• Aucun résultat trouvé

LES ENSEIGNANTS EXPÉRIMENTÉS

IV- 2- Tuteurs / Stagiaires : une relation complexe

S’agissant de la relation tuteur - stagiaire, Maulini (2010, p. 77) nous alerte sur « le double piège du regard de sens commun sur ce qu’on nomme professional induction ou introduction à la profession : constater sans surprise que les débuts sont difficiles, dédouaner la formation de penser les rapports entre amont et aval de la qualification ». Selon l’auteur, quel que soit le dispositif mis en place, nous nous exposons alors à « deux formes de déqualifications : celle des jeunes enseignants, diplômés, mais jugés incompétents ; celle de leurs collègues plus expérimentés, estimés incapables de leur fournir un accueil approprié dans un milieu de travail collectivement organisé à cette fin ». Eviter ces pièges n’est pas aisé, les novices attendant des formateurs/tuteurs des réponses immédiates et concrètes, et les tuteurs attendant des novices un niveau de maîtrise des compétences professionnelles suffisant, les élèves n’ayant pas à pâtir de leur manque d’expérience. Discours et représentations des uns et des autres peuvent donc être sources d’incompréhension.

Selon Wittorski et Briquet-Duhazé (2010b, p. 218), « le développement professionnel est finalement vécu comme une « épreuve » » par les stagiaires. Ainsi, par exemple, les discours des tuteurs ne sont pas toujours « congruents », les priorités diffèrent et/ou les conseils ne

TU se focalise sur « une analyse de l’expérience qui se doit d’être distanciée et étayée par des savoirs scientifiques » (Vanhulle, 2009, p. 170). Chaliès et Durand (2000, p. 149) décrivent des relations « traversées par d’inéluctables conflits qui naissent notamment d’une véritable

« lutte de pouvoir » entre les superviseurs universitaires et les tuteurs ». Cette rivalité n’est pas sans conséquence sur les stagiaires, un discours divergent voire contradictoire les plaçant dans une situation délicate.

De plus, les visites des tuteurs ont souvent une dimension évaluative (validation institutionnelle des stages). Certains tuteurs qui souhaiteraient aider, se trouvent donc dans l’obligation d’évaluer, ce qui les place dans une position « scabreuse ». Le stagiaire sait que le tuteur doit l’évaluer ; sur ses gardes, son discours peut manquer de spontanéité. Le tuteur aide le stagiaire, l’amène à réfléchir sur sa pratique et évalue dans le même temps son niveau de compétence ainsi que sa capacité à mener une analyse réflexive. L’évaluation fausse alors les interactions tuteurs/tutorés.

Selon Hoff (2010, p. 162), les jeunes maîtres « souhaitent d’abord un discours prescriptif nourri de conseils, de pistes de travail, de « solutions » susceptibles de les aider à enrichir leurs pratiques et à dépasser certaines difficultés […] ». Il se peut que les novices, conscients de leurs difficultés, attendent de la part du tuteur des réponses claires leur permettant de les dépasser rapidement. Il se peut encore qu’ils soient capables d’analyser leurs difficultés et de trouver sans l’aide d’un formateur des débuts de solution. Pour autant, les novices attendraient de celui-ci des conseils pragmatiques qui leur feraient gagner un temps précieux. Quant aux tuteurs, ils ont, pour la plupart, pour ambition de développer chez les novices « le savoir analyser » (Altet, 1994), compétence qui leur permettra de gagner en autonomie et en efficacité à moyen terme. Ce manque de convergence entre les attentes des uns et des autres peut être source de malentendus.

Par ailleurs, Goigoux et al. (2010, p. 41) ont montré que les tuteurs sont, de l’avis des débutants, trop ambitieux à leur égard. Mais « si l’on attend trop ou trop tôt d’un débutant, ne prend-on pas le risque de le renvoyer à une impuissance démobilisatrice ? ». Pour les auteurs (2010, p. 42), la solution « consiste à chercher à définir, pour chaque public en formation, où se situe le potentiel de développement de chacun ». Il en est de même pour Piot (2012, p. 91) qui estime que « l’accompagnement, lorsqu’il se situe dans la zone de proche développement professionnel du novice, devient alors un vecteur de construction de schèmes d’action et un

catalyseur de professionnalisation, au sens que Bruner (1983) donne au tuteur ». La

« dimension temporelle » inhérente à une évolution professionnelle est donc à prendre en compte (Perez-Roux, 2007, p. 149). Le stagiaire va en effet gagner en autonomie tout au long de son stage. Ses attentes et besoins évoluant dans le temps, les formes de tutorat pourraient s’ajuster à cette évolution. La tâche n’est pas aisée du point de vue des chercheurs. Toutefois, les recherches portant sur le sujet pourraient faciliter cette estimation. Dans le chapitre dédié à la formation initiale, nous avons fait valoir l’intérêt d’une formation progressive, qui coïnciderait davantage à l’évolution professionnelle des étudiants et stagiaires (Chapitre VI, paragraphe II-3).

Selon Boutin, (1999, p. 44), les tuteurs, maîtres expérimentés, à qui l’on demande « souvent de transmettre leur savoir faire, leur connaissance du métier, de léguer un héritage, en un mot de préparer la relève » ont tendance à « encourager l’imitation plutôt que l’autonomie chez le nouvel enseignant dans le but, très souvent, d’épargner à ce dernier de trop grands efforts d’adaptation ». Il est alors tentant pour le novice de se plier aux attendus, de suivre l’exemple donné (« genre » enseignant) et de s’épargner ainsi une réflexion qui lui permettrait pourtant de « développer son style propre ». Ces professeurs expérimentés sont selon l’auteur (1999, p. 52) « inquiets ». On leur demande, en effet, de former des novices « avec souvent, pour seule préparation leur bonne volonté » alors que leur domaine d’expertise se limite souvent à la classe et aux élèves.

Il n’est d’ailleurs pas rare que ces formateurs de terrain se nourrissent des apports des stagiaires « sur des points particuliers sur lesquels ils estiment être moins bien formés » qu’eux (Serres, 2010, p. 300). Selon Chaliès et Durand (2000, p. 152), « l'expérience pratique favorise […] le développement du professionnalisme des tuteurs […] en contribuant directement à leur formation continue ». Les tuteurs se remettent en question dans le bon sens du terme, se tiennent informés des innovations pédagogiques, s’inspirent ce qu’ils observent pour faire évoluer leurs pratiques. Ils sont amenés à se poser des questions, à analyser leurs propres pratiques, à les verbaliser et par conséquent à en prendre conscience. De ce point de vue, l’expérience pratique « constitue un véritable élan pour relancer les carrières professionnelles » (Chaliès & Durand, 2000, p. 152).

Pour autant, ces tuteurs de terrain ne sont, eux-mêmes, pas ou trop peu accompagnés dans

formés, se tiennent davantage informés des résultats de la recherche. Acculturés via des échanges informels ou un partage de démarches, d’outils, de techniques…, ils privilégient en conséquence un tutorat qui favorise la réflexion des « novices » sur leurs pratiques.