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L’absence initiale de remise en cause du choix des modalités de protection opéré par les autorités

latitude le temps venu de résoudre un conflit entre les droits de la personne qu’elle doit protéger

B. Le peu de contrôle de la norme morale et du choix des moyens

2. L’absence initiale de remise en cause du choix des modalités de protection opéré par les autorités

nationales

Au-delà du contenu de la moralité publique ou de l’étude du but de la mesure, le juge s’est également retenu d’évaluer le choix opéré par les autorités nationales dans les mécanismes de protection de cette morale. Il s’agit ici du « comment faire », du « comment assurer» la protection de la moralité publique. L’intervention du juge est ainsi restreinte non seulement quant au but, mais également quant aux moyens, et ce, même si la Cour a précédemment affirmé que « la marge nationale d’appréciation va […] de pair avec un contrôle européen » qui « porte tant sur la loi de base que sur la décision l’appliquant, même quand elle émane d’une juridiction

295 Toonen c Australie, Déc CDH 488/1992, Doc off CDH NU, 1994, Doc NU CCPR/C/50/D/488/1992 (1994)

indépendante296 ». Or, pour ce faire, la Cour comme le Comité remettent en cause la

proportionnalité du moyen face au but de la mesure, et ce, le moment venu d’étudier la nécessité. Par conséquent, les deux organes s’abstiennent de contrôler le choix des moyens opéré par les autorités nationales avant de procéder au test de nécessité297.

Dès l’arrêt Handyside, la Cour européenne affirme que « les États contractants ont fixé chacun leur attitude à la lumière de la situation existant sur leurs territoires respectifs ; ils ont eu égard notamment aux différentes manières dont on y conçoit les exigences de la protection de la morale dans une société démocratique298 ». Ainsi, bien qu’il circule au sein d’autres pays européens, elle

ne remet ainsi pas en question le choix du Royaume-Uni de retirer de la circulation le livre contesté.

La Cour a fait de même dans l’affaire Dudgeon. Elle a d’abord rappelé qu’« il appartient aux autorités nationales de juger, les premières, dans chaque cas, de la réalité de[s] besoin[s] […] les États contractants [gardant ainsi] une marge d’appréciation299 » dans le choix des moyens.

Cependant, le venu moment d’analyser la proportionnalité, la Cour a conclu que l’affaire présentait un caractère des plus privés qui ne justifiait pas le maintien d’une mesure – des lois pénales – aussi contraignante.

La Cour s’est également rangée du côté du choix des défendeurs aux arrêts Müller et

Wingrove. Dans ces deux affaires de mœurs, après avoir examiné les toiles et visionné le film qui

choquaient la moralité publique, la Cour européenne s’en remet aux décisions des autorités nationales et ne procède pas à une analyse du choix des modalités de protection de la morale, soit la confiscation des toiles et l’interdiction de la délivrance d’un visa pour assurer la diffusion du film300. 296 Handyside c Royaume-Uni (1976), 24 CEDH (Sér A) 1, 1 EHRR 737 au para 58. 297 Infra, partie 1, chapitre 2, section 2, C. 298 Handyside c Royaume-Uni (1976), 24 CEDH (Sér A) 1, 1 EHRR 737 au para 57. 299 Dudgeon c Royaume-Uni (1981), 45 CEDH (Sér A) 2 au para 52. 300 L’affaire Stübing c Allemagne, n° 43547/08 (12 avril 2012), offre également un autre exemple cette fois

en fonction du respect de la vie privée et en matière de condamnation pénale. Adopté alors qu’il était enfant, le requérant a rencontré sa sœur à l’âge adulte et ils ont eu quatre enfants. Or, le Code pénal allemand interdit toute relation sexuelle consentante entre membres consanguins d’une même fratrie, et ce, dans le but de protéger la morale et les droits d’autrui. Dans cette affaire, la Cour a reconnu la condamnation du requérant pour inceste comme une mesure raisonnable qui s’inscrivait dans la marge nationale d’appréciation de l’État. Voir le para 62.

Dans les trois affaires turques301, les requérants ont été condamnés pénalement pour avoir

tenu des propos ou écrit un livre dans lesquels ils s’attaquaient d’une manière ou d’une autre aux croyances religieuses ou aux non-croyants, mais la Cour n’a pas été en mesure de constater un comportement choquant ou injurieux. Elle s’en est remise au contexte des déclarations, au long délai entre les déclarations ou les rééditions et l’introduction des poursuites ainsi qu’au comportement général des autorités pour affirmer qu’il y a bien eu violation de la liberté d’expression des trois requérants. Dans les trois cas, la Cour a conclu que les poursuites et condamnations pénales ne consistaient pas en un moyen proportionné pour protéger les buts légitimes, et ce, sans discuter des moyens choisis par les autorités pour protéger la moralité publique. De même à l’arrêt Alexeïev c Russie302, après avoir reconnu que l’interdiction d’organiser

des parades de la fierté gaie à Moscou « ne reposait pas sur une appréciation acceptable des faits pertinents », elle a affirmé que cette analyse était suffisante pour conclure que la mesure ne répondait pas à un besoin social impérieux et n’était donc pas justifiée. Ainsi, la Cour ne s’est pas penchée sur le choix des moyens opéré par les autorités.

Dans l’affaire Perrin c Royaume-Uni, la Cour s’est gardée de contrôler la condamnation pénale du requérant pour avoir publié des photos obscènes sur un site Internet. Elle a affirmé que l’« appréciation [du moyen choisi] dépend de la manière dont [les autorités nationales] conçoivent les exigences de la protection de la morale, domaine dans lequel [elles] bénéficient en principe d’une ample marge d’appréciation303 ».

En définitive, la Cour ne s’autorise pas à remettre en cause le choix des moyens effectué par les autorités nationales, mais procède à la détermination de la proportionnalité du moyen304.

Cette conclusion s’illustre également dans la première décision du Comité des droits de l’homme, l’affaire Hertzberg et al c Finlande. Le Comité avait refusé de se prononcer sur le choix des autorités finlandaises d’interdire complètement les débats sur les questions d’homosexualité à la radio en raison de son caractère moral305. Le Comité a également refusé de contrôler le choix des moyens dans les affaires qui ont invoqué un facteur moral. À titre d’exemple, dans l’affaire 301 Aydin Tatlav c Turquie, n° 50692/99 (2 mai 2006) ; Günduz c Turquie, n° 35071/97, [2003] XI CEDH 227 ; Erbakan c Turquie, n° 59405/00 (6 juillet 2006). 302 Alexeïev c Russie, n° 4916/07 (21 octobre 2010). 303 Perrin c Royaume-Uni, n° 5446/03, [2005] XI CEDH 339 à la p 351. 304 Infra, partie 1, chapitre 2, section 2, C, 2. 305 Leo Hertzberg et al c Finlande, Déc CDH 61/1979, Doc off CDH NU, 15e sess, Doc NU CCPR/C/OP/1 (1985), au para 10.4.

Joslin c Nouvelle-Zélande, il a affirmé que le simple refus d’accorder le droit de se marier aux

couples homosexuels ne violait pas les droits des requérantes. Dans l’affaire Wackenheim c

France, la décision d’interdire le lancer de nains a été reconnue comme fondée sur une raison

objective et donc non discriminatoire. L’interdiction comme telle n’a pas fait l’objet de commentaire de la part du Comité306.

***

Au final, l’interprétation de la restriction de moralité publique apparaît comme une jurisprudence de stricte retenue judiciaire précisément quant à la norme morale, et ce, essentiellement parce que la Cour européenne a de la difficulté à « récuser sur une base objective les appréciations opérées par les autorités nationales307 », leur attribuant ainsi une large marge

d’appréciation. Le Comité des droits de l’homme, sans se prononcer explicitement, tire des conclusions similaires.

Cette analyse pourrait laisser croire que cette norme régalienne ne peut faire l’objet du contrôle du juge international qui s’astreint au respect d’une certaine volonté citoyenne exprimée à travers les choix des autorités nationales. Or, cette retenue judiciaire ne s’est pas perpétuée tous azimuts. Tel qu’il a été reconnu à l’arrêt Irlande c Royaume-Uni, « la marge nationale d’appréciation s’accompagne […] d’un contrôle européen308 ». Aussi, si, comme le font Ségolène

Barbou des Places et Nathalie Deffains, parler d’activisme judiciaire semble optimiste309, il n’en

demeure pas moins que la Cour européenne et le Comité des droits de l’homme contrôlent l’articulation d’une ingérence nécessaire à la protection de la moralité publique, et ce, essentiellement en fonction de sa nature et de sa nécessité.

306 Juliet Joslin et al c Nouvelle-Zélande, Déc CDH 902/1999, Doc off CDH NU, 75e sess, Doc NU

CCPR/C/75/D/902/1999 (2002) au para 8.2 ; et Manuel Wackenheim c France, Déc CDH 854/1999, Doc off CDH NU, 75e sess, Doc NU CCPR/C/75/D/854/1999 (2002) au para 7.4. Supra, partie 1, chapitre 2, section 1, B, 2 pour les faits de ces deux affaires. 307 Patrick Wachsmann, « Une certaine marge d’appréciation. Considérations sur les variations du contrôle européen en matière de liberté d’expression » dans Patrick de Fontbressin, dir, Les Droits de l’homme au seuil du troisième millénaire : mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruylant, Bruxelles, 2000, 1017 à la p 1030. 308 Irlande c Royaume-Uni (1978) 25 CEDH (Sér A) 1 au para 207. Rappelé dans Handyside c Royaume-Uni (1976), 24 CEDH (Sér A) 1, 1 EHRR 737 au para 49.

309 Ségolène Barbou des Places et Nathalie Deffains, « Morale et marge nationale d’appréciation dans la

jurisprudence des Cours européennes » dans Ségolène Barbou des Places, Remy Hernu et Philippe Maddalon, dir, Morale(s) et droits européens, Paris, Pedone, 2015, 49 à la p 63.

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INGÉRENCE DE MORALITÉ PUBLIQUE À LA LUMIÈRE DE LA NATURE ET DE

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