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LE DEVELOPPEMENT PROFESSIONNEL

II- 2- Les stades du développement professionnel des enseignants

Cette perspective présente l’avantage de donner des repères de l’évolution professionnelle.

Elle s’appuie sur la division piagétienne du développement psychologique de l’enfant, en plusieurs périodes, chacune elle-même divisée en stades, le stade précédent conditionnant le suivant (Uwamariya & Mukamurera, 2005, p. 136 ; Lefeuvre & al., 2009, p. 278). Le passage d’un stade à un autre est donc soumis au franchissement d’un palier dans la carrière de l’enseignant. Cependant, la perspective développementale présente également des limites car

« elle tient peu compte de l’évolution singulière et particulière des acteurs » (Lefeuvre & al., 2009, p. 278), le développement professionnel étant attaché au développement personnel et continu de l’enseignant.

Par conséquent, si l’évolution des enseignants correspond à différents stades, elle n’est pas identique pour tous. La variabilité inter-maîtres serait donc sans doute plus grande que ce que laissent imaginer les stades communs d’évolution. Ainsi, l’on peut imaginer que certains enseignants franchissent les premiers paliers plus rapidement que d’autres.

La perspective développementale revêt pour nous un intérêt particulier dans le sens où nous nous concentrons sur le ou les premiers stades de développement, stades particulièrement étudiés tant il semble que l’évolution de la carrière d’un enseignant dépende, de façon décisive, de ses premières expériences professionnelles.

II-2- Les stades du développement professionnel des enseignants

Les chercheurs qui ont déterminé les différents stades (ou différentes phases) du développement professionnel des enseignants identifient de cinq à sept phases. Le nombre de stades ainsi que leur durée diffèrent, les premiers et les derniers stades ne coïncident pas toujours. Afin de les comparer, nous nous appuierons essentiellement sur trois recherches :

- « les phases de l’évolution professionnelle de l’enseignant », au nombre de sept, décrites par Vonk (1988) ;

- « le cycle de vie de la carrière enseignante », composé de cinq phases selon Huberman (1989) ;

- et « les phases du processus de socialisation professionnelle », également au nombre de cinq, selon Nault (1999).

En prenant appui sur ces différents travaux, nous ferons état de six stades et développerons plus particulièrement celui attaché à notre recherche, soit le stade de la formation initiale ainsi que celui qui suit relatif aux débuts dans la carrière afin d’y rechercher de possibles similitudes avec le précédent. Le tableau suivant récapitule les stades que nous avons définis en fonction des différentes phases décrites par les auteurs cités ci-dessus.

Le cycle de vie des

l’enseignant 25-35 : Sérénité, distance affective / Conservatisme

(serein ou amer) Phase d'arrêt progressif

II-2-1- Avant la formation initiale

Pour Nault (1999, p. 143), ce premier stade correspond à la « motivation qui précède l’admission dans un programme de formation ». Cette motivation qui trouve sa source dans des « motifs intrinsèques ou extrinsèques comme par exemple le désir d’imiter un enseignant idéalisé » constitue selon l’auteure « une première forme de socialisation informelle », le postulant se construisant « une image inconsciente » de ce qu’il voudrait être. Pour Nault (1999, p. 142), cette phase coïncide avec la « formation inconsciente » autrement dit aux

« antécédents biographiques » dont « le rêve et les expériences ». L’auteure (1999, p. 143) décrit parallèlement la construction de ce qu’elle appelle « le moi professionnel

personnalisé », réalisée tout au long de la carrière d’une enseignant. Ainsi, elle fait état d’un

« moi idéalisé » pour cette première phase qui peut aboutir à un premier « choc de la réalité », lorsque le postulant prend conscience « des savoirs requis pour exercer la profession ».

Vonk (1988, p. 50), quant à lui, ne distingue pas cette phase de la suivante (la formation initiale), la phase « pré-professionnelle » incluant la « période d’études et de formation initiale ».

II-2-2- La formation initiale

Ce stade, pour Nault (1999), représente un stade singulier, la formation se centrant « sur des savoirs professionnels et sur des applications pratiques en milieu de stage ». Nault (1999, p.

143) a choisi de le nommer « phase de socialisation formelle » car selon l’auteure, « les forces qui construisent le moi professionnel sont davantage extérieures au candidat ». Pour autant, le moi professionnel n’est pas forcément dépendant des « dogmes professionnels transmis pendant la formation initiale » par les différents formateurs (institution de formation et terrain). Ainsi, « plusieurs candidats se conforment aux normes sans pour autant y adhérer » conscients de « l’utopie de certains savoirs théoriques ou d’expérience ».

Dans un article intitulé Survivre à la première phase de la carrière, Huberman (1991) montre

« les carences » de la formation initiale. Pour l’auteur (1987, p. 16), quand bien même elle serait de qualité, la formation initiale ne prépare pas efficacement les enseignants débutants aux « réalités de la gestion de la classe » tant la prise de classe sous-tend « un saut qualitatif important ». En d’autres mots, le « novice » n’a ni l’occasion d’adapter les « routines » à des situations de classe de plus en plus complexes, ni l’opportunité d’expérimenter les apports livrés pèle mêle par l’institution de formation. Il est, selon Huberman (1991, p. 16) « un acteur qui choisit, dévie, transforme, rejette, déforme ces apports en fonction de ses schèmes d’accueil, schèmes plutôt non différenciés au départ, puis progressivement plus complexes, organisés, articulés au fur et à mesure de l’aller-retour entre l’institution de formation et le terrain ». Les stades 1 et 2 sont en conséquence absents du développement professionnel selon Huberman (1987, p. 14). Pour ce dernier, le stade suivant est le premier, le développement professionnel commençant au moment où l’enseignant fait ses premières armes dans une classe.

Si les conditions d’une professionnalisation ne sont pas remplies durant la formation initiale pour Huberman (1991), elle débute bel et bien pour Nault (1999) durant ce stade, quelle que soit la position du futur enseignant : en accord ou bien au contraire en opposition avec ce qu’il découvre sur le « terrain » ou ce qu’il apprend en formation. L’année de stage représente de notre point de vue une année charnière entre formation académique (première année de master) et exercice professionnelle (première année de titularisation). Les stagiaires se construisent une première identité professionnelle et acquièrent des compétences. Nous tenterons de connaître le point de vue des stagiaires sur la source de leurs (éventuelles) difficultés, considèrent-ils que ces premières difficultés font partie intégrante de leur apprentissage : sont-elles dues à un manque de formation (ESPE) ou à un manque d’expérience professionnelle ?

II-2-3- Les débuts dans la carrière enseignante

La phase qui suit la formation initiale est plus ou moins longue selon les auteurs. Ainsi, Vonk (1988, p. 50) singularise la première année de prise de fonction qu’il nomme « phase seuil ».

L’auteur la décrit également comme « la période de survie » durant laquelle l’enseignant débutant « cherche à se faire accepter de ses élèves, de ses collègues et de son chef d’établissement ».

Selon Vonk (1988, p. 55), l’évolution du débutant en classe, durant cette phase, se caractérise en six points :

- « une rationalisation du travail » qui se traduit par une planification du travail jour après jour ;

- « une certaine indépendance et une vaste liberté d’action » si les résultats des élèves et la gestion de classe sont satisfaisants aux yeux du débutant ;

- « une attitude plus professionnelle », une implication personnelle plus mesurée devant les problèmes des élèves ;

- une adaptation « au matériel existant, aux manuels en usage », ce qui a pour conséquence « des cours plus traditionnels » ; de plus, sous la « pression de l’environnement » et parce qu’ils ont peur des répercussions possibles sur la gestion de classe, les enseignants débutants auraient du mal à innover ;

- une gestion de la discipline qui évolue modestement : « ils ont simplement appris à réagir plus vite et à mieux anticiper les situations difficiles » ;

Pour Nault (1999, pp. 146-149), cette phase qu’elle appelle « phase d’insertion professionnelle » est plus longue ; elle est constituée de trois étapes distinctes qui se suivent :

« l’anticipation, le choc de la réalité et la consolidation des acquis ». La première étape est

« une étape d’euphorie anticipatrice (Merton et coll., 1957) », sans doute particulièrement présente au Québec, tant la signature du premier contrat y est aléatoire. Les débutants commencent en effet, par des remplacements et peuvent être appelés en cours d’année scolaire. Succède ensuite l’étape plus concrète du « choc de la réalité ou de première rencontre », l’enseignant a alors l’entière responsabilité « des actes professionnels qu’il pose » sans l’accompagnement des tuteurs.

L’auteure liste les émotions par lesquelles passe l’enseignant débutant sur le plan personnel :

« anxiété, insécurité, isolement, épuisement, frustration, besoin d’être reconnu, doute de soi… ». De plus, elle décrit « les mécanismes d’adaptation » que mettent en œuvre les débutants selon leur personnalité :

- le « conformisme aveugle » : les débutants tentent de reproduire ce qu’ils ont appris à l’université ou sur le terrain ou encore d’imiter un collègue ;

- le « conformisme réfléchi » : les débutants se conforment « aux us et coutumes d’une école tout en étant conscient des limites des structures professionnelles existantes » ; - le « conformisme dynamique » : ce mécanisme est adopté par des débutants « plus

audacieux, plus autonomes, plus confiants professionnellement ». Ils imposent au milieu « des solutions originales à leurs problèmes », conscients de ne pas se conformer aux habitudes prises par les enseignants plus expérimentés.

La construction du moi professionnel dépend donc des mécanismes d’adaptation choisis. Elle est inhibée ou au contraire renforcée selon l’attitude adoptée. Elle est donc en partie dépendante de la personnalité de l’enseignant débutant.

La dernière étape, est appelée « consolidation des acquis ». Cette consolidation se forme chez le débutant « au fur et à mesure de ses succès ». De l’avis de Nault, c’est durant ce stade que

« se construit un sentiment de confiance et de compétence considéré comme le pivot du développement d’un moi professionnel personnalisé ». Certains débutants adopteront alors une attitude par imitation, d’autres une attitude réflexive.

Pour Huberman (1989, p. 8), « l’entrée dans la carrière » se réalise durant les trois premières années d’enseignement et constitue donc la première phase du « cycle de vie des enseignants ». Il est alors question de « survie », le débutant étant confronté au « choc du

réel », à la réalité d’une classe, mais aussi de « découverte », le débutant ayant dans le même temps l’opportunité d’expérimenter et « d’avoir enfin sa propre classe, ses élèves, son programme » (Huberman, 1989, p. 7). Ce mélange de « fierté » et de doutes marque donc les débuts de l’enseignant (Huberman, 1989, p. 7). Selon l’auteur (1991, p. 16), le développement professionnel du débutant est freiné par les conditions de sa prise de fonction qu’il qualifie

« des plus surréels », le débutant étant mis « dans la même situation de complexité et de difficulté que l’enseignant expérimenté ». De plus, l’auteur (1991, p. 15) estime que « les conditions d’accueil exécrables au sein des établissements », rendent la première phase difficile, survivre à cette phase deviendrait alors « une sorte de rite de passage obligé ».

Ces constats rejoignent en partie nos propres constats en tant que conseillère pédagogique de circonscription, l’accueil au sein de l’équipe (très variable d’une école à une autre) joue a priori un rôle déterminant sur les débuts dans le métier du stagiaire ou du débutant. Certaines équipes estiment en effet que le « nouveau » doit faire ses preuves (rite de passage), d’autres l’accompagnent de très près afin qu’il trouve rapidement ses repères. Selon nous, dans le premier cas, les doutes prennent le pas sur le plaisir d’enseigner ; dans le second cas, les doutes sont dépassés et l’investissement des jeunes enseignants est décuplé.

Il est un point commun souligné par ces trois chercheurs, ce stade est décrit comme une période de survie tant le choc de la réalité est brutal. Des études plus récentes portant sur les préoccupations des stagiaires et des enseignants débutants mettent également en exergue ce sentiment de survie (Chapitre VII, paragraphe I).

II-2-4- Stabilisation et consolidation des acquis

Les débuts dans la carrière étant plus ou moins longs, ce stade débute au mieux après une année d’expérience professionnelle et perdure quelques années.

Ainsi, Vonk (1988, p. 50) décline-t-il ce stade en deux phases intermédiaires : une « phase d’acquisition, qui se situe en moyenne entre la deuxième et la septième année de métier », suivie d’une phase qu’il nomme « la première phase professionnelle ». L’enseignant, se reconnaissant alors comme un enseignant à part entière, atteindrait là un palier décisif dans son processus de professionnalisation.

Huberman (1989, p. 7) décrit quant à lui « une phase de stabilisation » (4 à 6 ans) » plus tardive car elle suit trois années de « tâtonnement » (stade des débuts dans la carrière).

L’enseignant a dépassé ses doutes, il a pris de l’assurance, il se sent enseignant au même titre

Pour Nault (1999, p. 150), la phase de « socialisation personnalisée » a lieu une fois que

« l’octroi de la permanence est confirmé officiellement ». Quand au Québec, l’entrée dans cette phase est aléatoire, en France, la titularisation des contractuels inscrits en deuxième année de master est prévue après une année de stage (plein temps). Durant cette année, les professeurs des écoles stagiaires sont accompagnés et suivis. Dans tous les cas, cette phase d’indépendance permet à l’enseignant débutant de s’émanciper, « il devient libre maintenant d’explorer des approches nouvelles plus conformes à ses aptitudes, à ses intérêts, voire même à ses croyances ». Plus confiant, il est donc en mesure de choisir la posture et les pratiques qui lui semblent pertinentes.

II-2-5- Tournant dans la carrière de l’enseignant

L’enseignant entame durant ce stade un tournant dans sa carrière. En se formant de lui-même et/ou via la formation continue, en approfondissant ses connaissances, deux possibilités s’offrent à lui : il fait évoluer ses pratiques, en expérimente de nouvelles et gagne en efficacité ou il donne un autre sens à sa carrière, ce qui peut parfois l’amener à changer de poste (conseiller pédagogique, chargé de cours…). Ainsi, Vonk (1988, p. 51) distingue-t-il deux phases : une « phase de réorientation personnelle et professionnelle parfois mentionnée en tant que « crise » de milieu de carrière ». S’il la dépasse, s’en suit alors « une deuxième phase professionnelle ». Huberman (1989, p. 7) décrit également deux phases intermédiaires, une phase d’« expérimentation ou de diversification » durant laquelle l’enseignant cherche une nouvelle façon d’enseigner, suivie d’une phase de « remise en question » légère ou totale, quant à son avenir professionnel.

Si ces chercheurs envisagent ce stade comme une phase critique, Nault (1999, p. 151) préfère décrire une phase de « socialisation de rayonnement » durant laquelle, l’enseignant devient un

« expert » de l’enseignement, cette phase perdure jusqu’à la fin de sa carrière.

II-2-6- La fin de carrière

Pour Vonk (1988, p. 51) et Huberman (1989, p. 7), ce stade a plutôt une connotation négative, pour Vonk, il correspond à une « phase d’arrêt progressif avant la retraite » ou à une phase de « conservatisme et plaintes » et pour Huberman, à une phase de « désengagement », qui peut être soit « serein », soit « amer ». Lors de cette phase, l’enseignant ferait ce qu’il sait

« déjà » faire, l’heure de l’innovation étant passée.

Dans leur revue de littérature, Uwamariya et Mukamurera (2005, p. 138) font référence aux trois auteurs cités ci-dessus (Huberman, Nault et Vonk) mais également aux trois « phases de la socialisation en enseignement » décrites par Zeichner et Gore (1990) et aux deux « niveaux de développement professionnel des enseignants », dépeint par Barone et al. (1996). Si Zeichner et Gore (1990) identifient, tout comme Nault (1999) une phase avant la formation initiale et une phase durant la formation initiale, la troisième phase, celle d’ « acquisition et de consolidation des compétences », perdure jusqu’à la fin de la carrière de l’enseignant (Uwamariya & Mukamurera, 2005, p. 138). Pour Barone et al. (1996), le premier niveau de développement professionnel débute après la formation initiale, tout comme pour Huberman (1989). La première année d’enseignement est à distinguer des années suivantes, l’enseignant étant alors un « novice, non flexible, incapable d’avoir une vision large sur les faits éducatifs ». Puis le novice devient « un débutant avancé » (deuxième et troisième années), car

« il devient responsable de ses actions » (Uwamariya & Mukamurera, 2005, p. 138). Lors du deuxième niveau de développement, Barone et al. (1996) décrivent un « enseignant compétent » qui va à l’essentiel, et qui devient peu à peu un « enseignant efficace ».

Si les chercheurs se sont attachés à décrire des stades correspondant à une évolution commune des enseignants, les stades et les repères ne sont pas identiques. Cette absence de consensus peut s’expliquer de plusieurs manières (pays d’enquête, nature des corpus, paradigme de recherche, …). Parallèlement, ces différences constatées entre les analyses de ces différents chercheurs nous laissent à penser que l’évolution professionnelle des enseignants n’est pas si homogène qu’il n’y paraît. Certains, dont Huberman (1989), insistent d’ailleurs sur différentes évolutions de carrière possibles.