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b La proportionnalité de l’ingérence : le moyen doit servir le but légitime ou la confirmation

3. L’interprétation consensuelle et la modulation de la marge de manœuvre des États

D’abord soulevée par les États, puis par la défunte Commission européenne pour finalement être adoptée par la Cour, l’interprétation consensuelle est bien établie dans la jurisprudence européenne, et ce, en fonction de différentes dispositions de la Convention européenne461. Plus

encore, chaque ingérence de moralité publique a été interprétée à la lumière de l’argument du 460 Handyside c Royaume-Uni (1976), 24 CEDH (Sér A) 1, 1 EHRR 737 au para 48.

461 Voir notamment Neumeister c Autriche (1968), 8 CEDH (Sér A) 1 ; Grèce c Royaume-Uni (1958), n° 176/56, 2 Comm Eur DH Rec 1 ; Golder c Royaume-Uni (1975), 18A CEDH (Sér A) 1 ; Tyrer c Royaume-Uni (1978), 26 CEDH (Sér A) 1.

consensus, précisément dans le cadre de l’examen de la nécessité462. Ainsi, au-delà des critères

établis qui permettent d’évaluer une ingérence dans un droit ou une liberté protégés se trouve l’interprétation consensuelle. En effet, l’identification ou l’absence d’un consensus fait varier l’ampleur de la marge de manœuvre reconnue aux États. À ce titre, la Cour européenne a affirmé que si « la Convention [est] avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, [elle] doit tenir compte de l’évolution de la situation dans l’Etat défendeur et dans les Etats contractants en général463 ». Ce constat est d’autant plus important qu’il module, dans la quasi-totalité des

décisions étudiées, la reconnaissance ou le rejet d’une mesure de moralité publique.

La Cour n’a pas défini le terme « consensus » ou l’expression « consensus européen », conservant le flou autour d’une notion qui pourtant est rappelée depuis de nombreuses années dans plus d’une centaine de décisions464. Bien que l’expression « consensus européen » soit

généralement employée, les appellations varient : un « consensus international se fait jour au sein des Etats contractants du Conseil de l’Europe465 », « en l’absence d’un consensus européen466 »,

une « norme commune précise au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe467 », une

« norme européenne468 » ou encore un « consensus [qui] se dessine au sein des Etats contractants

du Conseil de l’Europe » qui, en anglais, était rendu par « a general trend469 ». De plus, si le sens

commun de l’expression « consensus » commande l’unanimité, la Cour l’utilise comme une tendance, « a general direction in which something is developing or changing470 ». La Cour ne

recherche donc pas de législation similaire, mais bien une convergence législative et pratique 462 De nombreuses décisions ont porté sur le consensus européen. Ne sont étudiées ici que les principales décisions qui portent sur la moralité publique. 463 Christine Goodwin c Royaume-Uni, no 28957/95, [2002] VI CEDH 45 ; Pretty c Royaume-Uni, no 2346/02, [2002] III CEDH 203 au para 74. Voir en ce sens Cossey c Royaume-Uni (1990), 184 CEDH (Sér A) 1 au para 35 ; et Stafford c Royaume-Uni, no 46295/99, [2002] IV CEDH 153 aux para 67-68. 464 L’arrêt fondateur de l’interprétation consensuelle : Tyrer c Royaume-Uni (1978), 26 CEDH (Sér A) 1. Voir Jeffrey A. Brauch, « The Dangerous Search for an Elusive Consensus: What Supreme Court Should Learn from the European Court of Human Rights » (2009) 52:2 How LJ 277 à la p 278. Voir également, Luzius Wildhaber, Arnaldur Hjartarson et Stephen Donnelly, « No Consensus on Consensus? The Practice of the European Court of Human Rights » (2013) 33 HRLJ 248 à la p 249 ; Kanstantsin Dzehtsiarou, European Consensus and the Legitimacy of the European Court of Human Rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 aux pp 17-20, où l’auteur répertorie de nombreuses décisions en fonction des dispositions de la CEDH. 465 Lee c Royaume-Uni, no 25289/94 (18 janvier 2001) au para 95. 466 Evans c Royaume-Uni, no 6339/05, [2007] I CEDH 393 au para 54, alors que la Cour renvoie également à l’arrêt Vo c France, no 53924/00, [2004] VIII CEDH 1 au para 82. 467 T c Royaume-Uni, no 24724/94 (16 décembre 1995) au para 72. 468 X, Y et Z c Royaume-Uni, no 21830/93, [1997] II CEDH 1 au para 44. 469 Ünal Tekeli c Turquie, no 29865/96, [2004] X CEDH 213 au para 61. 470 Oxford Dictionnary of English, Xe éd, sub verbo « consensus ».

entre les États membres471. Il s’agit ainsi bien d’une présomption en faveur d’une solution qui est

adoptée par une majorité des États parties à la Convention européenne.

Dans son étude, le professeur Dzehtsiarou a dégagé deux « lieux » d’expression du consensus – la norme et le principe – ainsi qu’une typologie en quatre temps des formes que peut revêtir le consensus. Eu égard à la norme, il soutient que si une règle est soulevée, la Cour choisira la plupart du temps de reconnaître cette tendance européenne et limitera ainsi la marge d’interprétation des autorités. Il mentionne l’exemple des cas de protection des enfants ou des victimes d’agression sexuelle472. Au lieu d’attendre l’unanimité de la norme juridique dans une

matière donnée, la Cour reconnaît l’évolution ou la tendance générale. Ainsi, si le consensus concerne la norme, l’État qui le conteste devra présenter un argumentaire des plus convaincants pour justifier son non-respect du consensus dégagé, car la Cour considèrera ce consensus comme décisif473. Inversement, lorsque la Cour interprète un principe, elle assimile l’expression du

consensus européen à celle d’unanimité, essentiellement pour clarifier un terme générique. À titre d’exemple, la Cour a utilisé l’argument du consensus pour clarifier les termes inclus à l’article 3 de la CEDH qui interdisent la torture et les autres traitements inhumains et dégradants en les comparants avec la Convention des Nations Unies contre la torture474. Cela lui a permis de dégager

une unanimité dans la compréhension de ces ternes au sein des États membres du Conseil de l’Europe.

Toujours selon le professeur Dzehtsiarou, quatre types de consensus se sont forgés au fil de la jurisprudence européenne : le consensus basé sur une analyse comparative du droit et de la pratique des États membres ; le consensus fondé sur les instruments internationaux ; le consensus

471 X, Y et Z c Royaume-Uni, no 21830/93, [1997] II CEDH 1 au para 40 ; Christine Goodwin c Royaume-Uni,

no 28957/95, [2002] VI CEDH 45 ; Pretty c Royaume-Uni, no 2346/02, [2002] III CEDH 203 aux para 84-85. Voir en ce sens Kanstantsin Dzehtsiarou, European Consensus and the Legitimacy of the European Court of

Human Rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2015.

472 Voir par exemple Zaunegger c Allemagne, no 22028/04 (3 décembre 2009) au para 60. Si la Cour ne

reconnaît pas de consensus quant à la garde des enfants par le père sans le consentement de la mère, elle soutient tout de même qu’il y a consensus quant au motif d’action des États parties qui repose sur le meilleur intérêt de l’enfant. Voir M C c Bulgarie, no 39272/98, [2003] XII CEDH 45 au para 156. La Cour reconnaît l’évolution du traitement des victimes d’agression sexuelle. Historiquement, une preuve de l’utilisation de la force ou de la résistance de la victime était demandée afin de reconnaître celle-ci comme telle. À l’époque du jugement, une nette tendance se dessinait pour rejeter cette compréhension de l’agression sexuelle, tant en Europe qu’ailleurs dans le monde.

473 Kanstantsin Dzehtsiarou, European Consensus and the Legitimacy of the European Court of Human Rights,

Cambridge, Cambridge University Press, 2015 à la p 16.

interne d’un État membre ; et le consensus d’expert. Il soutient, avec raison, que seul le premier type de consensus peut être qualifié d’européen, en ce sens qu’il est fondé sur le droit et la pratique des États membres, représentant ainsi leur standard commun. Un parallèle pourrait être

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