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manœuvre laissée aux États leur fait croire qu’une mesure de moralité publique sera valide par

essence (Section 1). Or, les interprétations se succédant, plusieurs éléments ont été ciblés par la Cour européenne et le Comité des droits de l’homme afin de contrôler les ingérences et, par conséquent, la norme de moralité publique179. La défense de moralité publique n’est pas acquise pour l’État qui s’ingère

dans l’exercice des droits et libertés de ses citoyens. En définitive, si les États peuvent choisir différents mécanismes de protection de la moralité publique, ceux-ci doivent respecter un certain nombre d’enseignements tirés de la jurisprudence régionale et internationale en matière de promotion et de protection des droits de la personne (Section 2).

En somme, suivant une méthode dialectique, ce chapitre permet de dégager les enseignements tirés des interprétations de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme relatifs à la moralité publique.

S

ECTION

1.

L

A STRICTE RETENUE DANS L

INTERPRÉTATION DE LA NORME MORALE

De nature régalienne, sociale et évolutive, la norme de moralité publique justifiait, selon la Cour européenne, l’adoption d’une marge de manœuvre le moment venu d’analyser une ingérence180. Quoiqu’aujourd’hui il refuse catégoriquement de la reconnaître181, le Comité des

droits de l’homme l’a implicitement employée (A). En effet, l’incertitude normative que peuvent

179 Voir l’annexe IV qui présente les principaux arrêts de la Cour et les principales décisions du Comité qui

traitent de moralité publique.

180 La professeure Mireille Delmas-Marty souligne que le mot « marge » « suggère l’idée d’une certaine

possibilité de faire un pas de côté, de s’écarter de quelque chose, de bénéficier d’une certaine latitude. Mais l’expression contient aussi l’idée de mesure : l’écart est limité, le délai n’est point trop long, le “jeu” qui est accordé n’est pas illimité ». Par conséquent, la notion de marge consiste en « une reconnaissance de la diversité des systèmes de droit, voire un pluralisme des ordres juridiques eux-mêmes ». Mireille Delmas- Marty et Marie-Laure Izorche, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit : réflexions sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste » (2000) 52:4 Revue internationale de droit comparé 753 aux pp 754-755.

181 Voir en ce sens l’Observation générale no 34, Doc off CDH NU, 2011, Doc NU CCPR/C/GC/34 au para 36 : « Le Comité se réserve la possibilité d’apprécier si, dans une situation donnée, il peut y avoir eu des circonstances qui ont rendu nécessaire une mesure restreignant la liberté d’expression. À ce propos, le Comité rappelle que l’étendue de cette liberté ne doit pas être évaluée en fonction d’une “certaine marge d’appréciation” et pour que le Comité puisse décider, l’État partie doit, dans une affaire donnée, démontrer de manière spécifique la nature précise de la menace qui pèse sur l’un quelconque des éléments énoncés au paragraphe 3 de l’article 19, et qui l’a conduit à restreindre la liberté d’expression. »

engendrer la morale régalienne et sa reconnaissance par un « juge international » permet de s’en remettre à un degré de relativité élevé, tel que le souligne le professeur Petr Muzny :

[si] l’on peut parler en termes de pouvoir discrétionnaire ou de subsidiarité, lorsque l’on admet l’existence d’une marge d’appréciation, c’est uniquement parce qu’il existe un degré de relativité qui entoure la prescriptivité de la norme et que la Cour choisit, en raison de son pouvoir décisionnel, d’admettre que cette incertitude normative justifie l’autonomie des autorités étatiques.182

De plus, la marge de manœuvre laissée aux États est suffisamment large pour qu’il soit possible de se demander si l’appel à la morale inscrit à un différend n’a pas élevé son application tel un principe irréfragable. En effet, la norme morale et le choix des moyens nécessaires à sa protection ne sont que peu, voire pas du tout, contrôlés par le « juge international » qui se garde d’intervenir dans de délicates situations de politiques publiques nationales.

A. La reconnaissance d’une large marge de manœuvre en matière de moralité

publique au bénéfice des États

La relation qui s’opère entre la moralité publique au titre d’une restriction et la marge d’appréciation se confirme initialement dans le cadre de la jurisprudence européenne (1). Si la Cour européenne a tôt fait d’adopter la marge d’appréciation comme mode privilégié d’interprétation d’une mesure de moralité publique, le Comité des droits de l’homme s’est formellement abstenu d’en faire mention, tout en l’appliquant implicitement (2).

1. La marge nationale d’appréciation et la Cour

européenne des droits de l’homme

Réelle marque d’une sensibilité des juges pour la diversité culturelle des systèmes juridiques et des sociétés, la marge nationale d’appréciation est un outil de cohésion devant l’absence de solutions uniformes et uniques183. La professeure Mireille Delmas-Marty l’a d’ailleurs résumée en

termes clairs, en affirmant que le juge européen l’utilise tel un moyen pour « conjuguer

182 Petr Muzny, La technique de proportionnalité et le juge de la Convention européenne des droits de

l’homme. Essai sur un instrument nécessaire dans une société démocratique, tome 2, Paris, Presses

universitaires Aix-Marseille, 2005 à la p 402.

183 Marie-Laure Mathieu-Isorche, « La marge nationale d’appréciation, enjeu de savoir et de pouvoir, ou jeu

l’universalisme des droits de l’Homme avec le relativisme des traditions nationales184 », sans

toutefois verser dans un relativisme culturel tous azimuts. Inversement, certains auteurs soutiennent qu’il s’agit essentiellement d’un outil de politique à la solde des considérations souveraines des juges et experts internationaux appelés à trancher des requêtes et des plaintes relatives à la violation des obligations internationales des droits de la personne185. Au-delà des

débats et des très nombreuses contributions doctrinales qui ont contribué à façonner la marge nationale d’appréciation186, « il apparaît […] qu’en intégrant ce paramètre de contrôle, le juge

européen a répondu à une véritable question de “politique juridique” », c’est-à-dire « de savoir si, et à quel point, son propre examen devait être subsidiaire, notamment par rapport à l’intervention des juridictions nationales187 ». En somme, l’origine et le concept de la marge d’appréciation

184 Mireille Delmas-Marty, Le flou du droit. Du code pénal aux droits de l’Homme, Paris, Presses universitaires

de France, 2004 à la p 15.

185 Une position rappelée dans Ségolène Barbou des Places et Nathalie Deffains, « Morale et marge

nationale d’appréciation dans la jurisprudence des Cours européennes » dans Ségolène Barbou des Places, Remy Hernu et Philippe Maddalon, dir, Morale(s) et droits européens, Paris, Pedone, 2015, 49 à la p 55.

186 Voir notamment Yutaka Arai-Takahashi, The Margin of Appreciation Doctrine and the Principle of

Proportionality in the Jurisprudence of the ECHR, Anvers, Intersentia, 2002; Mireille Delmas-Marty, Le flou du droit. Du code pénal aux droits de l’Homme, Paris, Presses universitaires de France, 2004 ; Benjamin J Goold,

Liora Lazarus et Gabriel Swiney, “Public Protection, Proportionality and the Search for Balance” (2007) Ministry of Justice Research Series no 10/07; Jan Kratochvíl, « The Inflation of the Margin of Appreciation by the European Court of Human Rights » (2011) Neth QHR 324 ; Andrew Legg, The Margin of Appreciation in

International Human Rights Law: Deference and Proportionality, Oxford, Oxford University Press, 2012; Paul

Mahoney, “Marvellous Richness of Diversity or Individual Cultural Relativism?” (1998) 19 HRLJ 1 ; Marie- Laure Mathieu-Isorche, « La marge nationale d’appréciation, enjeu de savoir et de pouvoir, ou jeu de construction ? » (2006) 1 Revue de sciences criminelles 25 ; Caroline Picheral, « L’expression jurisprudentielle de la subsidiarité par la marge nationale d’appréciation » dans Frédéric Sudre, dir, Le

principe de subsidiarité au sens du droit de la Convention européenne des droits de l’homme, Paris, Nemesis, Anthemis, 2014, 87 ; Stephen Skinner, “Deference, Proportionality and the Margin of Appreciation in Lethal Force Cases under Article 2 ECHR” (2014) Eur HRL Rev 32; Dean Spielmann, « Allowing the Right Margin the European Court of Human Rights and the National Margin of Appreciation Doctrine: Waiver or Subsidiarity of European Review? » (2012) 14 Cambridge YB Eur Legal Stud 381; Ronald St J. MacDonald, “The Margin of Appreciation” dans Ronald St J MacDonald, Franz Matscher et Herbert Petzold, dir, The European System for the Protecton of Human Rights, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993, 83; Fried van Hoof, “The Subbornness of

the European Court of Human Rights’ Margin of Appreciation Doctrine” dans Yves Haeck et al, dir, The

Realisation of Human Rights: When Theory Meets Practice. Studies in Honour of Leo Zwaak, Cambridge,

Intersentia, 2013, 125; Howard Charles Yourow, The Margin of Appreciation Doctrine in the Dynamics of

European Human Rights Jurisprudence, La Haye, Kluwer Law International, 1996; Mercedes Candela Soriano

et Alexandre Defossez, « La liberté d’expression face à la morale et à la religion : analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » (2006) 68 RTDH 817.

187 Caroline Picheral, « L’expression jurisprudentielle de la subsidiarité par la marge nationale

d’appréciation » dans Frédéric Sudre, dir, Le principe de subsidiarité au sens du droit de la Convention

européenne des droits de l’homme, Paris, Nemesis, Anthemis, 2014, 87 aux pp 87-114. Voir en ce sens

François Ost, « L’originalité des méthodes d’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme »

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