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LES ENSEIGNANTS EXPÉRIMENTÉS

II- L’ENSEIGNANT EXPÉRIMENTÉ / L’ENSEIGNANT EXPERT

Dans la littérature scientifique, les termes expérimenté, chevronné ou expert sont utilisés pour distinguer l’enseignant débutant de celui qui ne l’est plus.

Pourtant, si l’on s’en tient aux définitions données par Le Larousse, ces termes n’ont pas tous la même valeur. Ainsi, expérimenté signifie « Instruit par l’expérience »23 et chevronné :

« Qui a de l’expérience »24. Le terme expert est défini ainsi : « Qui a une parfaite connaissance d’une chose due à une longue pratique » ou bien encore « personne apte à juger de quelque chose : connaisseur »25. L’expérience est mise en valeur au sein de ces trois définitions, des aspects complémentaires sont néanmoins apportés dans la dernière : l’expert maîtrise un domaine particulier, ce qui fait de lui un référent dans ce domaine.

Pour autant, les termes expérimenté et expert sont parfois utilisés sans distinction de sens. Est-ce à dire qu’un enseignant expérimenté est fatalement un expert ? Quand elle a réalisé durant plusieurs années la même activité professionnelle, on dit d’une personne qu’elle est expérimentée et on « sous-entend alors qu’elle est compétente ». Cette notion de sens commun veut que « le processus » et « le produit » de l’expérience soient confondus, autrement dit « faire l’expérience de quelque chose et en avoir l’expérience s’identifient l’un à l’autre » (Zeitler, 2012, p. 31). Afin de lever ces ambiguïtés, nous nous proposons d’approfondir la définition de l’expérience et de l’expertise.

22 Si la personnalité et les « ressources » sont propres à chaque individu, le développement professionnel pourrait être singulier (variabilité inter-maîtres).

23 Le petit Larousse 1999, 1998, Paris : Larousse – Bordas, p. 411.

24 Le petit Larousse 1999, 1998, Paris : Larousse – Bordas, p. 209.

II-1- L’expérience

L’expérience définie comme une « Connaissance acquise par une longue pratique jointe à l’observation »26, nous porte à croire que l’expérience de l’enseignant est tirée de sa pratique, de laquelle découle un savoir. L’observation liée à la pratique toucherait à la pratique mais sans doute également aux résultats de cette pratique.

Pour Zeitler et Barbier (2012, pp. 107-108), le concept d’expérience a de spécifique qu’il joue

« sur deux registres de signification : ce qui arrive au sujet et ce qui arrive à l’environnement dans leurs rapports réciproques par la médiation de l’activité ». Cette « ambiguïté fonctionnelle » explique qu’il soit difficile de définir l’expérience, et ce même si « la référence à l’engagement dans une activité et la référence à une transformation liée à cet engagement » sont des caractéristiques communes de celle-ci.

En outre, l’on confère à l’expérience, attachée à la pratique, des qualités accordées généralement à la théorie :

« Cette acception de sens commun s’appuie sur et renforce la dichotomie entre théorie et pratique dans la mesure où elle donne, de façon paradoxale, à la pratique les attributs sociaux de la théorie (caractère éprouvé du savoir, référence à une autorité) mais en les inversant : c’est parce que l’expérience a été vécue qu’elle présente une valeur adossée à une efficacité pragmatique (vs l’énonciation d’un savoir attesté par sa valeur de vérité) ; l’autorité de l’expérience est conférée alors par la pratique contre la théorie. » (Zeitler & Barbier, 2012, p. 108)

Aussi, Zeitler et Barbier (2012, pp. 110-113) proposent-ils quatre acceptions de l’expérience :

L’expérience comme activité

Seule la partie active de l’expérience est retenue. Cette partie peut être décrite et analysée.

L’expérience comme processus d’apprentissage et de développement de la personne Les auteurs font ici référence au modèle de Kolb (1984) qui décrit l’apprentissage « comme une suite d’opérations qui font se succéder une expérience concrète telle qu’elle est vécue, la compréhension de cette situation dans sa singularité, une conceptualisation généralisante à d’autres situations, la réutilisation dans des situations nouvelles ». L’expérience permet donc à la personne de réactiver les opérations mentales dans le but de les transformer et les adapter à une situation singulière au moment où il la rencontre.

26 Le petit Larousse 1999, 1998, Paris : Larousse – Bordas, p. 411.

L’expérience comme produit de l’apprentissage par l’activité

Le sujet construit des ressources au fur et à mesure de son activité, il s’agit là d’une

« construction de l’expérience ».

L’expérience comme processus de réappropriation du sens de son existence

L’expérience est présentée ici « comme un processus de mise en sens du vécu par le sujet lui-même ». Cette mise en sens demande une réflexion de la personne sur son activité.

L’expérience ne se limite donc pas à une accumulation de connaissances éprouvées, elle est davantage une construction par et pour le sujet lui permettant de faire face à des situations déjà vécues ou nouvelles en toute sérénité et en toute autonomie.

Pour Zeitler (2012, p. 34), « l’interprétation des situations est basée sur des habitudes d’interprétation [qui] permettent à l’acteur de donner un sens à son environnement pour l’action en cours » :

« Une des caractéristiques essentielles de la construction de l’expérience passe donc par le développement de nouvelles capacités à interpréter l’environnement d’action, c’est-à-dire à développer ses habitudes d’interprétation (HI). Nous appelons

« apprentissages interprétatifs » la partie des apprentissages expérientiels responsables de la construction et de la transformation des habitudes d’interprétation (Zeitler, 2011). »

Ce développement des habitudes d’interprétation participe à la construction de l’expérience

« en tant que possibilités d’action » (Zeitler, 2012, p. 37). L’auteur précise qu’en comparaison des enseignants débutants, les expérimentés interprètent avec « plus de facilité » l’environnement (Zeitler, 2012, p. 34). En d’autres termes, les débutants de par leur manque d’expérience, auraient plus de difficultés à décrypter, lire une situation ou

« interpréter l’environnement », cela aurait une incidence sur leurs « possibilités d’action », qui s’en trouveraient de fait limitées. Aussi, quand bien même ils auraient acquis les compétences attendues (référentiel de compétences), il leur manquerait l’expérience pour interpréter la situation et agir de façon pertinente et appropriée27.

Il est donc indéniable que l’expérience s’acquière dans le temps ; construite par l’enseignant, elle devient une ressource mobilisable au moment opportun. Pour autant, l’enseignant est-il expert parce qu’expérimenté ? Pour ce qui est de la relation entre l’ancienneté des enseignants

27 Nous nous emploierons à identifier la source des difficultés rencontrées par les stagiaires, le manque

et les acquis des élèves, Bressoux (2007, p. 126) a montré qu’au delà d’un certain seuil, qu’il estime « aux alentours de 23-25 ans », la relation « décroît ». Les enseignants très expérimentés perdent donc en efficacité mais « demeurent toutefois nettement plus efficaces que les novices ».

II-2- L’expertise

La notion d’expertise est utilisée soit pour décrire le métier d’enseignant (l’expertise qu’exige le métier), soit pour qualifier un enseignant (un enseignant expert).

II-2-1- L’expertise du métier d’enseignant

Selon Tochon (2004, pp. 89-90), « l’utilisation du mot « expertise » dans le sens de compétence, comme en anglais, est légitime en français ». Il avait du reste choisi le titre de son ouvrage L’enseignant expert / L’enseignante experte (Tochon, 1993) dans le but

«d’indiquer que les enseignants développent une compétence pratique qui les rend autonomes en tant que corps professionnel : à la fois autodidactes sur la longueur d’une vie et hétérodidactes dans le partage d’expériences avec leurs pairs ». L’idée sous-jacente était de reconnaître chez les enseignants une expertise, soit « leur indépendance », et reconnaître dans le même temps la complexité « souvent incomprise » de la profession. Selon l’auteur, l’expertise des inspecteurs de l’éducation nationale ou des formateurs est reconnue, quand l’expertise « à part entière » des enseignants, celle d’une « connaissance praticienne », tarde à l’être.

Tochon (2004, p. 97) reconnaît l’enseignant comme un expert au regard de la complexité du métier qui est le sien « comme un savoir d’expert équivalent à celui des avocats ou des médecins ». L’auteur ne met pas en parallèle la notion d’expérience et celle d’expertise, il n’explique donc pas l’expertise comme consécutive de l’expérience mais met en exergue l’expertise que requiert le métier d’enseignant. L’auteur (2004, pp. 99-101) enchérit l’expertise de l’enseignant en développant « la métaphore de l’expert citoyen » : les enseignants sont « parmi les personnes les plus précieuses de la société car ils ont le savoir, la réflexion et la possibilité d’action auprès des nouvelles générations », ils ont le pouvoir de développer chez les élèves un sens critique sur le monde et ses dysfonctionnements passés et

actuels. Aussi, pour l’auteur, l’enseignant n’a d’autre choix que de « devenir un expert humaniste, altermondialiste et résistant ».

La reconnaissance de l’expertise enseignante pourrait « être à la source d’une amélioration du statut social de l’enseignant » (Lenoir, 2004, p. 19). Tochon (2004, p. 97) partage cet avis mais nous alerte sur l’effet pervers qui pourrait s’ensuivre, elle pourrait en effet pousser les décideurs politiques à réduire de beaucoup la formation initiale partant du principe que « le métier s’apprend sur le tas ».

II-2-2- L’expertise de l’enseignant

Selon Tochon (2004, pp. 90-92), « les critères de définition de l’expert varient considérablement d’une étude à l’autre », l’auteur expose à titre d’exemple les résultats de deux recherches. La première met en exergue les compétences qui touchent à la passation des consignes, à un « travail préalable d’explicitation de l’expérience passée et de l’expérience en cours sous forme discursive », à « la planification », à la gestion régulation des « groupes d’apprentissage » et à « l’attention de l’élève sur la tâche » favorisée par le respect « des buts sociaux » et par une prise en compte « du contexte et des dispositions personnelles des élèves ». La deuxième met en avant des compétences autres : une « connaissance plus étendue » de la discipline enseignée, une « compréhension raffinée des stratégies d’enseignement », une bonne connaissance de leurs élèves, un « usage de leur connaissance de soi » (« valeurs, standards, convictions »), des processus didactiques qu’ils adaptent à leurs élèves et des « interactions avec les collègues » qui favorisent le « partage d’expertise ». Les critères retenus pour la première recherche relèvent plutôt de la conception et de la mise en œuvre des situations d’enseignement/apprentissage quand les critères de la deuxième touchent davantage à l’enseignant et à ses compétences intrinsèques. De plus, notons que la première recherche a été « menée auprès de trente-trois professeures des écoles sélectionnées par leurs stagiaires et leurs formateurs comme particulièrement remarquables » ; si les critères de cette sélection ne sont pas explicités, il apparaît que les enseignants qualifiés d’experts sont ici des enseignants qui se distinguent des enseignants simplement expérimentés. La deuxième étude porte sur des « domaines propres à la connaissance des experts enseignants qui démarquent des différences importantes par rapport aux enseignants qui débutent dans la profession ».

Aussi, ces résultats laissent à penser que ces compétences sont moins bien maîtrisées chez les

utilisé pour différencier expérimentés et débutants. En l’absence de consensus sur sa définition, la notion d’expertise attachée à l’enseignant est, au regard de ces recherches, utilisée selon différentes acceptions.

Pour Lenoir (2004, pp. 11-12), « ces savoirs d’action qui caractérisent l’expert – et que d’aucuns nomment également des savoirs d’expérience (Tardif et Lessard, 1999) ou des savoirs pratiques (Raisky, 1993) – ont été généralement conçus en rupture avec les savoirs théoriques ». Ces savoirs issus de l’expérience, fortement valorisés lorsque l’on décrit un enseignant expert, accentuent selon l’auteur, la « dichotomie théorie-pratique ». La question du sens donné à l’expertise enseignante est donc posée. L’expert « se définit par ses compétences » (Blau, 1955, cité par Lenoir, 2004, p. 14), il « n’est pas celui qui sait, mais celui qui sait faire ou comment faire en situation ».

Lenoir (2004, p. 19) se demande enfin s’il ne serait pas préférable « de parler d’enseignant expérimenté, chevronné, sinon compétent » étant donné que les actions « singulières » identifiées comme relevant de l’expertise ne sont pas forcément modélisables dans un contexte d’enseignement autre. Cette réticence à qualifier un enseignant comme expert est partagée par d’autres chercheurs.