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À certains égards, la thèse et la typologie des consensus trouvent écho dans les travaux du Comité des droits de l’homme. En effet, il n’est pas exclu pour les États parties, les requérants ou le Comité de faire appel à la pratique des États parties ou signataires du PIDCP pour appuyer leur raisonnement. On trouve ainsi certains exemples d’un consensus entre les parties, c’est-à-dire un consensus international équivalent au consensus européen déterminé au sein des États membres du Conseil de l’Europe. Les États ou les requérants ont également tenté l’argument du consensus international ainsi que du consensus interne ou d’expert.

521 Andrew Legg, The Margin of Appreciation in International Human Rights Law: Deference and

Proportionality, Oxford, Oxford University Press, 2012 à la p 119.

L’affaire Juliet Joslin et al permet d’aborder le consensus international. La Nouvelle-Zélande s’est référée à la pratique universelle et uniforme des États pour justifier son point de vue : « aucun État partie n’autorise les mariages homosexuels et aucun État n’a non plus interprété le Pacte comme faisant obligation de l’autoriser et n’a en conséquence émis de réserve à ce sujet523 ». La requérante a répondu qu’un État, les Pays-Bas, autorisait le mariage homosexuel à

l’époque de la communication et que les recherches des historiens « indiqu[ai]ent que diverses sociétés de différentes régions du monde [avaient], à des époques variées, reconnu les unions homosexuelles524 ». Tous ces arguments ont été ignorés par le Comité des droits de l’homme qui a

préféré s’en tenir à une lecture littérale du PIDCP.

Bien que ne s’inscrivant pas dans les débats entourant l’ingérence de moralité publique, la dissidence dans l’affaire Larrañaga c Philippines525, où un ressortissant hispano-philippin a été

condamné à mort par les Philippines, offre un exemple d’une analyse de l’argument du consensus. Le Comité s’est appuyé sur une décision phare de la Cour européenne, Öcalan c Turquie526, pour confirmer sa décision selon laquelle une « condamnation de l’auteur à la peine de mort à l’issue d’une procédure au cours de laquelle les garanties énoncées à l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue un traitement inhumain en violation de l’article 7 du Pacte ». En dissidence, il a été rappelé que si un large consensus favorable à l’abolition de la peine de mort se dégageait de la communauté européenne, rien de tel ne pouvait être conclu au sein de la communauté des États parties ou signataires du PIDCP ou de son Deuxième protocole facultatif visant à abolir la

peine de mort527 puisqu’au moment du prononcé de l’affaire, seulement 57 États étaient parties et

7 États étaient signataires de ce dernier. Le manque de consensus a fait dire à une membre du Comité que « les convictions intimes des membres du Comité concernant la peine de mort ne les autorisent pas à ignorer le texte conventionnel et à faire abstraction du consentement d’États souverains », et ce, malgré le fait que la peine de mort ait été abolie aux Philippines528. La majorité

523 Juliet Joslin et al c Nouvelle-Zélande, Déc CDH 902/1999, Doc off CDH NU, 75e sess, Doc NU

CCPR/C/75/D/902/1999 (2002) au para 4.3.

524 Juliet Joslin et al c Nouvelle-Zélande, Déc CDH 902/1999, Doc off CDH NU, 75e sess, Doc NU

CCPR/C/75/D/902/1999 (2002) au para 3.4. 525 Larrañaga c Philippines, Déc CDH 1421/2001, Doc off CDH NU, 87e sess, Doc NU CCPR/C/87/D/1421/2005 (2006). 526 Öcalan c Turquie, no 46221/99, [2005] IV CEDH 47. 527 Larrañaga c Philippines, Déc CDH 1421/2001, Doc off CDH NU, 87e sess, Doc NU CCPR/C/87/D/1421/2005 (2006) en dissidence. 528 La peine capitale n’était pas en vigueur aux Philippines au moment du prononcé de la décision.

du Comité n’a d’aucune manière fait mention de l’argument du consensus des parties au PIDCP ou au Deuxième protocole facultatif529.

Dans l’affaire Yoon c République de Corée, le Comité des droits de l’homme a cette fois considéré la pratique des États en matière d’imposition d’un service militaire obligatoire, en affirmant que « si l’on regarde la pratique des États » en matière d’objecteur de conscience, « on constate qu’un nombre croissant d’États parties au Pacte, qui maintiennent le service militaire obligatoire, ont mis en place un dispositif de substitution à ce service ». Plus encore, le Comité affirme que dans ces circonstances « l’État partie n’a pas montré quels désavantages particuliers découleraient pour lui du plein respect des droits que l’article 18 reconnaît aux auteurs530 ». Cette

affirmation concernant le consensus au sein des États parties est intéressante notamment pour trois raisons.

Premièrement, le Comité des droits de l’homme semble intensifier son examen des faits en présence d’un consensus international, s’ouvrant à la pratique des États parties qui favorisent largement l’adoption d’une mesure de remplacement en matière de service militaire obligatoire pour la comparer à la pratique de l’État défendeur. Toutefois, rien ne permet, à la lecture de la décision, de comprendre sur quelle base le Comité a identifié cette pratique des États.

Deuxièmement, la décision n’a pas été unanime puisqu’une membre a émis une dissidence, précisément sur l’argument du consensus. Tout en reconnaissant la présence d’une pratique internationale au sein des États parties au PIDCP en faveur de l’adoption d’une mesure d’exception pour les objecteurs de conscience, elle soutient que ce consensus n’a pas atteint un seuil qui puisse justifier la décision majoritaire. Elle souligne l’absence d’éléments de preuve en ce sens alors qu’il existe toujours un système de conscription sans droit à l’objection de conscience dans un certain nombre d’États parties. Par conséquent, elle semble préciser sa précédente dissidence en plaidant pour une preuve appropriée du consensus, s’il en est un.

Troisièmement, la République de Corée a soutenu qu’il n’existait pas de consensus national sur le « point de permettre des limitations du service militaire531 ». Cet argument aurait pu justifier

529 Deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant l’abolition

de la peine de mort, 15 décembre 1989, 1642 RTNU 414 (entrée en vigueur : 11 juillet 1991).

530 Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi c République de Corée, Déc CDH 1321-1322/2004, Doc off CDH NU,

88e sess, Doc NU CCPR/C/88/D/1321-1322/2004 (2007) au para 8.4.

531 Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi c République de Corée, Déc CDH 1321-1322/2004, Doc off CDH NU,

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