• Aucun résultat trouvé

LES COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES DE L’ENSEIGNANT

II- 2- Ergonomie et activité enseignante

Clanet (2007b, p. 137) a appliqué au travail enseignant les trois catégories de compétences décrites par Gadbois et Leplat (2004, p. 12). La première « est très peu présente dans le champ de l’enseignement » à quelques exceptions près, les livres du maître par exemple. La deuxième catégorie de compétences ne pouvant s’appuyer sur la première, les compétences font donc l’objet d’une « appropriation de la part des sujets et toute appropriation passe par un travail d’adoption-adaptation ». S’agissant enfin de la troisième catégorie, « les compétences renvoient à des savoirs en acte, à des schèmes ». L’accès aux schèmes de l’enseignant est difficile, si les entretiens d’explicitation représentent une possibilité d’accéder à ces schèmes, Clanet (2007b, p. 138) a choisi, quant à lui, « de constater ce qu’il en était de leur activité en contexte ».

S’agissant de l’enseignant, les compétences professionnelles ne se limitent pas à des

« connaissances professionnelles » pour Gadbois et Leplat (2004, p. 11) :

« ses compétences sont liées aux connaissances qu’il possède de sa discipline, à sa manière de les organiser, à ses schémas d’enseignement. Mais son activité quotidienne d’enseignant dépend aussi des finalités qu’il donne à son travail, du milieu dans lequel il l’exerce, de ses collègues, des installations scolaires, etc. La manière d’affronter ces conditions variables n’est pas précisément enseignée ».

Afin d’analyser la tâche redéfinie par l’enseignant, les chercheurs analysent en premier lieu la tâche prescrite. Pour Périsset Bagnoud (2004, p. 249), « l’activité des enseignants est le fruit

aux conceptions personnelles dans un environnement social donné ». Autrement dit, les enseignants ont une lecture personnelle des prescriptions, influencée par leurs représentations individuelles et les représentations collectives partagées par la communauté des enseignants (Cf. Le genre professionnel (Clot, 1999) défini dans le chapitre VII, paragraphe II-2). Aussi, pour l’auteur, « deux niveaux sont donc en interaction constante dans l’action : la prescription et la décision ».

Les prescriptions sont multiples dans le milieu enseignant : « celle d’obligation de résultats » ou les instructions officielles dont « le socle commun des compétences et des connaissances » (Amigues & al., 2008, p. 28), « les programmes d’enseignement […], les lois et règlements de la fonction publique d’état, l’évaluation du travail enseignant réalisée par les inspecteurs de l’éducation nationale, l’évaluation des acquisitions des élèves, etc. » (Goigoux, 2007, p.

57). En outre, Goigoux (idem) distingue « la prescription primaire » de « la prescription secondaire » émanant des écoles de formation professionnelle. Saujat et al. (2007, p. 184) ajoutent que le travail réel de l’enseignant consiste « non seulement à faire avec les prescriptions mais aussi à faire ce que les prescriptions « ne disent pas » (Davezies, 1993) ».

Toutefois, Amigues et al. (2008, p. 29) présupposent ces prescriptions « comme consubstantielle de l’activité professorale et non pas comme une norme externe à laquelle le professeur conforme son exécution ». Par conséquent, pour Amigues (2005, pp. 109-114), les professeurs « construisent une organisation effective du travail à partir des prescriptions qui leur sont faites ». Ces prescriptions sont redéfinies par « les collectifs d’enseignants ». En outre, « plus la prescription est floue, plus est importante cette activité de redéfinition pour soi et pour les autres de « ce qu’il y a à faire », mais aussi de « comment le faire » ». Ainsi, par exemple, s’agissant des dispositifs d’aide aux élèves en difficulté, les « contraintes temporelles » attachées à ces dispositifs (aide individualisée) « font que les professeurs de mathématiques s’efforcent d’adapter leur intervention à la réussite immédiate des élèves plutôt qu’à l’avancée du savoir ». Cette redéfinition de la tâche n’est pas sans poser problème aux enseignants, tant les dispositifs d’aide individualisée « ne s’inscrivent pas dans le prolongement des gestes professionnels des enseignants », gestes qu’ils ont acquis en enseignant face à un groupe classe.

Pour Saujat et al. (2007, p. 184), « l’action (la tâche) fait généralement l’objet d’une prescription alors que l’activité est imprescriptible, elle dépend du rapport que le sujet instaure entre son action et le milieu dans lequel elle s’exerce ». Aussi, l’activité est-elle plus étendue que l’action, l’action ne traduisant qu’en partie l’activité du sujet. Cependant, les

chercheurs partent de l’analyse de l’action (tâche effective) afin d’inférer l’activité « c’est-à-dire les « calculs mentaux » auxquels se livre (ou est censé se livrer) un professeur particulier pour réaliser sa tâche » (Amigues, 2005, p. 106).

Pour sa part, Goigoux (2007, p. 56) articule psychologie ergonomique et didactique du français et infère « la tâche redéfinie » à partir d’une « double analyse de l’action effective réalisée en classe et de la parole de l’enseignant ». Il s’agit donc pour celui qui analyse l’activité des enseignants de « s’intéresser à la manière dont ceux-ci interprètent les prescriptions en fonction des moyens dont ils disposent et des exigences qu’ils se donnent ».

Ainsi, dans son modèle d’analyse (2007, p. 59), le travail prescrit correspond aux caractéristiques de l’École, de l’enseignant et des élèves. La tâche est redéfinie (activité de l’enseignant) via le genre professionnel (« intercalaire entre le travail prescrit et le travail réel »). Le travail réel est donc une « activité orientée » vers « les autres acteurs », vers

« soi », vers « les élèves », autrement dit, cette activité a des effets sur l’Ecole, sur l’enseignant et sur les élèves. Quant à Piot (2014, pp. 30-34), ses recherches articulent « le cadre de la psychologie historico-culturelle de Vygotsky » avec « certains travaux du courant de l’ergonomie cognitive ». Cette articulation permet « de prendre en compte deux dimensions distinctes et complémentaires de ce travail : la dimension visible et la dimension invisible, qui relève principalement de l’activité cognitive de l’enseignant ». La dimension visible est donc analysée à partir d’enregistrement vidéo-numérique quand la dimension invisible (« intentions, interprétations d’information, prises de décision ») est révélée via des entretiens.

Selon Saujat et al. (2007, p. 190-191), le « pouvoir faire » est essentiel tant au niveau de l’activité qu’au niveau du développement des compétences, il est source de bien-être, voire de

« plaisir au travail ». Les enseignants négocient perpétuellement avec une recherche d’efficacité située à deux niveaux, « une efficacité du travail réalisé auprès de ses élèves » et une satisfaction de ce travail qui permet une « réalisation de soi (c’est-à-dire de sa compétence, de sa santé mentale et de son identité) ». Aussi, lorsque l’enseignant débutant a le sentiment d’être incompétent, il parvient à dépasser ses difficultés et à « retourner les obstacles rencontrés en occasions de développement » ou, au contraire, il s’enlise, ce qui conduit à une « immobilisation », source de « souffrance », cette incapacité à « agir », à

« pouvoir-faire » est alors vécue « comme une atteinte à l’intégrité de soi ». L’enseignant

débutant enseigne tout en apprenant à enseigner, en cela, l’étude des processus en cours pourrait nous permettre d’appréhender l’activité enseignante :

« Ce que les débutants ont en commun, c’est d’avoir à organiser l’apprentissage des élèves qui leur sont confiés, tout en gérant leur propre apprentissage du métier dans lequel ils ont choisi d’entrer, au point quelquefois d’être davantage centrés sur cet apprentissage du métier que sur celui de leurs élèves (Ria, 2004 ; Saujat (à paraître).

Mais c’est ici que l’analyse de leur activité peut aider à éclairer en retour l’activité enseignante en général et le rôle organisateur qu’y joue cette double préoccupation. » (Saujat et al, 2007, p. 191)

Nous reviendrons plus longuement sur les préoccupations des stagiaires dont celle de se construire une identité professionnelle (Cf. Chapitre VII, Paragraphe I).

Si la notion de compétence professionnelle est complexe, l’institution tente néanmoins de lister celles de l’enseignant via un référentiel de compétences. Ce dernier est devenu l’une des prescriptions majeures auxquelles les futurs enseignants en formation professionnelle sont confrontés.