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LES COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES DANS UNE PERSPECTIVE ERGONOMIQUE

LES COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES DE L’ENSEIGNANT

II- LES COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES DANS UNE PERSPECTIVE ERGONOMIQUE

Nous nous appuierons ici essentiellement sur les travaux de J. Leplat (2000).

II-1- L’ergonomie selon J. Leplat (2000)

L’ergonomie « conjugue différents types de savoirs qui se distinguent par leur nature, leur articulation avec d’autres champs disciplinaires » (Gadbois & Leplat, 2004, p. 20). Les connaissances sont centrées sur des « milieux de travail » très variés (industrie, services, transport…). Les interventions ont « une visée de connaissance », avec ou sans « finalité d’aménagement » (Gadbois & Leplat, 2004, p. 14). D’après ces auteurs, les concepts et notions attachés au champ de l’Ergonomie seraient probants, quel que soit le milieu de travail étudié.

II-1-1- Activité et tâche

En ergonomie, l’analyse du travail est « synonyme d’analyse de l’activité » et la tâche « est le produit d’une activité en même temps qu’une source de l’activité » (Leplat, 2000, p. 6-7). La tâche est donc ici définie « par le but à atteindre et les conditions dans lesquelles il doit être atteint » alors que l’activité, « c’est ce qui est mis en œuvre par le sujet pour exécuter la tâche (Leplat, 1992, p. 24) » (cité par Beckers, 2007, p. 35). L’activité est donc étudiée en fonction de la tâche, « conditions externes », mais aussi à partir de l’agent, « conditions internes ».

« Les conséquences de l’activité agissent rétroactivement sur elle en fonction notamment de leur adéquation aux objectifs poursuivis par l’agent, d’une part, et fixés par la tâche, d’autre part. Ces deux types de boucles de régulation (interne et externe) donnent un caractère dynamique à toute activité » (Leplat, 2000, p. 11).

Les conditions externes regroupent les « conditions physiques », soit l’« environnement de travail (bruit, éclairement, vibrations, etc.) » ; les « conditions techniques », soit l’utilisation d’« outils » ou, d’ « instruments » et surtout les « contraintes techniques » liées à cette utilisation ; les « conditions organisationnelles » dépendantes de l’institution ; et « les conditions socio-économiques », soit « les conditions propres à la société globale […] plus

Les conditions internes « sont directement en jeu pour l’exécution de la tâche : traits physiques (taille, acuité visuelle, auditive, âge, etc.), compétences, ressources (avec leur aspect négatif, charge de travail, fatigue, etc.), personnalité, confiance dans le système, etc. ».

Elles incluent également « les caractéristiques relatives aux propres fins poursuivies par l’agent » (Leplat, 2000, p. 12).

Leplat (2000, p. 13) définit l’activité comme « la réponse de l’individu à l’ensemble de ces conditions ».

II-1-2- Tâches prescrite, redéfinie, effective

Leplat (2000, pp. 17-18) différencie la tâche prescrite, la tâche redéfinie et la tâche effective. La tâche prescrite est « fixée par celui qui en demande l’exécution, l’organisateur du travail ou le concepteur ». A partir de la tâche prescrite, l’agent se donne une tâche,

« tâche dite redéfinie ». La tâche effective correspond quant à elle, à l’activité de l’agent :

« c’est celle dont l’activité serait l’exacte réalisation ». Elle est donc souvent différente de la tâche prescrite.

La tâche prescrite requiert « une activité d’exécution – c’est-à-dire de mise en œuvre d’une procédure » ou bien « une activité d’élaboration de la procédure » lorsque la description de la tâche est implicite ou incomplète. Les représentations attachées « aux caractéristiques du sujet » et « au contexte de travail » auront aussi une incidence sur la tâche effective. Cette dernière « ne peut qu’être inférée de cette activité » (Leplat,1992, cité par Beckers, 2007, p.

36). Pour Leplat (1997, cité par Pastré & al., 2006, p. 147), « il y a toujours plus dans le travail réel que dans la tâche prescrite », et ce quelle que soit l’activité, une activité

« d’exécution » et/ou une activité « de conception ». Cet écart est dû à « la dimension cognitive présente dans toute activité de travail », que l’auteur nomme « la structure cognitive de la tâche ». Pour Perrenoud (2000, pp. 12-13), l’ergonomie a montré que « la compétence consiste précisément à rester efficace alors même que les conditions, les échéances, les moyens, les forces et les modalités du travail réel ne sont pas et ne peuvent pas être celles de la prescription ». Autrement dit, la compétence professionnelle, « c'est la capacité concrète d'agir en dépit de cet écart ».

Leplat (2000, p. 18) distingue « la tâche effective pour l’analyste […] de la représentation que se fait l’agent de sa propre activité d’exécution qu’on pourrait dire tâche effective pour l’agent ». Activité, tâche et agent sont interdépendants, « ces trois éléments forment un

système et sont le support de nombreuses interactions ». Aussi, dans le cas où la tâche et l’agent sont analysés séparément, « il ne faut pas oublier l’importance de leur couplage » (Leplat, 2000, p. 53). L’analyse de l’activité, à partir de l’agent, peut donc porter sur les compétences professionnelles, les métaconnaissances, l’âge, etc., soit sur ses caractéristiques personnelles. Elle peut également se situer au niveau « des propres fin de l’activité » de l’agent, « améliorer son image de lui-même et sa compétence, élever son statut social, ménager sa santé, assurer sa sécurité, etc. » (Leplat, 2000, p. 68). Nous verrons que les caractéristiques personnelles des enseignants (notamment celles des « novices ») ne peuvent être négligées tant elles permettent d’expliquer (au moins pour partie) leur activité (Cf.

Chapitre VII).

II-1-3- Les compétences

Leplat (2000, p. 58) distingue deux grands types de compétences : les compétences

« facilement explicitables » par l’agent qui les possède, ce dernier étant capable de les décrire et de les expliquer, et celles que l’agent ne peut expliciter, compétences qualifiées par l’auteur de « tacites, implicites, incorporées ». Ces dernières sont tellement intégrées par l’agent que celui-ci les connaît, sans être capable de les « verbaliser » directement. Toutefois, elles peuvent être verbalisées par l’agent « avec des méthodes d’analyse appropriées ». Les compétences explicites peuvent ne plus l’être avec l’expérience de l’agent, qui finit par les mobiliser inconsciemment. Une fois incorporées, les compétences permettent à l’agent de

« développer des compétences de plus haut niveau ». Les « schèmes d’action et les représentations fonctionnelles » font partie de ces compétences incorporées (Lefeuvre & al., 2009, p. 282)18.

Selon Leplat (2000, pp. 55-56),

• « les compétences sont finalisées », dans le sens où pour accomplir une tâche précise ou « une classe de tâches », l’agent possède des connaissances que l’auteur qualifie d’« opératives ou fonctionnelles » ;

• « les compétences sont apprises », on « devient » compétent « par un apprentissage formel ou non et par l’expérience », et les processus d’acquisition ne sont, de fait, pas uniformes ;

• « les compétences sont organisées en unités coordonnées pour la réalisation d’un objectif » ;

• « la notion de compétence est abstraite et hypothétique », les compétences ne sont donc pas observables, seules « les manifestations » des compétences le sont.

Par conséquent, pour celui qui observe et analyse, ces compétences ne sont pas directement accessibles, et ne peuvent être qu’induites. La compétence, selon Piot (2009, p. 261), « ne se déclare pas mais s’infère de la performance ». Autrement dit, pour Bru (2007, p. 215), les compétences ne sont pas « directement observables par le chercheur ». Elles ne sont donc visibles, évaluables qu’à travers ce qu’elles laissent à voir. Les observations sont ainsi souvent complétées d’entretiens qui permettent d’inférer l’activité. C’est pourquoi nous tenterons d’identifier, à partir d’observations filmées et d’entretiens, des traces de l’acquisition de compétences.

Gadbois et Leplat (2004, p. 12) proposent « une classification des compétences en trois catégories :

1. Les compétences reposant sur des connaissances extériorisées directement exploitables, ou sur des documents orientés vers la pratique (par exemple, notice d’utilisation, procédure écrite d’exécution de contrôle).

2. Les compétences reposant sur l’intériorisation des connaissances précédentes. Il n’est plus besoin de consulter les documents précédents qui ont été mémorisés et rendus ainsi immédiatement disponibles.

3. Les compétences qui reposent sur des acquisitions pratiques non préalablement explicitées. Ce sont des connaissances liées à l’action, qui adhèrent à cette action et qui s’expriment par elle. »

La deuxième et la troisième catégories désignent « les compétences incorporées » (qui ne sont pas sans rappeler la notion d’habitus) définies ainsi par Gadbois et Leplat (2004, p. 12) de la façon suivante :

« Elles sont caractérisables par les propriétés suivantes : elles sont facilement accessibles, peu coûteuses sur le plan de la charge mentale, très liées au contexte, difficilement dissociables. »

Ces compétences résultent soit « de l’intériorisation de compétences initialement explicitées » (deuxième catégorie), soit « de compétences acquises par l’exécution des actions » (troisième catégorie). Cette « connaissance-en-action » correspond pour Schön (1983, cité par Gadbois

& Leplat, 2004, p. 12) à une « expérience » qu’il considère comme le « mode de connaissance pratique ordinaire ». Les compétences des deuxième et troisième catégories sont difficilement « verbalisables ». « Intériorisées » par le sujet, elles ne sont plus explicitables

« par le langage » mais « par l’action », sauf en « cas d’incident », incident l’obligeant à

« trouver les éléments d’analyse » nécessaires à la résolution du problème.

Pour autant, ces « routines intellectuelles » ont « un rôle ambigu » selon Gadbois et Leplat (2004, pp. 12-13), dans la mesure où elles permettent au sujet « un fonctionnement économique » l’autorisant à se centrer sur d’autres éléments de la situation mais elles sont aussi « un facteur de sclérose susceptible de figer l’activité et de lui faire perdre progressivement son caractère adaptatif ».

Notons que les compétences expliquent les activités de l’opérateur en ergonomie, mais que ces activités peuvent être erronées et les compétences inefficaces.

Qu’en est-il des compétences professionnelles dans le milieu de travail des enseignants ?