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LES COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES DE L’ENSEIGNANT

I- 3- Schèmes, routines, habitus

La notion de schème est d’abord une notion piagétienne. Les « schèmes d’action » correspondent à « ce qui, dans une action, est […] transposable, généralisable ou différenciable d’une situation à la suivante, autrement dit ce qu’il y a de commun aux diverses répétitions ou applications de la même action. (Piaget, 1973, pp. 23-24) »

17 Nous reviendrons sur la notion d’enseignant professionnel dans le chapitre V, paragraphe III.

(Perrenoud, 1996a, p. 182). Les schèmes d’action permettent donc de répondre à des situations analogues (répétition) ou différentes (transposition). Reprise par Vergnaud (1999, p. 52) pour une analyse de l’activité, la notion de schème est déclinée en « quatre catégories d’éléments ». A titre d’exemple, nous illustrerons chacune d’elles en nous appuyant sur une recherche réalisée par Goigoux (2007, p. 55), portant sur une enseignante du primaire travaillant sur l’identification et la localisation d’un phonème :

• « le but, qui se décline en sous-buts et en anticipations au fur et à mesure que l'activité se déroule, ou doit se dérouler »

o « l’institutrice voulait aider chaque élève interrogé à trouver la réponse exacte au problème posé (localiser le phonème) et permettre à tous d’intérioriser les procédures utilisables pour réaliser ce type de tâche » ;

• « les règles d'action, de prise d'information et de contrôle qui engendrent le décours temporel de l'activité au fur et à mesure »

o « Ces règles étaient des règles d’action (la segmentation de la tâche en sous-tâches, la monstration des procédures adéquates, l’accentuation phonémique et la distorsion prosodique, l’alternance entre l’activité de la maîtresse et celle de l’élève, etc.), des règles de prise d’information (que cherche à faire l’élève, comment procède-t-il, qu’est-ce qui pose problème pour lui ?), et de contrôle (ai-je bien guidé ses procédures ? Peut-il les remobiliser sans aide ? Les autres élèves ont-ils pu les repérer ?) » ;

• « les invariants opératoires : c'est-à-dire les concepts-en-acte qui permettent de prélever l'information et de sélectionner celle qui est pertinente; et les théorèmes-en-acte, ou propositions tenues pour vraies dans l'activité, sur lesquels repose en dernier ressort l'organisation de l'action, de la prise d'information, de l'anticipation et du contrôle » ;

o « […] la maîtresse choisissait de traiter publiquement la difficulté rencontrée par un élève singulier. »

o « L’institutrice s’appuyait donc sur une proposition qu’elle tient pour vraie (un théorème-en-acte) et que l’on pourrait énoncer de la manière suivante : d’une part, il est possible et pertinent de décomposer la tâche de localisation de phonèmes en opérations élémentaires ; d’autre part, la démonstration des procédures utilisables peut profiter à tous, surtout si elle est accompagnée de verbalisations et qu’elle est soutenue par une représentation graphique ».

• « les possibilités d'inférence, qui sont justement la clef des adaptations en situation, et sans lesquelles les schèmes ne seraient que des stéréotypes, incapables de s'adapter au nouveau ».

o « […] imputer l’échec initial de l’élève à l’absence de décomposition de la tâche. »

Le schème « pour Vergnaud « c’est ce qui permet à l’action d’être opératoire » » (Altet, 1996, p. 35), c’est « l’organisation invariante de la conduite pour une classe de situations donnée » (Vergnaud, cité par Perrenoud, 1996a, p. 182).

Il est des situations pour lesquelles l’enseignant a recours aux routines dont il dispose. Dans

certaines situations, les schèmes disponibles s’avèrent inefficaces, le sujet est donc amené

« soit à changer de schème, soit à modifier ce schème ». L’expérience est alors déterminante puisque c’est « la confrontation à des situations à la fois comparables et toujours différentes » qui détermine la construction de nouveaux schèmes de pensée et d’action (Faingold, 1996, p. 144). Pour Goigoux (2007, p. 55), « le concept de schème nous est utile pour rendre compte à la fois des routines professionnelles et de l’inventivité des enseignants mis face à des situations certes répétitives mais toujours singulières ».

Pour Perrenoud (1996a, pp. 182-190), « notre habitus est fait de l’ensemble de nos schèmes de perception, d’évaluation, de pensée et d’action ». Pour l’auteur, « empruntée à Thomas d’Aquin par Bourdieu (1972, 1980), la notion d’habitus généralise la notion de schème ». Il y a « apprentissage » lorsque « l’adaptation est plus forte » ou lorsque qu’une nouvelle situation se répète, de nouveaux schèmes enrichissent alors l’habitus. Il ajoute que « l’habitus se forme » dès les premières expériences d’enseignement, durant les stages par exemple.

L’auteur décrit quatre mécanismes de l’action pédagogique « sous le contrôle de l’habitus » :

• « les routines » plus ou moins conscientes ne réclament pas de la part de l’enseignant une « mobilisation explicite de savoirs et de règles » ;

• cette mobilisation consciente ou non se réalise « au moment opportun », soit au moment où elle est le plus utile aux apprenants, ni trop tôt, ni trop tard ;

• « la microrégulation de l’action rationnelle », le prévu diffère du réalisé car « une partie de l’action est sous le contrôle de schèmes de perception, de pensée, de décision qui échappent à l’anticipation et même à la conscience claire » ; de plus, « l’enseignant est dépendant de tout ce qu’il est, de tout ce qu’il aime ou déteste », en d’autres termes, son action pédagogique dépend de son humeur, de la façon dont il perçoit la situation de classe, les élèves, etc. ;

• « la gestion de l’urgence et l’improvisation réglée » : l’enseignant peut lorsque la situation l’exige prendre des décisions hâtives, qui ne sont pas le fait du hasard mais de l’habitus.

Pour Charlier (1996, p. 105), les schèmes de perception « rendent les situations compréhensibles », les schèmes de décision et d’évaluation « guident l’action ». Les routines sont des « conduites plus ou moins automatisées » que l’enseignant mobilise via des schèmes d’action. Pour Crahay (1989, p. 88), l’enseignant recourt « pour l’essentiel à des routines comportementales » parce qu’il évolue dans une classe « où les évènements se succèdent à un rythme effréné » rendant impossible une réflexion « à toutes les étapes de son action ».

En d’autres termes, le schème de pensée, souvent inconscient, est mobilisé par l’enseignant pour agir alors que ce dernier est engagé dans une activité en cours. Selon Carbonneau et Hétu (1996, pp. 88-89), le novice, qui n’a pas intégré ces schèmes d’action, « doit prendre le temps d’analyser » la situation pour agir. Le « point aveugle » correspond à la mobilisation des schèmes d’action pour l’enseignant expert. Quand il se situe dans l’analyse pour le novice, « analyse dont résulte une représentation tronquée de la situation », cette représentation devient alors « objet d’interprétation » à travers la grille des schèmes d’action.

Ce « deuxième temps cognitif » est nécessaire au novice pour agir. Altet (1996, p. 36) utilise, quant à elle, « le concept de savoirs intermédiaires » afin de théoriser in fine les pratiques, ces savoirs appelés également « savoirs-outils » favorisent le développement du « savoir-analyser, véritable métacompétence qui permet de construire les compétences professionnelles ».

Encore une fois, nous nous attacherons à identifier cette distinction entre enseignants débutants et enseignants expérimentés, à travers nos données empiriques.