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Le PIDESC compte deux dispositions qui présentent l’expression de la morale ; celles-ci ne sont toutefois pas intégrées à notre analyse, car elles ne se présentent pas sous la forme d’un mécanisme d’exception. Elles apparaissent plutôt comme une protection contre l’exploitation de la moralité des enfants et des adolescents dans le secteur du travail (art 10(3)) et comme l’assurance du respect de l’éducation religieuse et morale des enfants et des adolescents dans le respect du choix des parents ou des tuteurs (art 13(3)).

Cependant, comme dans le cas de la DUDH, ce traité prévoit à son article 4 une clause générale de limitation, sans toutefois inclure la morale au titre d’un motif de restriction :

Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent que, dans la jouissance des droits assurés par l’Etat conformément au présent Pacte, l’Etat ne peut soumettre ces droits qu’aux limitations établies par la loi, dans la seule mesure compatible avec la nature de ces droits et exclusivement en vue de favoriser le bien-être général dans une société démocratique.

Initialement, la morale était prévue au projet du PIDESC, mais elle a été retirée sur la base d’un compromis entre les négociateurs. Plus encore, les brefs débats concernant les motifs de restriction ont donné lieu à un commentaire sur la morale.

Le premier projet de déclaration constituait également le premier projet du PIDESC et du

PIDCP : la Division des droits de l’homme du Secrétariat des Nations Unies avait préparé un seul

document comportant tous les droits et libertés. Par conséquent, l’origine de l’article 4 du PIDESC est identique à celle de l’article 29(2) de la DUDH. Ainsi, rappelons qu’au départ la clause de restriction générale n’incluait pas la morale. Celle-ci a été ajoutée par amendement au titre des motifs de limitation de l’exercice des droits et libertés.

C’est en 1951, lors d’une réunion de la Commission des droits de l’homme, que la délégation américaine a présenté une proposition pour l’ajout d’une clause générale afin de limiter précisément les droits économiques, sociaux et culturels111. La possibilité d’adopter un seul pacte était alors discutée. La proposition se lisait comme suit :

Each State party to the Covenant recognizes that in the enjoyment of those rights provided by the State in conformity with this Part of the Covenant, the State may subject such rights only to such limitations as are determined by law and solely for the purpose of securing due

recognition and respect for the rights and freedoms of others and of meeting the just requirements of morality, public order and the general welfare in a democratic society.112

La représentante américaine a justifié sa proposition de manière déductive. Puisque les dispositions du Pacte adoptées jusqu’à ce jour étaient libellées de manière absolue (« The States

Parties to this Covenant recognize the right of everyone… »), mais que la DUDH prévoyait à son

article 29(2) une clause générale restreignant l’exercice des droits et libertés, il était logique qu’une telle disposition, incluant les mêmes motifs, soit prévue au Pacte. Plus encore, comme il était envisagé que des clauses précises seraient adoptées pour les libertés civiles et politiques, une clause précise pourrait suffire pour les droits économiques, sociaux et culturels. En effet, ces derniers étaient formulés en termes d’accomplissement progressif et dans le respect des capacités des États à atteindre les objectifs.

Reconnaissant l’importance de ne pas accorder des droits et libertés de manière absolue, le représentant de l’Uruguay a affirmé que l’expression « aux justes exigences de la morale » incluait deux notions – la justice et la morale – qui soulevaient des problèmes interprétatifs. Il a fait remarquer que ce même problème d’interprétation se posait avec les expressions « ordre public » et « bien-être général ». Il a conclu en affirmant que tous ces termes n’avaient pas été pleinement définis. Pour cette raison, il a suggéré que la Commission n’adopte qu’un seul motif à la clause générale, c’est-à-dire les intérêts de la communauté dans une société démocratique.

La représentante américaine a accepté de modifier sa proposition afin de retirer les motifs de la morale et de l’ordre public sans plus de discussion. Le délégué français a appuyé la proposition américaine sans l’amendement uruguayen par souci de cohérence avec l’article 29(2) de la DUDH.

En plus des tenants de son abolition, de nombreux amendements ont été proposés à la clause générale pour la quasi-totalité des segments de phrase du libellé. Ainsi, c’est à partir des discussions entourant l’expression « aux limitations établies par la loi » que le délégué français a fait une déclaration sur la signification de l’expression « morale » incluse dans la clause générale :

The law could be precise. And where, for example, a law referred to ‘’morality’’, the courts gave their interpretation of what was meant by that concept. However, the concept of morality had evolved through the ages, and hence the legal interpretation was influenced by common

112 Draft International Covenant on Human Rights and Measures for Implementation: Proposal Relating to a

General Clause Concerning Economic, Social and Cultural Rights, Doc off AG NU, 1951, Doc NU

law. Accordingly, he favoured the retention of the formula ‘’determined by law’’.113 (Nous soulignons.)

La représentante du Royaume-Uni a appuyé le délégué français et soutenu que le texte de la

DUDH, lequel avait été étudié, ne devait pas être modifié.

En définitive, la proposition américaine a été amendée pour n’inclure que le bien-être général, traduit par l’expression welfare, le seul motif qui eu fait consensus, et a été adoptée, non sans critiques. À titre d’exemple, le délégué français, qui a voté contre la proposition, a déclaré que s’il était en faveur du principe d’une clause générale, il ne pouvait souscrire à la formulation adoptée. En effet, il a rappelé que le texte de la clause générale avait été étudié lors des débats entourant la

DUDH et que rien ne justifiait de s’en écarter. Le représentant de la Grèce a souligné que le libellé

de cette clause était dorénavant insatisfaisant d’un point de vue légal. Au final, plusieurs délégués ont affirmé que malgré l’inclusion d’une clause générale concernant précisément les droits économiques, sociaux et culturels, il était possible de limiter précisément certaines libertés, comme la liberté d’expression. Or, le Pacte ici négocié a été ultérieurement scindé entre le PIDESC et le PIDCP114 ; la liberté d’expression avec sa clause restrictive a ainsi été incluse au second pacte,

et seule la clause générale a été incluse au premier.

Le 5 février 1952, l’Assemblée générale a accédé à la demande de l’ECOSOC de mandater la Commission des droits de l’homme pour préparer deux pactes, l’un prévoyant les droits civils et politiques, l’autre les droits économiques, sociaux et culturels. Elle a également considéré qu’il convenait « d’améliorer la rédaction [des articles prévoyant les droits économiques, sociaux et culturels], qui ont été examinés […] afin d’assurer une protection plus efficace des droits auxquels ils se rapportent »115. Si les libellés des dispositions du PIDESC ont été largement étudiés, la clause

générale de restriction à l’exercice des droits et libertés n’a pas été modifiée. Le dernier projet

113 Summary record of the 236th meeting, Doc off CES NU, 1951, 7e séance, Doc NU, E/CN.4/SR.236.

114 C’est par la résolution A/Res/543 (VI) du 5 février 1952 que l’Assemblée générale a accédé à la demande

de l’ECOSOC de mandater la Commission des droits de l’homme pour préparer deux pactes, l’un prévoyant les droits civils et politiques, l’autre les droits économiques, sociaux et culturels. L’Assemblée générale a de plus demandé que ce nouveau mandat s’inscrive dans la poursuite des travaux déjà accomplis et que les textes des deux pactes soient aussi similaires que possible.

115 Preparation of Articles on Economic, Social and Cultural Rights, Rés CES 544 (VI), Doc off CES NU, 6e sess,

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