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LES ENSEIGNANTS EXPÉRIMENTÉS

IV- 3- Les « dilemmes organisateurs du tutorat »

Pour cette analyse, nous avons particulièrement pris appui sur deux notes de synthèse : Chaliès et Durand (2000) : L’utilité discutée du tutorat en formation initiale des enseignants et Chaliès et al. (2009) : L’utilité du tutorat pour de jeunes enseignants : la preuve par 20 ans d’expérience, cette dernière mettant en lumière des travaux plus récents.

Chaliès et Durand (2000, pp. 157-162) et Chaliès et al. (2009, pp. 88-91) décrivent les

« dilemmes organisateurs du tutorat » de la manière suivante : « aider ou évaluer »,

« transmettre ou faire réfléchir », « aider à enseigner ou aider à apprendre à enseigner ».

Selon les auteurs, ces dilemmes sont dus à deux conceptions du tutorat :

« Les conceptions du tutorat s'inscrivent, en effet, soit dans une modalité de supervision « traditionnelle » cohérente avec une approche quantitative représentée par le modèle de « l’enseignant efficace » ou par l’approche « Processus Produit » («

Process Product »), soit une modalité de supervision « clinique ou réflexive » relative à une approche qualitative associée à une démarche compréhensive et d'interprétation interpretist view ») (Anderson, 1992 ; Darling Hammond & Selon, 1992 ; Pajak, 1993). » (Chaliès & Durand, 2000, p. 157)31

La dernière modalité favorise une formation « non directive », « autonome », « informelle »,

« mais aussi et surtout contextualisée » (Chaliès & Durand, 2000, p. 158). A l’inverse, lorsque les tuteurs adoptent une modalité de supervision « traditionnelle », ils évaluent plus qu’ils ne forment, ils transmettent plus qu’ils ne font réfléchir, ils aident à enseigner plus qu’ils n’aident à apprendre à enseigner.

Les recherches menées dans les années 2000 montrent que les tuteurs « privilégient l’aide à l’évaluation ». Accompagnateurs, ils tentent « de ne pas être trop directifs » ; certains d’entre eux choisissent de privilégier « le soutien émotionnel des enseignants en formation ». Cette posture « n’est toutefois pas sans conséquence sur le processus d’évaluation qui, inéluctablement, perd en objectivité », la complaisance et l’indulgence des tuteurs faussant ce

31 Dans les citations issues des notes de synthèse de Chaliès & Durand (2000) et de Chaliès & al.

(2009), de nombreux auteurs sont cités. Nous les avons conservés par honnêteté intellectuelle mais n’avons pas lu leurs travaux. Ces auteurs n’apparaissent donc pas dans notre bibliographie.

processus (Chaliès & al., 2009, p. 88).

Lorsque le tuteur choisit de transmettre un savoir « conçu comme un ensemble de schèmes d'action d'enseignants experts directement applicables dans la pratique », l’approche réflexive est de fait minorée (Chaliès & Durand, 2000, p. 161). Cette conception répond néanmoins aux attentes urgentes des stagiaires. Si les tuteurs tentent de faire réfléchir les futurs enseignants sur le métier, à l’aide notamment « d’outils d’observation et d’évaluation », il n’en reste pas moins qu’ils « interagissent avec les EF de façon beaucoup plus modélisante, prescriptive et contrôlée qu’ils ne le pensent » (Chaliès & al., 2009, pp. 88-89)

Enfin, les « conseils à court terme valides « ici et maintenant » » (aide pour enseigner), sont privilégiés pour les mêmes raisons, ils répondent également aux préoccupations et besoins

« immédiats et prioritaires » des enseignants en formation. Il est en effet difficile pour ces tuteurs de « concevoir des trajectoires professionnelles chez les enseignants en formation et intervenir non pas en fonction de ce qui est observé dans le présent, mais de ce qui pourrait advenir » (Chaliès & Durand, 2000, p. 162). Les tuteurs souhaitent aider les enseignants en formation à apprendre mais ils « valorisent néanmoins le plus souvent une aide à l’enseignement » (Chaliès & al., 2009, p. 90).

Nous pouvons en conclure que les tuteurs ont aujourd’hui bien conscience de la plus-value d’une approche qualitative. Néanmoins, sa mise en œuvre reste difficile. Il se peut que l’organisation institutionnelle des stages et du tutorat ne facilitent pas la réalisation de ce vœu.

IV-3-1- L’utilité « discutée » du stage

Quelle utilité pour l’expérience pratique au sein du tutorat ? A cette question, Chaliès et Durand (2000, p. 152) répondent que :

« […] l'expérience pratique offre l'opportunité aux enseignants en formation de renforcer leur sentiment de compétence et leur capacité à affronter les aléas de la vie professionnelle (Zehm, 1999) en développant notamment leur potentiel relationnel avec leurs différents partenaires éducatifs (Cole, 1992), leur confiance en eux-mêmes (Arredondo & Rucinski, 1998), leur capacité de raisonnement moral et éthique (Arredondo & Rucinski, 1998) ou encore leur autonomie et leur sens des responsabilités (Bennett & Dunne, 1996). »

A travers cette réponse, on augure qu’il est nécessaire de favoriser entre autres la construction de l’identité professionnelle du stagiaire. Ainsi, le sentiment de compétence est mis en avant plus que l’acquisition « réelle » de compétences.

Pour autant, « la principale limite à l'utilité de l'expérience pratique tient à son caractère inapproprié par rapport aux besoins et aux attentes des enseignants en formation ». Le stage en responsabilité est souvent vécu comme une « expérience de survie », les stagiaires ayant le sentiment d’être « livrés à eux-mêmes ». Ces derniers estiment que cette expérience est souvent éloignée des cours théoriques (Chaliès & Durand, 2000, p. 153). L’apport des tuteurs est dans ce contexte plutôt « traditionnel » car il n’est pas issu de la recherche, il se limite ainsi à « l'imprégnation ou la transmission de recettes ».

De plus, les « préconceptions » des stagiaires attachées à leur habitus scolaire auraient tendance à freiner leur développement professionnel en conférant à cette expérience pratique

« un caractère conservateur reproduisant des pratiques traditionnelles » (Chaliès & Durand, 2000, p. 154) (Cf. Chapitre VII, paragraphe II-3). Toutefois, persuadés pour la plupart, que le métier s’apprend « sur le tas », ils sont convaincus de l’utilité du stage (Chaliès & Durand, 2000, p. 154).

Il est à noter qu’en 2009, Chaliès et al. (pp. 91-96) préfèrent parler de « l’utilité « éprouvée » de la situation de tutorat ». Face aux difficultés rencontrées par les tuteurs et au manque de cohérence des dispositifs de formation par alternance, « de nombreuses études notent la nécessité de renouveler le modèle traditionnel de tutorat en insistant notamment sur l’importance de la mise en oeuvre d’une « communauté hautement interactive » (highly interactive learning community) (Paris & Gespass, 2001) ou d’un « modèle collaboratif du tutorat » (collaborative mentoring model) (Mullen, 2000) » entre les enseignants en formation, les TT et les TU. Ces perspectives rendent possible une plus grande

« collaboration » entre le stagiaire et le tuteur, entre plusieurs stagiaires et un même tuteur, voire « entre les acteurs impliqués dans l’école ».

Le rôle prépondérant du tutorat s’agissant de la formation des stagiaires, au vu de l’organisation, semble-t-il, inadaptée des stages, est finalement limité. L’utilité du stage est de plus fonction du contenu des interactions stagiaire/tuteur ainsi que de la qualité de ces dernières.

IV-3-2- L’utilité « discutée » des entretiens post-séance

Placé dans une position a priori inconfortable lors des entretiens qui suivent la séance observée par le tuteur, il se peut que le « novice » se sente un tant soit peu « bousculé ». Si les remises en question sont nécessaires, nous savons aussi qu’elles « constituent des leviers de changement qui sont parfois nécessaires pour accompagner une évolution des pratiques, à la condition qu’ils soient eux-mêmes « accompagnés » » (Hoff, 2010, p. 163). Cet indispensable accompagnement suppose qu’une relation de qualité soit au préalable établie entre le tuteur et le stagiaire.

L’entretien post-séance est utile lorsque le tuteur s’adapte au niveau de performances des enseignants en formation, soit au « niveau de développement professionnel de ces derniers ».

Dans un premier temps, tuteur et tutoré s’appuient sur les éléments observés, puis dans un deuxième temps par un jeu de questions/réponses, le stagiaire apprend à analyser sa pratique.

L’entretien passe « d'un style direct, pragmatique et prescriptif à un style indirect, théorique et réflexif » (Chaliès & Durand, 2000, p. 135). Par ailleurs, les « conversations professionnelles » qui ont lieu lors de moments informels (pause méridienne, récréations…) entre stagiaires et enseignants chevronnés, participent au développement professionnel des novices : « l’accompagnement est alors un discours ouvert sur la construction d’une solution concrète à un problème professionnel » (Piot, 2012, p. 91).

Chaliès et Durand (2000, pp. 156-157) décrivent « les limites à l’efficacité de ces entretiens » :

- le caractère prescriptif donné aux entretiens, « pas assez interactifs et réflexifs ». Par

« manque de formation », les tuteurs « supervisent généralement comme ils enseignent ». Les stagiaires sont alors cantonnés à un « rôle passif » ;

- la qualité de la relation entre les tuteurs et les stagiaires, trop souvent impersonnelle ; la relation est donc « avant tout artificielle et formelle » ;

- une relation qui « manque de franchise » afin d’éviter les conflits ;

- le tuteur en ne répondant pas directement aux besoins des stagiaires, freine leur développement professionnel « en établissant progressivement de véritables

« obstacles conceptuels et structurels » (Zeichner, 1992) ».

L’entretien tuteur/stagiaire peut être fécond ou contre-productif. Le curseur oscille entre ces

tutorat se doit également d’être adaptée à l’évolution professionnelle du stagiaire, qui a besoin d’être reconnu et considéré comme un enseignant par le tuteur.