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La Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies : la morale comme concept

PIDCP (B) permet de retracer ce chemin et de comprendre l’origine nationale du mécanisme et de

3. La Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies : la morale comme concept

éthique

Le 24 septembre 1948, l’Assemblée générale a envoyé le projet de déclaration à la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et en lien avec les droits de la personne.

À ce moment, la plupart des représentants nationaux avaient accepté le principe de l’article 27 du projet, quant à la possibilité de limiter l’exercice des droits et libertés pour certains motifs. Cela ne les a toutefois pas empêchés de tenter d’en modifier largement la forme, désirant voir supprimer ou ajouter ici et là un membre de phrase. Ainsi, l’analyse des débats de la 153e à la 155e

session de travail confirme que les délégués souhaitaient retenir une disposition qui reflétait deux postulats précis concernant les limites imposées à l’exercice des droits et à la jouissance des libertés. Premièrement, les droits de la personne ne peuvent être limités que par des lois et deuxièmement, ces lois ne peuvent être adoptées que pour protéger la morale, l’ordre public ou le bien-être général dans une société démocratique donnée104.

Plus encore, les expressions « morale » et « ordre public » ont été débattues, essentiellement parce que la Nouvelle-Zélande a souhaité les supprimer105. Bien que cette proposition

d’amendement ait été retirée, et par conséquent jamais votée, les débats demeurent pertinents106.

La représentante de la Nouvelle-Zélande a justifié sa proposition en soulignant que ces expressions empiétaient l’une sur l’autre. La représentante du Royaume-Uni a précisé que l’expression « morale » devait être conservée, puisqu’il s’agissait d’un concept éthique absent de la disposition107. Le représentant libanais a soutenu une position similaire, argüant que

l’expression « ordre public » n’était pas nécessaire puisque le reste du libellé de cette phrase l’incluait implicitement. Toutefois, il a soutenu que la notion de « morale » devait être conservée puisqu’elle « exprime un aspect spirituel de la vie, qui ne peut être inclus dans le concept

104 Summary Record of the 153th Meeting, Doc off CES, 1948, 153e séance, Doc NU A/C.3/SR.153; Summary Record of the 154th Meeting, Doc off CES, 1948, 154e séance, Doc NU A/C.3/SR.154; Summary Record of the 155th Meeting, Doc off AG NU, 1948, 155e séance, Doc NU A/C.3/SR.155. 105 Projet de déclaration internationale des droits de l’homme, Doc off AG NU, 3e sess, Doc NU A/C.3/267. 106 Summary Record of the 154th Meeting, Doc off CES, 1948, 154e séance, Doc NU A/C.3/SR.154 à la p 660. 107 Summary Record of the 154th Meeting, Doc off CES, 1948, 153e séance, Doc NU A/C.3/SR.153 à la p 647.

matérialiste du bien-être général »108. En ce sens, il rejoignait la position anglaise. En définitive,

aucun des représentants n’a distingué les concepts de morale et d’ordre public.

Le représentant de la délégation française a plaidé en faveur du statu quo. En effet, il a rappelé les précédentes discussions au sujet des divergences linguistiques des expressions « general welfare » et « ordre public ». Cette dernière expression avait selon lui un sens plus limité en français et aucune expression ne traduisait bien l’idée. De son point de vue, l’ordre public faisait référence à « ce qui est essentiel à la vie d’un pays, notamment – et au premier chef – sa sécurité »109. Finalement, le représentant de l’URSS a tenu à préciser que « la notion de morale est sujette à nuances et que la morale d’un régime socialiste est certainement d’un ordre plus élevé que celle d’un régime capitaliste, où l’homme est exploité par l’homme »110. Cette position n’a reçu aucun appui officiel ni commentaire.

L’amendement de la Nouvelle-Zélande a finalement été rejeté et la disposition du projet, connue dans la DUDH comme étant l’article 29, a été adoptée comme suit : Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. *** Quatre constats émergent de l’étude des travaux préparatoires relatifs à la clause générale qui restreint l’exercice et la jouissance des droits et libertés prévus à la DUDH et précisément l’expression de la morale.

Premièrement, le mécanisme de la clause générale est le fruit d’un compromis entre les partisans de cette dernière et les défenseurs de limites précisément incluses aux différents droits et libertés. La confrontation de ces deux visions sera résolue inversement au sein du PIDCP qui se veut un traité international plus précis que la DUDH. En effet, celle-ci consiste plutôt en une déclaration programmatoire.

108 Summary Record of the 154th Meeting, Doc off CES, 1948, 153e séance, Doc NU A/C.3/SR.153 à la p 651. 109 Summary Record of the 154th Meeting, Doc off CES, 1948, 154e séance, Doc NU A/C.3/SR.154 à la p 653. 110 Summary Record of the 154th Meeting, Doc off CES, 1948, 154e séance, Doc NU A/C.3/SR.154 à la p 655.

Deuxièmement, l’idée même d’inclure une restriction à l’exercice de certains droits et libertés provient de l’étude des constitutions nationales des négociateurs qui limitaient notamment la liberté de religion. En effet, certains États s’étaient déjà octroyé la possibilité de circonscrire les droits des personnes sur leur territoire pour des raisons morales, d’ordre public ou de sécurité.

Troisièmement, s’il est fait mention indistinctement des expressions « morale », « moralité publique » et « bonnes mœurs » au sein des constitutions nationales étudiées lors des négociations, non seulement n’ont-elles fait l’objet d’aucune discussion, mais l’expression « morale » a été retenue au projet du Comité de rédaction sans plus de débat.

Quatrièmement, les délégués se sont penchés, à de rares occasions, sur les motifs justifiant la restriction à l’exercice des droits et libertés. Il a été affirmé que la notion de bien-être général n’incluait pas les notions d’ordre public et de morale. Inversement, il a été affirmé que si en anglais ces deux notions étaient bien incluses dans l’idée du bien-être général, la morale et l’ordre public étaient distincts en français. Aucun délégué n’a précisé la teneur de ces notions ni comment elles s’articulaient entre elles. Il a tout de même été précisé que l’ordre public consistait, en droit français, en une notion de nature administrative et qu’elle consistait en common law en une notion liée au désordre public. Finalement, quelques délégués ont indiqué que la morale avait un caractère éthique et spirituel que l’on ne trouvait nulle part ailleurs dans la DUDH.

En somme, l’étude des travaux préparatoires de la DUDH confirme l’origine nationale du mécanisme comme de l’emploi de l’expression de la morale. Il s’agit donc d’une notion de nature régalienne.

B. L’adoption des clauses limitatives du Protocole international relatif aux droits

économiques, sociaux et culturels et du Protocole international relatif aux droits

civils et politiques : les enseignements tirés des négociations de la Déclaration

universelle des droits de l’homme

Le PIDESC et le PIDCP incluent des clauses restrictives. Or, si le premier pacte ne prévoit qu’une clause générale sans mention de la morale (1), le second renferme des clauses précises liées à l’exercice de certains droits et libertés qui incluent la morale au titre d’un motif de restriction (2). L’étude des travaux préparatoires de ces deux pactes permet d’éclaircir quelque peu les raisons qui ont poussé les délégués à faire ce choix et la notion de moralité publique.

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