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Les tendances internationales ou le consensus international peuvent prendre deux formes : soit il s’agit d’un consensus européen fondé sur des éléments de preuve internationaux (1), soit il s’agit d’un réel consensus international dégagé au sein des États parties au PIDCP (2).

1. Le consensus européen

fondé sur une tendance

internationale en matière

de morale : une méprise

méthodologique

Au fil des arrêts, la Cour européenne a utilisé ou mentionné, dans ses raisonnements, divers instruments internationaux dont des traités, tels que la Convention de Vienne sur le droit des

traités, les traités sur les droits de la personne (la CADH ou le PIDCP), des documents du Conseil de

l’Europe ou de l’UE, comme la Charte des droits fondamentaux, ainsi que des décisions d’autres tribunaux internationaux ou régionaux. L’analyse complète de la prise en compte de ces instruments de droit international dépasse le cadre de la présente étude. Cependant, le consensus européen fondé sur une analyse des instruments internationaux se dégage du traitement factuel ou légal réalisé à partir des traités internationaux. Comme le souligne Dzehtsiarou, le traitement factuel d’un traité international dans une cause européenne donnée permet de décrire le contexte dans lequel s’inscrit le différend. Dans ces cas, la Cour n’utilise pas les traités internationaux pour 510 Alexeïev c Russie, no 4916/07 (21 octobre 2010) au para 86.

appuyer son raisonnement, mais seulement pour expliquer, par exemple, un régime juridique511.

Dans l’affaire SH et autres c Autriche, tout juste après avoir conclu qu’il n’existait « pas de consensus européen suffisamment solide sur le point de savoir si le don d’ovules à des fins de fécondation in vitro doit être autorisé512 », la Cour européenne a notamment observé ceci :

au niveau européen le seul instrument à traiter de la question du don d’ovules aux fins de procréation assistée est la série de principes adoptés en 1989 par le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales, dont le onzième énonce que la fécondation in vitro doit en principe être effectuée avec les gamètes du couple. Ni la Convention de 1997 sur les droits de l’homme et la biomédecine ni son Protocole additionnel adopté en 2002 n’abordent cette question. La directive 2004/23/CE de l’Union européenne énonce expressément qu’elle « ne devrait pas porter atteinte aux décisions prises par les Etats membres concernant l’utilisation ou la non-utilisation de tel ou tel type de cellules humaines, y compris les cellules germinatives et les cellules souches embryonnaires.513

L’utilisation d’un document de l’UE ne signifie pas qu’il s’agit d’un consensus international, d’autant plus que l’État défendeur est partie à l’UE et au Conseil de l’Europe. Ainsi, telle n’est pas la forme de consensus qui importe dans le cadre de la présente étude.

Le consensus international consisterait, selon Dzehtsiarou, en une tendance internationale. Peu importe le qualificatif, il importe d’analyser le seul cas répertorié en la matière, l’affaire

Christine Goodwin c Royaume-Uni, qui implique également un facteur moral.

C’est essentiellement pour infirmer sa précédente décision, rendue quatre ans auparavant, que la Cour européenne s’est appuyée sur une tendance internationale dans l’affaire Christine

Goodwin. En effet, en 1998, elle avait affirmé dans l’arrêt Sheffield et Horsham c Royaume-Uni514

qu’il n’existait pas encore de consensus européen quant à la reconnaissance légale du genre d’une personne ayant changé de sexe après une opération. En 2002, elle a d’abord constaté que rien n’avait changé en Europe eu égard à cette problématique pour ensuite justifier une interprétation évolutive de la norme en se reportant à une tendance internationale ; des circonstances externes avaient évolué515. Comme l’affirme Dzehtsiarou, ce constat farfelu (far-fetched) engendre des

511 Kanstantsin Dzehtsiarou, European Consensus and the Legitimacy of the European Court of Human Rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 aux pp 45-46. 512 SH et autres c Autriche [GC], no 57813/00, [2011] X CEDH 337 au para 106. Elle a également mentionné qu’il n’existait pas de consensus en Autriche quant au don de gamètes au moment des faits de l’affaire (au para 113). 513 SH et autres c Autriche [GC], no 57813/00, [2011] X CEDH 337 au para 107. 514 Sheffield et Horsham c Royaume-Uni, no 22985/93, [1998] V CEDH 1. 515 Christine Goodwin c Royaume-Uni, no 28957/95, [2002] VI CEDH 45.

problèmes de légitimité de la Cour et une incertitude dans le rôle du consensus européen516. Dans

cette affaire, la Cour a identifié une communauté de vues en reconnaissant une évolution des mœurs dans un peu moins d’une dizaine de pays non européens517, excluant au passage les pays

arabes, la Chine, l’Inde, la quasi-totalité de l’Asie et le continent africain à l’exception de l’Afrique du Sud, des régions ou des pays qui ne font pas preuve d’une tolérance accrue en matière de droits des personnes transgenres. Elle a tout de même conclu son analyse en rappelant l’appréciation nationale de la question des droits des personnes transsexuelles :

Au XXIe siècle, la faculté pour les transsexuels de jouir pleinement, à l’instar de leurs concitoyens, du droit au développement personnel et à l’intégrité physique et morale ne saurait être considérée comme une question controversée exigeant du temps pour que l’on parvienne à appréhender plus clairement les problèmes en jeu. En résumé, la situation insatisfaisante des transsexuels opérés, qui vivent entre deux mondes parce qu’ils n’appartiennent pas vraiment à un sexe ni à l’autre, ne peut plus durer. Cette appréciation trouve confirmation au niveau national dans le rapport du groupe de travail interministériel et dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel en l’affaire Bellinger v. Bellinger.518

En définitive, la méthodologie plus opportuniste qu’objective propre à l’identification d’une tendance internationale retenue par la Cour peut être décrite de « cherry picking » ou « as

choosing friend in a crowd 519 ». Plus encore, elle semble consister en une méprise

méthodologique, particulièrement en matière de morale ou de moralité publique, certes évolutive, mais qui doit s’inscrire dans une société donnée afin d’en respecter la nature. Trois principales critiques ont été formulées contre cet arrêt.

Premièrement, il semble que la Cour ait limité la marge d’appréciation des autorités nationales en fonction d’actions entreprises par des États qui ne sont pas parties à la Convention européenne. Le consensus européen est un facteur qui module la déférence accordée aux États dans l’interprétation de ce traité ; encore faut-il y être partie pour participer à sa mise en œuvre520. Si une norme morale européenne devait être identifiée, rien ne permettrait de justifier celle-ci eu égard à des sociétés qui ne sont pas parties à la Convention. 516 Kanstantsin Dzehtsiarou, European Consensus and the Legitimacy of the European Court of Human Rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 à la p 68.

517 Singapour, le Canada, l’Afrique du Sud, Israël, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis. Christine

Goodwin c Royaume-Uni, no 28957/95, [2002] VI CEDH 45 aux para 55-56 rappelé au para 84. 518 Christine Goodwin c Royaume-Uni, no 28957/95, [2002] VI CEDH 45 au para 90.

519 Kanstantsin Dzehtsiarou, European Consensus and the Legitimacy of the European Court of Human Rights,

Cambridge, Cambridge University Press, 2015 à la p 68. Voir également les pages 66 à 68 pour l’étude du traitement juridique des personnes transgenres dans les régions et les États mentionnés.

520 Andrew Legg, The Margin of Appreciation in International Human Rights Law: Deference and

Deuxièmement, une tendance internationale pourrait avoir le potentiel d’influencer l’interprétation de la Convention européenne s’il y avait émergence d’une coutume internationale ; rien n’aurait pu justifier la Cour en ce sens dans l’arrêt Christine Goodwin. Au contraire, une poignée d’États – démocratiques et issus essentiellement du Commonwealth – ont fait office de tendance internationale pour contrecarrer les arguments du Royaume-Uni selon lesquels des problèmes importants pourraient être engendrés si le système d’attribution du genre à la naissance était modifié. La similarité des systèmes juridiques australien et néo-zélandais a eu raison des arguments anglais521.

Troisièmement, le Royaume-Uni n’a pas tenté de justifier l’ingérence dans la vie privée de la requérante en raison de la nécessité de protéger la moralité publique – ni aucun autre but légitime –, comme si cette mesure nationale était, en définitive, indéfendable au regard des différents motifs inscrits à l’article 8(2) de la CEDH. En somme, la Cour européenne n’a pas répété l’expérience de l’arrêt Christine Goodwin. Elle a même affirmé, ultérieurement dans l’arrêt A, B et C c Irlande, qu’« eu égard à la tendance existant dans une majorité substantielle des États contractants », il est « inutile d’examiner plus avant les tendances et opinions au niveau international522 ».

2. L’influence d’un consensus

international

sur

une

décision du Comité des

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