• Aucun résultat trouvé

LES ENSEIGNANTS EXPÉRIMENTÉS

I- 2- Du métier à la profession d’enseignant

Lessard (2000, p. 93) distingue deux sens attribués au mot profession :

« Au sens du Dictionnaire Robert, une profession est « une occupation déterminée dont on peut tirer ses moyens d'existence » (1968, 1399). Elle est alors synonyme de

20 Loi n° 2005-380 du 23 avril 2005

métier, fonction, état. Une profession peut aussi être entendue comme référant à « un métier qui a un certain prestige par son caractère intellectuel ou artistique, par la position sociale de ceux qui l'exercent » (1968, 1399). »

Selon l’auteur, nous nous attacherions davantage au premier sens en France, au deuxième

« dans les pays anglo-saxons et dans la sociologie fonctionnaliste des professions ».

Dans la littérature scientifique, la distance d’un métier à une profession, « comme type idéal » relèverait du « degré d’autonomie du travailleur ». L’autonomie dans « la manière de réaliser les tâches prescrites », n’est cependant jamais totalement « absente » quel que soit le métier, ni « totale » quelle que soit la profession (Perrenoud, 2010, pp. 121-122). La question de la professionnalisation d’un métier ne peut se poser qu’à partir de « multiples dimensions ».

Parmi les treize dimensions présentées par Perrenoud (2010, pp. 124-126), il en est deux qui selon lui, seraient « dominantes » : « la nature du prescrit et le degré d’autonomie au travail » et « la référence à un état de l’art et des savoirs ». Concernant la première dimension, l’enseignant, en fonction de ce qui est attendu de lui, de son contexte d’enseignement et de sa personnalité, adapte ses pratiques avec une large autonomie.

S’agissant de la deuxième dimension, il est espéré que « les professionnels se réfèrent à des savoirs fondés à la fois sur la recherche scientifique et sur ce qui est défini comme « l’état de l’art » dans leur discipline ». Pour autant, les savoirs des sciences de l’éducation « jouent un rôle mineur dans la régulation des pratiques » des enseignants. Ce qui fait dire à l’auteur que l’enseignement ne serait qu’une « semi-profession » :

« Faute de référence à un état de l’art et/ou de la science qui garantirait un contrôle par les pairs comme « gardiens des savoirs communs pour enseigner », l’enseignement pourrait bien rester une semi-profession. Et rien n’assure que l’universitarisation fasse la différence. »

Lessard (2000, p. 94), quant à lui, juge qu’une activité est professionnelle « si elle est considérée comme essentielle à la société, si elle est exercée selon un idéal de service, par des individus dotés d'une formation spécialisée, longue, exigeante et – depuis le vingtième siècle - en liaison avec l'université, mobilisant un ensemble de savoirs complexes, sinon scientifiques, du moins toujours abstraits, systématisés et codifiés (Friedson, 1 986) ». De par la complexité du métier, l’enseignant ne peut se limiter à appliquer des règles, à conduire son enseignement sans l’adapter au contexte scolaire qui est le sien ainsi qu’à ses élèves ; il se doit au contraire de faire évoluer ses pratiques, voire d’innover. Le métier d’enseignant ayant beaucoup évolué ces dernières années, l’auteur estime que « la plupart des enseignants ont un comportement typiquement professionnel, qu'ils sont, en ce sens, des « professionnels » ».

Si l’auteur (2000, p. 97) identifie, en outre, des « progrès sur la voie de la professionnalisation », il constate également « des reculs et des retraits », soit une

« déprofessionnalisation ». Ainsi, par exemple, l’enseignant est-il devenu l’« applicateur de programmes d’enseignement conçus, de manière fort détaillée, par d’autres ». Pour autant, Lessard (2000, p. 99) n’adhère pas à « la thèse de la prolétarisation », le métier exigeant, entre autres, « une certaine forme de « réflexivité » dans l’action ».

En plus de la thèse de la prolétarisation (l’enseignant - ouvrier), d’autres thèses (l’enseignant - artisan et l’enseignant - artiste) ont été développées dans la littérature scientifique.

Bourdoncle (1993, p. 99-102) décrit ces différentes « conceptions alternatives » relatives à l’enseignant.

Au début des années 80, l’enseignant est décrit comme un ouvrier dans la littérature anglo-saxonne, il doit répondre à une demande institutionnelle de plus en plus accrue et exigeante, voire « contrôlée » : « On est amené à en faire plus, ou plus exactement à liquider tout ce que l'on doit faire, plutôt qu'à faire mieux » (Apple, 1982, cité par Bourdoncle, 1993, p. 100). Les contenus d’enseignement ne sont plus le fruit d’une réflexion des enseignants, ils sont devenus « le produit d'une « noosphère », sphère des gens qui pensent les pratiques pédagogiques et prétendent les rationaliser » (Perrenoud, 1995, pp. 10-11) » (cité par Lessard, 2000, p. 97). Ces différentes contraintes auraient eu pour effet de prolétariser le métier. Selon Bourdoncle (1993, p. 100), si les faits étaient « bien réels », il n’en restait pas moins qu’« en faire des signes évidents de la prolétarisation des enseignants était plus contestable ».

L’enseignant est décrit comme un artisan lorsque « l'acquisition du métier se fait en grande partie par compagnonnage, moyen le mieux adapté pour tout ce qui peut se transmettre par imitation ». Ici, le savoir est « expérientiel », appris en enseignant, mais ce savoir selon Bourdoncle (1993, p. 100) n’est ni explicite, ni contextualisé. De plus, le « caractère reproducteur » de l’observation - imitation limite la nécessaire adaptation de la pratique en fonction des élèves ou du contexte d’enseignement.

L’enseignant est enfin décrit comme un artiste et l’enseignement comme un art. Ici, ce sont

« les facteurs de personnalité, de sensibilité et de créativité » qui généreraient « d’excellents apprentissages ». L’enseignant, plus qu’il n’enseigne, communique avec « passion » et captive ainsi son auditoire.

Bourdoncle (1993, p. 100) en conclut que « l'activité enseignante est donc par nature composite ». Tour à tour ouvrier, artisan et artiste « selon le moment, les élèves et lui-même »,

l’enseignant chercherait à trouver un équilibre.

Quant aux stagiaires, ils ne remettent pas en cause le modèle du professionnel, mais adhèrent davantage au modèle de l’artisan. Une fois titularisés, « les qualités de la personne » prennent le pas sur « les compétences techniques de la maîtrise disciplinaire » (Buhot & Cosnefroy, 2011, p. 31).

Paquay & Wagner (1996, pp. 155-163), quant à eux, font état de « six types de paradigmes relatifs à la nature de l’enseignement » : un « maître instruit », un « technicien », un

« praticien-artisan », un « praticien réflexif », un « acteur social » et une « personne ».

L’enseignant artiste n’apparaît pas ici explicitement ; en revanche, le maître instruit, celui qui enseigne « ce qu’il sait » via un modèle transmissif, fut longtemps la figure archétypique du maître. On le retrouve parfois encore dans les représentations initiales des futurs enseignants notamment ceux qui se destinent à enseigner dans le second degré (Cf. Chapitre VIII, paragraphe III). Les trois derniers paradigmes sont plus récents, dont « l’acteur social engagé dans des projets collectifs ». Le praticien réflexif est privilégié en formation, mais selon les auteurs, « il ne faudrait pas oublier qu’un excès de réflexion paralyse l’action ». Aussi, il conviendrait de ne négliger aucune de ces conceptions du métier, qui sont de l’avis des auteurs « complémentaires », chacune d’entre elles répondant à des objectifs différents. Aussi,

« la personne enseignante » ne doit pas être oubliée, et « viser la constitution d’une identité professionnelle ancrée sur le plaisir d’enseigner » devrait être également une priorité en formation initiale.

L’enseignant est donc défini via de multiples caractéristiques, qu’il mobilise alternativement selon la situation d’enseignement/apprentissage. Aussi, la maîtrise de « savoirs académiques acquis et certifiés » et l’obtention d’un concours ne suffisent plus pour enseigner (le maître instruit), « il faut désormais se convertir à l’idée d’une implication personnelle dans une multitude de tâches destinées à enrôler les élèves » (Rayou & Van Zanten, 2004, p. 59). Au regard de la professionnalisation du métier d’enseignant, la notion de compétence traduit

« l’exigence des performances dans un univers devenu concurrentiel » et par conséquent « se substitue à la notion de qualification », le diplôme ne suffisant plus (Piot, 2009, p. 261).

L’activité enseignante ne se limite pas, non plus à l’acquisition de gestes techniques, elle nécessite l’acquisition de savoirs pluriels ainsi qu’une adaptation permanente aux élèves et à

l’enseignant une réflexion sur ses pratiques d’enseignement/apprentissage. La complexité de l’activité enseignante nous amène à croire qu’elle relève bel et bien d’une activité dite professionnelle.

I-3- La professionnalité

Maubant et Roger (2012, p. 5) établissent « un lien étroit entre le processus (la professionnalisation) et le résultat attendu (la professionnalité) dans le sens d’une nouvelle identité voire d’une posture professionnelle à construire ». Les compétences nécessaires à l’exercice du métier sont donc acquises par l’enseignant via un processus de professionnalisation dont « la finalité intrinsèque et essentielle » est la professionnalité.

Pour Altet (1996, p. 30), le modèle de professionnalité enseignante qui est le nôtre aujourd’hui est celui de « l’enseignant professionnel, praticien réfléchi », cela sous-entend qu’« à la dialectique théorie-pratique se substitue un va-et-vient entre pratique-théorie-pratique ». L’enseignant professionnel (notion que nous définirons plus avant dans le paragraphe III) parce qu’il est capable de « réfléchir en action », analyse sa pratique, trouve une solution au problème rencontré et la met en pratique. Ainsi la professionnalisation « se constitue ainsi par un processus de rationalisation des savoirs mis en œuvre, mais aussi par des pratiques efficaces en situation ».

L’auteure (1996, p. 31), ajoute que la spécificité de la profession enseignante se caractérise également dans l’axe enseignement-apprentissage, l’enseignant est « un professionnel de l’interaction des significations partagées », autrement dit « un professionnel de l’apprentissage, de la gestion des conditions d’apprentissage et de la régulation interactive en classe ». Aussi, la « communication » avec les élèves est-elle une dimension essentielle à l’acte d’enseigner car c’est par le jeu des interactions que les élèves apprennent21.

Pour Perez-Roux (2012, p. 70), la professionnalité ne se limite pas à l’acquisition des compétences « d’ordre didactique, pédagogique, relationnel, organisationnel et éthique » attendues par l’institution, « elle rend compte par ailleurs de la capacité à faire face aux exigences professionnelles réelles en situation ». Des compétences autres que celles attendues

21 Les interactions maître-élèves, composante des pratiques enseignantes, représentent en ce sens une dimension majeure dans l’acte d’enseigner.

par l’institution sont développées et maîtrisées par l’enseignant, la réalité d’une classe ne pouvant être complètement balisée ou anticipée. Ainsi, par exemple, des « qualités personnelles et ressources diversifiées »22 représentent des dimensions inhérentes à la professionnalité. La question de la « personne » telle qu’elle est posée par Paquay et Wagner (1996, p. 155), longtemps négligée, semble donc essentielle (nous développerons un concept connexe, celui de l’identité professionnelle chapitre VII, paragraphe I-1).