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LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT

II- 1- Paradigmes et modèles de référence

L’étude des pratiques enseignantes relève de différents paradigmes. Les chercheurs ont développé plusieurs modèles qui s’inscrivent dans l’un de ces paradigmes.

Selon Bressoux (1994, p. 93), quatre paradigmes prédominent : a- Les critères d’efficacité et variables de présage

On se concentre ici sur le maître : sa personnalité et ses caractéristiques. Aujourd’hui, ce paradigme n’est plus utilisé, l’existence d’un critère « caché » et donc à présager à partir de différentes variables, n’ayant pas donné les résultats escomptés.

Les paradigmes suivants ont été décrits par Doyle (1986, cité par Bressoux, 1994, p. 94) : b- Le paradigme processus – produits

On s’intéresse aux actions du maître, à son comportement en classe mais aussi à l’apprentissage des élèves. On essaie de mettre en évidence les relations entre les choix

pédagogiques de l’enseignant et les indicateurs d’efficacité. Nous avons vu précédemment qu’il est reproché à ce paradigme un manque de prise en compte du contexte et des processus (Cf. Paragraphe I-5).

c- Le paradigme des processus médiateurs

On étudie ici la relation entre le comportement de l’élève et son apprentissage. Entre « les stimuli pédagogiques et les résultats de l’apprentissage », l’élève met en place des

« procédures médiatrices telles que l’attention, l’utilisation du temps, l’implication dans la tâche à réaliser, la persévérance » que l’on va étudier.

d- Le paradigme écologique

Les stratégies mises en place par l’élève (métier d’élève) sont observées et analysées. On étudie les relations entre les situations de classe (ce qui est demandé à l’élève) et les

« stratégies de médiation que l’élève met en place pour y répondre avec succès ». Ce paradigme, par rapport à celui des processus médiateurs prend en compte le contexte. Nous avons choisi de nous inscrire dans ce paradigme afin de visiter notre question de recherche.

En s’inspirant de ces paradigmes, les chercheurs ont développé différents modèles. Le premier à être largement exploité fut celui du paradigme des processus-produits. En réalité, trois modèles prédominants relèvent de ce paradigme (Clanet, 1997, pp. 35-77) :

- Les modèles construits autour de la notion de « qualité de l’enseignant » (paradigme des critères d’efficacité et variables de présage) ;

- Le modèle processus-produits : les travaux sur l’effet-établissement, l’effet-école, l’effet-classe et l’effet-maître relèvent de ce modèle (nous avons exposé quelques uns des résultats de ces travaux dans le paragraphe I) ;

- Le modèle des processus médiateurs dont nous nous inspirerons en partie.

Ces modèles dits programmatiques « placent l’enseignement et l’apprentissage dans une relation linéaire et présupposent qu’il suffit d’enseigner pour que les élèves apprennent » (Bru, 1991, p. 17).

Pour Vinatier et Altet (2008, p. 9), les travaux relevant du paradigme cognitiviste se sont par la suite développés. Ils portent sur « la pensée de l’enseignant ». Les chercheurs

« concevaient la cognition comme instance essentielle de contrôle de la pratique enseignante (Shavelson, 1981, Tochon, 1993) ».

Ensuite, « l’émergence du paradigme « écologique » a permis de prendre en compte l’importance de la « situation » (Bronfenbrenner, 1986) au sein de laquelle se déroule l’enseignement » (Vinatier & Altet, 2008, p. 9). La grande majorité des travaux dont nous exposerons les résultats dans les paragraphes suivants relèvent de ce paradigme.

Partant de l’étude des situations d’enseignement-apprentissage que Clanet (1997, p. 124) définit « comme l’ensemble des interrelations en contexte entre un enseignant et un apprenant au sujet d’un savoir considéré » et adoptant une approche systémique, Clanet (1997, p. 167) construit un modèle qui s’inscrit dans le paradigme écologique ou

« constructiviste » qu’il nomme « modèle d’organis-action en contexte » et qui désigne « le processus à partir duquel le système « enseignement-apprentissage », tout en gardant son autonomie, se transforme en fonctionnant ». Puis, l’auteur (1997, p. 240) choisit d’intégrer

« les variables de l’interaction en contexte » à chaque niveau de son modèle et montre que « la présence des dimensions rendant compte de l’interaction en contexte [entraîne] une plus grande stabilité des configurations » (Clanet, 1997, p. 256). Par conséquent, Clanet (2010, p.

76) invite à « l’étude de la dynamique des pratiques d’enseignement ». Pour appuyer ses dires, l’auteur s’appuie sur deux principes que l’enseignant gère conjointement : « le principe selon lequel plus le temps d’attente accordé aux élèves sollicités est long, plus les niveaux cognitifs mobilisés pour élaborer leur réponse sont élevés et le principe selon lequel le fait de ralentir le rythme de la classe accroît la fréquence des problèmes de discipline ». Il est, selon Clanet (2010, p. 76), plus pertinent de comprendre comment le maître gère le temps donné à l’élève pour répondre au problème, tout en maintenant un rythme soutenu dans une situation donnée, plutôt que de prévoir à l’avance le temps qui sera accordé, autrement dit « de mieux saisir les processus à l’œuvre dans le fonctionnement des pratiques enseignantes (Bru, Altet

& Blanchard-Laville, 2004) et non plus de se consacrer (vainement) à la recherche de méthodes ou de modalités d’enseignement qui, en tout lieu et en tout temps, garantiraient la plus grande efficacité auprès des élèves ».

Le paradigme interactionniste et intégrateur s’est développé plus récemment, il « éclaire l’articulation de plusieurs types de variables concernant l’enseignant, l’élève et la situation, pour comprendre la pratique enseignante » (Vinatier & Altet, 2008, p. 9). Différents modèles relèvent de ce paradigme :

- Les modèles de l’interaction : ici « perceptions, interprétations, décisions des différents partenaires interagissent » (Bru, 1991, p. 20).

- Les modèles de l’interaction contextualisée : Pour Bru (1991, p. 145), ce modèle « systémique » ne se limite pas à « une addition d’effets indépendants mais à une conjugaison des interactions entre facteurs ». L’auteur s’intéresse particulièrement aux « interactions en situation didactique ». Il différencie de ce fait « produit de l’apprentissage et produit de l’action didactique » (Bru, 1991, p. 79).

Ce modèle dit des « processus interactifs contextualisé » :

« prend d’abord en compte les variables d’action opératoires observables concernant à la fois l’enseignant, les élèves et leurs interrelations. Il adjoint ensuite les variables médiatrices sous-jacentes (cognitives, socio-affectives, psychologiques ou sociales) à l’œuvre dans une situation pédagogique et il y ajoute enfin les interprétations de la situation par les acteurs » (Altet, 2003, p. 35).

Selon le paradigme dans lequel il s’inscrit, le chercheur se focalise sur des dimensions différentes : les procédures médiatrices, les situations d’enseignement-apprentissage, les interactions en situation didactique, les interrelations élève(s)-enseignant via les interactions, etc. Ce focus n’aboutit pas à un traitement isolé de la dimension en question. Au contraire, prenant en compte la complexité de l’acte d’enseigner, les chercheurs analysent le poids des autres dimensions, ces dernières donnant du sens à l’interprétation des résultats. Les chercheurs adoptent donc « progressivement le paradigme de la complexité » (Piot, 2014, p.

32) :

« Cela signifie que la recherche en éducation va s’orienter vers des cadres pluri et interdisciplinaires, soucieux de ne pas découper la complexité du réel des situations d’enseignement-apprentissage, de les inscrire dans une perspective dynamique, interactionniste et écologique. »

II-2- Définitions

Les chercheurs dont Talbot (2001, p. 17, in Bru & Talbot) différencient « les pratiques d’enseignement (observables essentiellement in situ et qui ont pour but l’apprentissage des élèves) des pratiques enseignantes qui sont plus globales […] ». Ainsi, les pratiques enseignantes englobent également des pratiques qui ont lieu hors de la classe : relations école/famille, travail d’équipe (conseils des maîtres, de cycle, d’école…), corrections… De même, Talbot (2008b, p. 16) préfère à « la » pratique d’enseignement, « les » pratiques d’enseignement au pluriel, afin de tenir compte des « variations intra enseignantes » ainsi que des « variations inter enseignantes ».

Les pratiques enseignantes

Pour Tupin (2003, p. 9), « le plus petit dénominateur commun » de la pratique enseignante :

« intègre la dimension dynamique entre enseignement et apprentissage, inclut la part de rationalité et la part conjointe d’improvisation nécessaires à l’action enseignante, reconnaît son caractère multidimensionnel (se conjuguent les aspects psycho, socio, pédagogiques et didactiques sans nécessairement intégrer toutes ces dimensions lors des analyses) et confirme sa variabilité ».

L’étude des pratiques enseignantes peut être étendue à une appréhension systémique. Bru (2004, p. 291) émet ainsi l’hypothèse selon laquelle les pratiques enseignantes « forment système et que la connaissance des liens qu’elles entretiennent peut permettre de mieux expliquer et de mieux comprendre chacune d’elles ». Autrement dit, il est nécessaire de les étudier, non pas de façon isolée, mais simultanément afin de dégager les liens qui les unissent.

Altet (2002, p. 86) définit la pratique enseignante comme : « la manière de faire singulière d’une personne, sa façon réelle, propre, d’exécuter une activité professionnelle : l’enseignement ». Elle se traduit donc par « une mise en œuvre de savoirs, procédés et compétences en acte d’un professionnel en situation » (Vinatier & Altet, 2008, p. 12). Les auteurs ajoutent que la pratique ne se limite pas à ce qui est observable (« actes », « actions »,

« réactions »), elle « comporte les procédés de mise en œuvre de l’activité dans une situation donnée par une personne, les choix, les prises de décision ».

Pour Vinatier et Altet (2008, pp. 10-11), la pratique enseignante ne se réduit pas non plus à mettre en œuvre des situations d’enseignement-apprentissage, elle intègre la conception des situations. Cette conception consiste entre autres à choisir une activité qui permettra un apprentissage. Aussi, « le contenu du savoir, l’objet de l’apprentissage, en tant qu’instrument du développement de l’enfant, est une première dimension essentielle de la pratique enseignante ». Au moment de la mise en œuvre, « une deuxième dimension est constituée par l’ensemble des interactions, avec les effets induits par l’implication des participants en présence, leurs choix, leurs motivations ». Il s’agit ici d’amener les élèves à s’engager dans la tâche et de maintenir cet engagement, l’enseignant prend alors en compte la situation qui ne peut être prévisible et s’y adapte, au risque de modifier ce qu’il avait prévu. Enfin, « une troisième dimension significative de la pratique tient à la nature même de la situation d’enseignement-apprentissage, laquelle possède sa dynamique propre ».

A travers ces différentes définitions, le pôle « élève » n’est pas négligé. Les chercheurs s’intéressent donc également aux pratiques d’apprentissage liées aux pratiques d’enseignement, ces dernières s’adaptant et favorisant les premières.

Pratiques d’enseignement / Pratiques d’apprentissage

Qu’est-ce qu’enseigner « dans une perspective de recherche sur les pratiques d’enseignement » ? Pour Bru (2004, p. 290) :

« Enseigner serait alors organiser et mettre en œuvre ou susciter l’organisation et la mise en œuvre ou laisser s’organiser et se mettre en œuvre (le ou n’étant pas exclusif du moins sur la durée) des conditions et des situations (cognitives, relationnelles, sociales, institutionnelles, matérielles, temporelles…) auxquelles les élèves sont confrontés. Dans les cas (les plus souhaitables !) où la confrontation contribue au développement des connaissances et des compétences des élèves, on peut parler de conditions et de situations d’apprentissage. »

Enseigner, c’est donc créer des conditions et des situations favorisant l’apprentissage des élèves. Bru et al. (2004, pp. 77-78) ont donc tenté d’établir les relations entre enseignement et apprentissage. Ils proposent une première approche qui consiste à décrire une situation qui se voudrait « idéale » mais les auteurs émettent quelques réserves s’agissant de cette approche :

- L’enseignant ne met pas toujours en œuvre ce qu’il a planifié.

- Tous les élèves ne réagissent pas « de la même manière aux propositions de l’enseignant ». Il est impossible de gommer les différences entre les élèves : « acquis préalables », « représentations et attentes »….

- L’engagement des élèves ne résulte pas uniquement « des conditions mises en œuvre par l’enseignant ».

- Les processus d’apprentissage ne sont pas forcément « effectifs chez tous y compris chez ceux qui sont manifestement participatifs et actifs ». Il est d’ailleurs possible que ces processus se réalisent sous l’effet d’ « expériences extra-scolaires ».

- Pour ce qui est des évaluations enfin, elles se limitent aux apprentissages attendus des élèves, quand ces derniers peuvent avoir compris et appris bien plus.

Cette démonstration montre que les progrès des élèves ne sont pas toujours directement liés aux « effets de l’enseignement » (Bru & al., 2004, p. 79). Pour Bru (1991, p. 37), le fait d’enseigner ne suffit pas pour que l’élève apprenne ; l’enseignant ne peut ignorer l’« activité » de l’élève ainsi que les « processus d’apprentissage » qui lui sont propres.

L’enseignant varie ses pratiques et ces variations « profitables aux élèves ne sont pas aléatoires » (Bru & al., 2004, p. 84). Elles sont variées parce que « contextualisées » (Talbot, 2001, p. 17, in Bru & Talbot). La prise en compte du contexte des pratiques a une incidence sur leur étude. Le chercheur observe une situation particulière qui a lieu à un moment particulier. En résulte une « configuration particulière de processus organisateurs qui se réalise au sein (par et avec) des processus de contextualisation que nous ne réduisons pas aux seuls effets de contexte ou à une conception situationniste qui ignorerait les dimensions historiques et prospectives du système sujet-pratique-situation » (Bru, 2004, p. 297). Selon Bru (1991, p. 67), l’enseignant sélectionne certains éléments parmi les multiples éléments du contexte, mais « la sélection qu’il effectue oriente sa manière de concevoir les variations didactiques qu’il pourra mettre en œuvre ». Aussi, pour l’auteur (1991, p. 98), sous l’effet du contexte « général et particulier », l’enseignant peut modifier les « variables de l’action didactique ». Pour Bru et Clanet (2011, p. 33), la situation d’enseignement-apprentissage ne correspond donc pas à ce que l’enseignant a projeté, ni à « un simple cadre de l’activité qui s’y adapterait toujours guidée par des choix rationnels. En agissant, les protagonistes de l’enseignement-apprentissage constituent et reconfigurent chaque situation à travers des rapports dynamiques toujours renouvelés ».

De plus, Bressoux (2001, pp. 44-45) a montré que la pratique n’est pas seulement déterminée par la situation. Ainsi, les choix, les « improvisations » de l’enseignant dépendent également en partie de ses représentations (le jugement scolaire) ou encore de ses motivations.

Nous retiendrons la définition donnée par Talbot (2008b, p. 16) qui tient compte de chacune des dimensions décrites supra :

« Les pratiques d’enseignement résultent donc d’interactions (d’actions) d’un sujet (l’enseignant) avec des acteurs (notamment avec les élèves) dans un contexte singulier (la classe, une école, une actualité, des textes législatifs…). Les gestes, les conduites, le langage, les actions mais également les activités cognitives, les idéologies, les représentations… les caractérisent. Elles ne sont pas sans lien avec les caractéristiques psychosociales de l’acteur, ses dimensions affective, émotionnelle et relationnelle. »

L’étude des pratiques enseignantes suppose donc une étude simultanée de différentes dimensions :

- les actions et activités de l’enseignant, qui dépendent en partie de ses représentations, - l’objet d’apprentissage ou la tâche donnée à l’élève,

- les interactions et leurs effets sur les apprentissages des élèves et sur l’engagement

des élèves dans la tâche,

- la situation d’enseignement-apprentissage et plus largement le contexte (classe, école…).

L’enseignant ajuste donc en permanence ses pratiques selon le contexte et plus particulièrement la situation d’enseignement-apprentissage. Pour autant, « si la variété des pratiques existe bel et bien, il est également possible de repérer des éléments de stabilité », appelés « organisateurs de pratiques » (Clanet, 2005b, p. 14).