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C HAPITRE 2 L’ INTERPRÉTATION D ’ UNE INGÉRENCE NÉCESSAIRE À LA PROTECTION DE LA MORALITÉ PUBLIQUE : À LA RECHERCHE DE L ’ ÉQUILIBRE ENTRE L ’ EXERCICE DES DROITS ET

précisément de la notion de morale ou de moralité, a été confirmé par les quelques déclarations

C HAPITRE 2 L’ INTERPRÉTATION D ’ UNE INGÉRENCE NÉCESSAIRE À LA PROTECTION DE LA MORALITÉ PUBLIQUE : À LA RECHERCHE DE L ’ ÉQUILIBRE ENTRE L ’ EXERCICE DES DROITS ET

LIBERTÉS

,

ET L

INGÉRENCE DES

É

TATS

L’interprétation d’une ingérence dans l’exercice d’un droit ou la jouissance d’une liberté a tôt fait de susciter l’intérêt des États parties aux conventions et traités du droit international des droits de la personne, mais également des instances judiciaires et quasi judiciaires, tout particulièrement du Comité des droits de l’homme. Or, au fil des décisions du Comité des droits de l’homme, elle a également suscité de l’inquiétude auprès de certains États parties au PIDCP, justifiant l’adoption des Principes de Syracuse concernant des dispositions du Pacte international

relatif aux droits civils et politiques qui autorisent les restrictions ou des dérogations168. Bien que

non contraignant, ce document fait état des principes et des critères d’interprétation des restrictions aux droits et libertés, largement repris depuis par le Comité des droits de l’homme. Il précise la notion de moralité publique en ces termes :

La moralité publique variant selon les époques et les cultures, l’Etat qui invoque la moralité publique comme motif pour restreindre les droits de l’homme, tout en jouissant d’une certaine marge d’appréciation, doit démontrer que la restriction apportée est essentielle pour assurer le respect des valeurs fondamentales de la communauté.169

Les Principes de Syracuse sont au nombre de 14 : (1) seules les restrictions inscrites au Pacte sont admises ; (2) le respect de la nature du droit concerné par une restriction doit être assuré ; (3) l’interprétation restrictive des limitations s’impose, et ce, (4) dans l’esprit de la loi et du contexte du droit ; (5) la compatibilité de la restriction avec l’objet et le but du PIDCP ainsi que (6) le but invoqué et les autres droits mentionnés doivent être confirmés ; (7) au moment d’interpréter une mesure, le caractère arbitraire est interdit ; (8) la possibilité de contestation et de réparation en cas d’abus d’une restriction doit être assurée ; (9) des considérations objectives dans l’appréciation d’une restriction doivent être prises en compte ; (10) une restriction doit être nécessaire ; (11) l’application d’une restriction ne doit pas être réalisée à l’aide de moyens plus restrictifs qu’il n’est nécessaire ; (12) l’État doit justifier la restriction qu’il invoque ; (13) toute restriction doit être compatible avec les autres droits reconnus par le Pacte ; (14) la protection la

168 Principes de Syracuse concernant des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques qui autorisent les restrictions ou des dérogations, Doc off CES NU, 41e sess, Doc NU E/CN.4/1985/4

[Principes de Syracuse].

plus étendue d’un droit doit être respectée, et ce, même en vertu d’autres obligations internationales s’imposant aux États.

Ces principes interprétatifs confirment qu’une ingérence en matière de droit de la personne a uniquement pour objectif de restreindre l’exercice ou la jouissance d’un droit ou d’une liberté ; il ne s’agit pas, pour l’État, d’annihiler l’existence même du droit ou de la liberté, mais bien de circonscrire son exercice. Par conséquent, la portée d’un droit ou d’une liberté ne peut être réduite ou annulée par l’exercice d’une restriction étatique. En ce sens, le Comité des droits de l’homme a tôt fait de rappeler dans son Observation générale no 22 que « les restrictions imposées doivent être prévues par la loi et ne doivent pas être appliquées d’une manière propre à vicier les droits garantis ». Il a de plus clairement affirmé dans son Observation générale no 27 qu’une limitation ne peut atteindre l’essence même d’un droit170. Une mesure de moralité publique

pourra donc justifier la violation d’un droit garanti ou d’une liberté protégée par le PIDCP, mais elle ne pourra pas éroder un droit de manière à ce qu’il devienne illusoire171.

L’interprétation des ingérences par la Cour européenne s’est développée parallèlement et généralement dans le même sens que les Principes de Syracuse. Par exemple, elle a clairement reconnu dans les affaires Demir et Baykara c Turquie et Matelly c France, le principe de la

restriction lorsqu’elle a affirmé que les ingérences quelles qu’elles soient « ne doivent pas porter

atteinte à l’essence même du droit de s’organiser.172 »

170 Observation générale no 27, Doc off CDH NU, 1999, Doc NU CCPR/C/21/Rev.1/Add 9 au para 13. Le Comité a réitéré sa position dans son Observation générale no 34, Doc off CDH NU, 2011, Doc NU

CCPR/C/GC/34 au para 21 : « les restrictions qu’un État partie impose à l’exercice de la liberté d’expression ne peuvent pas compromettre le droit lui-même ». Cette affirmation est également conforme à l’article 5 du PIDCP : « Aucune disposition du présent Pacte ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et des libertés reconnus dans le [...] Pacte ou à des limitations plus amples que celles prévues audit Pacte. » 171 Leo Hertzberg et al c Finlande, Déc CDH 61/1979, Doc off CDH NU, 15e sess, Doc NU CCPR/C/OP/1 (1985),

dissidence. Pour l’analyse de la décision du Comité des droits de l’homme, Infra, partie 1, chapitre 2, section 1, A, 2. Ce principe a également été rappelé dans l’affaire Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi c

République de Corée, Déc CDH 1321-1322/2004, Doc off CDH NU, 88e sess, Doc NU CCPR/C/88/D/1321- 1322/2004 (2007) au para 8,4, en matière d’objecteur de conscience « une telle restriction ne doit pas porter atteinte à l’essence même du droit en question ».

172 Demir et Baykara c Turquie, n° 34503/97, [2008] V CEDH 333 au para 97. Voir Matelly c France,

n° 10609/10 (2 octobre 2014) au para 57. Ce principe a également été affirmé dans les affaires de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Constitutional Rights Project, Civil Liberties

Organisation and Media Rights Agenda c Nigéria, Comm 140/94, 141/94, 145/95, 13 th ACHPR AAR Annexe

V (1999-2000), en ligne :

Au-delà de ces principes et afin d’encadrer l’ingérence des États, les traités relatifs aux droits de la personne proposent des critères, en des termes similaires, inclus dans le libellé de chacune des dispositions qui ont le potentiel d’être restreints. Trois conditions cumulatives doivent être remplies : l’ingérence doit être prévue par la loi173, elle doit viser un but légitime – telle que la

moralité publique – et elle doit être nécessaire à la protection de ce but légitime174. Dans le cadre

de l’analyse de la nécessité de la mesure, certaines dispositions des traités de protection des droits de la personne prévoient également que l’ingérence « devra être compatible avec les autres droits reconnus » ou s’interpréter en fonction des standards de la société démocratique175.

Afin de procéder à l’interprétation des ingérences au motif de la nécessité de protéger la moralité publique, la Cour européenne a appliqué la marge d’appréciation, laquelle s’est transposée, à différents degrés, dans les institutions de promotion et de protection des droits de la personne176. Or, concernant précisément le Comité des droits de l’homme, le « mystère »

demeure entier : ce dernier refuse catégoriquement d’invoquer, il rejette même, le concept de la marge d’appréciation, et ce, malgré sa mention dans les Principes de Syracuse et son utilisation implicite177. Officiellement, cette prise de position du Comité souffre d’une exception. En effet,

<http://www.worldcourts.com/achpr/eng/decisions/1999.11.15_Constitutional_Rights_Project_v_Nigeria_1 40-94_141-94_145-95.htm et de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples dans Tanganyika

Law Society, The Legal and Human Rights Centre et Révérand Christopher R Mtikila c République-Unie de Tanzanie, n° 009/2011 et 011/2011 (4 juin 2013).

173 Afin d’analyser le motif de moralité publique, le tribunal doit reconnaître que l’ingérence est prévue par

la loi. L’ensemble des décisions répertoriées a reconnu que les ingérences étaient prévues par la loi. Toutefois, la Cour européenne a déjà reconnu qu’une mesure n’était pas fondée sur une loi et n’a pas procédé à l’analyse des motifs soulevés pour justifier l’ingérence. Par exemple, à l’arrêt Tommasso c Italie [GC], no 43395/09 (23 février 2017), la Cour s’est prononcée sur le respect de l’article 2 du Protocole no 4 de la CEDH qui prévoit la liberté de circulation. Elle a déterminé que la loi italienne n’était pas suffisamment

précise et prévisible pour être considérée valide au sens du premier critère, justifiant de reconnaître la violation de la liberté de circulation du requérant.

174 Voir le libellé à l’annexe I ; CEDH, art 6, 8, 10, 11 ; Protocole no 4, art 2 ; CADH, art 12, 13, 15, 16, 22 ; PIDCP, art 12, 18, 19, 21, 22.

175 Voir par exemple l’article 12 du PIDCP et les dispositions de la CEDH qui énoncent qu’une restriction

devra « être nécessaire, dans une société démocratique, à la protection de la morale ». Toutefois, aucune des dispositions du PIDCP qui prévoient une clause de restriction ne mentionne la société démocratique comme le fait la Convention européenne.

176 Voir par exemple Julian Arato, « The Margin of Appreciation in International Investment Law » (2014)

Va J Int’l L 545 ; Eirik Bjorge, “Been There, Done That: The Margin of Appreciation and International Law” (2015) 4:1 Cambridge Journal of International and Comparative Law 181; Yuval Shany, “Towards a General Margin of Appreciation Doctrine in International Law” (2005) 16 EJIL 907; Dean Spielmann, “Allowing the Right Margin the European Court of Human Rights and the National Margin of Appreciation Doctrine: Waiver or Subsidiarity of European Review?” (2012) 14 Cambridge YB Eur Legal Stud 381.

177 Dominic McGoldrick, « A Defence of the Margin of Appreciation and an Argument for its Application by

the Human Rights Committee » (2016) 65:1 ICLQ 21. L’auteur plaide pour la reconnaissance de la marge

une décision rendue en matière de moralité publique évoque explicitement l’application de la marge d’appréciation. Comme il sera démontré, cette exception explicite est accompagnée de plusieurs autres manifestations implicites de cette notion dans la « jurisprudence » du Comité.

Ainsi, bien qu’une importante littérature sur la marge d’appréciation en droit européen ait d’ores et déjà été rédigée178, un retour sur ce concept s’avère nécessaire afin d’en faire ressortir

les liens qui l’unissent à la norme de moralité publique. En raison de cette marge, le juge international ne procède pas à l’étude de la norme morale ni à celle du choix des moyens pour protéger la moralité publique. Au terme de cette analyse, on pourrait penser que la marge de

nationale d’appréciation par le Comité des droits de l’homme. Voir également Alex Conte et Richard Burchill,

Defining Civil and Political Rights : The Jurisprudence of the United Nations Human Rights Committee, 2e éd, Londres, Routlegde, 2009; Yutaka Arai-Takahashi, dir, The Margin of Appreciation Doctrine and the Principle

of Proportionality in the Jurisprudence of the ECHR, Anvers, Intersentia, 2002 à la p 44; P R Ghandhi, The Human Rights Committee and the Right of Individual Communication: Law and Practice, Aldershot, Ashgate,

1998 à la p 14. Comme le soulignent Alex Conte et Richard Burchill, la différence marquée dans l’application de la marge nationale d’appréciation entre la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme est essentiellement apparente en matière de sécurité nationale. Si la première a laissé une large marge aux États afin d’intervenir en ce sens, le Comité a restreint celle-ci. Alex Conte et Richard Burchill, Defining Civil and Political Rights: The Jurisprudence of the United Nations Human Rights

Committee, 2e éd, Londres, Routlegde, 2009 à la p 44.

178 Mentionnée pour la première fois dans le rapport de la Commission européenne dans l’affaire Grèce c Royaume-Uni, elle a fait l’objet de plus de 700 décisions et arrêts des juges de Strasbourg. Grèce c Royaume- Uni (1958), n° 176/56, 2 Comm EUR DH Rec 1 aux pp 172-197. La Grèce soutenait que le Royaume-Uni violait la CEDH à Chypre alors que le Royaume-Uni invoquait l’aricle 15 qui l’autorisait à déroger à sen engagements en raison d’une situation d’urgence. La Commission s’est jugée compétente pour trancher cette affaire, tout en affirmant que l’État « doit pouvoir conserver une certaine marge d’appréciation. » Cette cause a finalement trouvé un dénouement politique et non juridique. Sur la marge d’appréciation, voir notamment Yutaka Arai-Takahashi, The Margin of Appreciation Doctrine and the Principle of Proportionality in the

Jurisprudence of the ECHR, Anvers, Intersentia, 2002; Oddny M. Arnardottir, « The Differences that Make a

Difference: Recent Developments on the Discrimination Grounds and the Margin of Appreciation under Article 14 of the European Convention on Human Rights » (2014) 14:4 Human Rights Law Review 647; Onder Bakircioglu, « The Application of the Margin of Appreciation Doctrine in Freedom of Expression and Public Morality Cases » (2007) 8:7 German Law Journal 611; Eyal Benvenisti, « Margin of Appreciation, Consensus, and Universal Standards » (1999) 31 International Law and Politics 843; Eirik Bjorge, « Been There, Done That: The Margin of Appreciationand International Law » (2015) 4:1 Cambridge Journal of International and Comparative Law 181; Sarah Joseph, Jenny Schultz et Melissa Castan, dir, The International Covenant on Civil

and Political Rights: Cases, Materials, and Commentary, 2e éd, Oxford, Oxford University Press, 2005; Jan Kratochvíl, « The Inflation of the Margin of Appreciation by the European Court of Human Rights » (2011) 29 Neth QHR 324; Jo M Pasqualucci, The Practice and Procedure of the Inter-American Court of Human Rights, 2e éd, Cambridge, Cambridge University Press, 2003; Matthew Saul, « The European Court of Human Rights’ Margin of Appreciation and the Processes of National Parliaments » (2015) 15:4 Human Rights Law Review 745; Françoise Tulken et Luc Donnay, « L’usage de la marge d’appréciation par la Cour européenne des droits de l’Homme. Paravent juridique superflu ou mécanisme indispensable par nature ? » (2006) 1 Revue de Sciences criminelles 3.

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