• Aucun résultat trouvé

LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT

I- 5- Les limites de l’approche processus-produits

Le paradigme processus-produits a permis de mesurer l’impact des actions de l’enseignant sur les performances des élèves, mais il présente toutefois plusieurs limites, que nous livrons ici pêle-mêle (sans être exhaustive).

La première est attachée aux méthodes d’investigation elles-mêmes. Ainsi, cette approche limite sciemment les recherches « à la mesure d’une corrélation entre une variable indépendante (la méthode d’enseignement) et une variable dépendante (les résultats scolaires des élèves) » (Bru, 2002, p. 64). De plus, selon Carette (2008, pp. 85-86), les évaluations utilisées dans le cadre de ces recherches sont « dans la logique d’une approche par objectifs ». Les épreuves « se présentent sous la forme d’une série d’items » qui appellent des réponses courtes et fermées. Elles mesurent donc la maîtrise de « procédures » ou de

« contenus » et non l’acquisition de compétences chez les élèves.

Selon Bressoux (1994, p. 122), les méthodes corrélatives n’expliquent pas forcément « la relation de causalité ». Autrement dit, l’interrelation des facteurs explicatifs de l’efficacité n’est pas démontrée : la prépondérance d’un facteur sur un autre ou la nécessaire présence d’un facteur par rapport à un autre. Il manque donc, selon l’auteur, une théorie pour expliquer et interpréter ces relations. Bressoux (1994, p. 123) fait également état de quelques travaux, qui ont suivi ces « premières » recherches et qui utilisent les « modèles multi-niveaux ». Ces derniers montrent une certaine stabilité dans le temps des performances des élèves alors que

« des facteurs aléatoires, transitoires, mal mesurés ou non contrôlés interviennent également ». Cette stabilité laisse à penser que ces facteurs ont une incidence forte sur les performances, facteurs qui n’avaient pas été pris en compte jusqu’alors.

Si les chercheurs dont Altet (2003, p. 33) reconnaissent l’intérêt des travaux relevant de ce paradigme, ces derniers « ne considèrent pas l’élève comme acteur « d’un processus interactif

enseignement-apprentissage », et n’ont donc pas pu comprendre comment ces variables interagissent ». Par conséquent, en se concentrant sur les facteurs cognitifs de l’élève, à travers ses performances, ces travaux n’ont pas pris en considération les « facteurs non cognitifs » tels que la motivation (Bressoux, 1994, p. 125). Il ne prennent pas non plus en compte les apprentissages réalisés en dehors du contexte de la classe ou encore « malgré les conditions pédagogiques créées par l’enseignant » (Bru, 1991, p. 19). Il reste donc difficile d’expliquer « le fait qu’un même comportement du maître puisse avoir des effets différents d’un élève à l’autre » (Bressoux & al., 1999, p. 98). S’ajoute à ces constats le fait que

« certains effets de l’enseignement ne se manifestent qu’à long terme rendant particulièrement ardue l’identification des pratiques efficientes (Perrenoud, 2005 ; Prost, 1986) » (André, 2013, p. 6).

De plus, nous l’avons vu, le maître efficace est également un maître équitable. Or les premiers travaux n’ont pas mis en évidence cette dimension qu’est l’équité « entendue comme la capacité à réduire les écarts initiaux entre élèves », faute de techniques statistiques appropriées (Bressoux, 1994, p. 123). Aussi, seule l’efficacité globale a été mesurée, une

« efficacité différentielle » aurait permis de mesurer « la capacité de l’enseignant à réduire les écarts initiaux » entre différents groupes d’élèves (faibles/forts, filles/garçons, etc.) (Bressoux, 2001, p. 40).

Bressoux (1994, p. 124) a mis en évidence « une corrélation positive » entre les performances des élèves en français et en mathématiques. Pour autant, l’auteur se demande ce qu’il en est des matières « peu structurées, qui visent à développer d’autres capacités telles que la créativité par exemple ».

Il existe, enfin, une grande variabilité intra-maître, qui peut être supérieure à la variabilité inter-maîtres (Crahay, 1989, p. 83). Il ne faudrait donc pas « sous-estimer les effets de contexte », liés à la classe et/ou à l’école car « la variabilité inter-maîtres pour des conditions de travail identiques est nettement inférieure à la variabilité intra-maître pour des conditions de travail contrastées » (Bru, 1991, p. 19). Ainsi, « d’une année sur l’autre, les maîtres peuvent changer assez largement leurs pratiques d’enseignement » (Altet & al. 1996, p. II).

L’identification de ce qui distingue les enseignants semble « aisée » pour ce qui est de la variabilité inter-maîtres, « il n’en est pourtant rien » (Bru, 1999, p. 151). Aussi, pour Bru

(2002, p. 65), la généralisation d’une modalité reconnue efficace est souhaitable mais il reste alors à « s’interroger sur les conditions de cette application (validité écologique) ».

Ces limites, mises en évidence, ont amené les chercheurs à emprunter une autre voie, à adopter un autre paradigme. L’approche processus-produits procédant « par boîtes noires », les entrées (processus) et les sorties (produits) sont bien décrites mais il manque ce qui fait lien entre les deux, soit le fonctionnement interne qui renvoie aux processus. Il est donc nécessaire « d’ouvrir cette boite noire pour voir les mécanismes qui sont à l’œuvre » (Bressoux, 2001, p. 39) et de « se placer au cœur des pratiques » (Bru, 2002, p. 65). Les chercheurs se centrent sur les élèves et leurs apprentissages mais également sur « l’analyse systématique de l’action effective du professeur » (Beckers, 2007, p. 60). Ils s’ouvrent donc alors à « une nouvelle « génération » de recherches qui concrétise une réelle mise en commun des démarches d’analyse approfondie des pratiques et des démarches d’évaluation de ces mêmes pratiques » (Tupin, 2003, p. 8). C’est pourquoi, nous nous intéressons maintenant aux recherches portant sur les pratiques enseignantes qui ne se réduisent pas aux aspects comportementaux observables, dès lors qu’elles vont, en effet, contribuer à l’ouverture de ces fameuses boîtes noires.

Les objets d’étude des chercheurs associés au Réseau OPEN (Observation des pratiques enseignantes) et à ses prolongements (Opéen&ReForm : Observation des pratiques éducatives et enseignantes, de la recherche à la formation) portent sur les pratiques enseignantes et plus particulièrement sur les pratiques d’enseignement « dans leur rapports aux apprentissages des élèves ». Ces études ont une visée « descriptive, explicative et compréhensive », l’idée sous-jacente est « d’expliquer l’effet-maître »7. Les nombreux travaux qui suivent, s’inscrivent d’abord dans le paradigme cognitiviste, puis dans le paradigme écologique.

Parallèlement à ce dernier, le paradigme interactionniste et intégrateur va se développer. Nous décrirons plus en détail ces paradigmes ainsi que les modèles qui y sont attachés dans le paragraphe suivant.

7 Bru, M. Clanet, J. & Murillo, A. (GPE -CREFI-T Université de Toulouse)(2009). Pratiques d’enseignement-apprentissage. Analyse de moments de classe. Séminaire OPEN / VISA, 2-3 avril

II-LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT

Pour Talbot (2008b, pp. 14-16), « la notion d’action pour caractériser ce que fait l’enseignant dans sa classe est trop réductrice ». Pour définir cette notion, l’auteur s’appuie sur « la psychologie soviétique (Galpérine, Léontiev et Vygotsky) », qui considère l’action comme « une partie de l’activité ». De ce fait, l’action « détermine ce que fait l’enseignant de manière rationnelle et consciente (les opérations d’exécution et de contrôle) en fonction de la poursuite d’un but, d’une orientation, d’un projet clairement identifiés ». L’action est donc observable à travers « les gestes techniques et professionnels » de l’enseignant qui prend en compte le « contexte de manière intentionnelle ». Pour autant, « l’intentionnalité qui caractérise l’action ne se donne pas toujours directement à voir, que ce soit pour le chercheur ou l’enseignant lui-même ». La « notion de méthodes d’enseignement » est également trop « restrictive » (Talbot, 2008b, p. 15), l’enseignant adaptant la méthode ou utilisant plusieurs d’entre elles (Altet, 2003, p. 33).

Du fait des limites de ces notions, « nous lui avons donc substitué celle de « pratiques » d’enseignement qui caractérise ce que fait le professeur plus ou moins consciemment dans son activité professionnelle face à un groupe d’élèves au sein d’une situation didactique et pédagogique particulière » (Talbot, 2008b, p. 15).