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Pour les travailleurs, les effets de la « modernisation » sont perceptibles, mais ne les affectent pas encore dans leur grande masse, sauf dans les mines de fer

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 54-57)

Sidérurgie Industries de transformation 1954

2.16. Pour les travailleurs, les effets de la « modernisation » sont perceptibles, mais ne les affectent pas encore dans leur grande masse, sauf dans les mines de fer

La mécanisation du chargement (en 1938, 94% du minerai était chargé à la pelle, contre 5% en 1955), de l'abattage (grâce à des « jumbos » équipés de perforatrices), du bou- lonnage (qui remplace le boisage), du roulage, de la pose des voies, du concassage, etc.,

modifie complètement le monde de la mine. L'effectif dans les mines de fer lorraines passe de 26.553 en 1952 à 23.594 en 1960, alors que l'extraction monte de 38,4 Mt/an à 62,0 Mt/an entre les mêmes dates, soit un doublement du rendement exprimé en tonnes, par poste et par travailleur « au fond » : 8,56 t et 16,02 t. La réduction du nombre des travailleurs au fond est de plus masquée par une stabilité des effectifs de jour. La garan- tie morale de l'embauche des fils de mineurs n'est plus donnée. Un centre d'enseigne- ment technique est créé pour les orienter vers d'autres professions. À la mine, ouvriers de métier et manoeuvres sont remplacés par des machinistes conducteurs et par des ou- vriers d'entretien. À la différence de la sidérurgie, le remplacement y est rapide et com- plet. La haute qualification du mineur, du « premier homme » (estimation des couches, de leur dureté, de la quantité d'explosifs nécessaires, de la meilleure localisation des trous à perforer, la capacité de sonder le toit, de le « purger », d'organiser l'équipe de travail, etc., connaissances ne pouvant s'acquérir que par expérience), tout cela devient inutile. Le chargeur à la pelle était un manoeuvre de force, mais en même temps il ap- prenait le métier pour devenir à son tour le premier mineur de l'équipe. Par contre, le conducteur d'un « jumbo » doit « foncer » et se conformer aux indications du bureau et à celles du chef de chantier.

La qualification se déplace vers les ingénieurs et les ouvriers électromécaniciens d'entretien du parc de machines (mais leur temps de formation est plus court que celui qui était nécessaire pour former un mineur) et proportionnellement ils sont en nombre plus faible que ne l'étaient les mineurs de métier par rapport à l'ensemble du personnel. Dans les interviewes réalisées par Serge Bonnet (L 'Homme du Fer, tome 2), d'anciens mineurs racontent : « Les gars, bien souvent remarquez, n'étaient pas pour la mécanisa-

tion, ils disaient « un wagon de plus, un chômeur de plus ». Et il est évident que la mé- canisation a provoqué une diminution de personnel. Elle a aussi promu une nouvelle classe sociale : les jeunes électromécaniciens ».

Les conditions de travail changent complètement. Les travailleurs de fond, lorsqu'ils remontent, n'ont plus 15 à 20 t dans les bras. Le nombre d'accidents baisse sensiblement, mais les conditions de travail sont plus pénibles et les maladies professionnelles plus nombreuses. « Autrefois, les gens qui chargeaient à la main pouvaient parler entre eux ;

il n'y avait pas de bruit, juste celui de la pelle qui rentre dans la mine. Mais quand vous êtes sur un « Jumbo » qui fore trente coups en une demi-heure, pendant une demi-heure vous n'entendez plus rien. Et de toute façon, vous avez le masque sur la figure, parce qu'il y a de la poussière ».

« C'est quand ils ont commencé à mettre les machines qu'il a fallu travailler en groupe que c'était dur. Et maintenant c'est encore pire. Avant c'était le travail à la main, on travaillait tranquille, on fumait sa cigarette, on donnait un coup de main aux manoeuvres... Avec le travail mécanique, maintenant, il faut manger la poussière et la fumée malgré les ventilateurs qu'il y a... Le travail à la main et le travail mécanique, il y a une différence comme le jour et la nuit... »

Le journal patronal Lorraine-Magazine (mai 1955), pour faire admettre la moderni- sation capitaliste, oppose alors le travail du mineur d'autrefois, abrutissant intellectuel- lement et physiquement, à celui des nouveaux mineurs qui exige adresse et présence d'esprit. « Jusqu'à la dernière guerre, le travail des mineurs était souvent resté un corps

à corps brisant pour les muscles, étourdissant pour l'esprit... Jadis, l'image typique du mineur était celle d'un homme torse nu, couvert de sueur et les muscles crispés. Désor- mais, c'est celle d'un homme assis devant des leviers et un clavier, des boutons, qui di-

rige une machine de 10 à 15 tonnes... Certes il faut encore du muscle pour être mineur, mais il faut encore plus de l'adresse, de l'attention et de la présence d'esprit ».

La mécanisation généralisée apporte donc stagnation ou réduction d'effectif, déquali- fication, allègement de la charge physique du travail, mais aussi intensification du rythme, isolement dans un poste, fatigue nerveuse et nouvelles pollutions. Dans la sidé- rurgie, les mêmes constatations peuvent être faites, mais la mécanisation n'affecte pas encore dans sa masse la classe ouvrière de type traditionnel. Denain, Sollac surtout, sont des îlots dans la sidérurgie. Les travailleurs viennent d'ailleurs. La plupart n'avait jamais travaillé dans la sidérurgie. Ils y ont trouvé un emploi. Ils ne vivent donc pas la déquali- fication du travail du sidérurgiste. Ils arrivent sans qualification, admis parce qu'ils ont satisfait à des tests, pour tenir des postes d'opérateurs, de machinistes, ou avec un CAP d'électricien, d'ajusteur, etc. Comme il est écrit dans le livret d'accueil (cité par S. Bon- net) : « À Sollac, il n'y a pas d'anciens : à quelques mois près, tous sont des nouveaux. Il

faut donc que tous les collaborateurs de Sollac, ouvriers, agents de maîtrise, employés ou ingénieurs, soient particulièrement capables de s'adapter à des techniques nouvelles, de contribuer à un esprit d'équipe et de faire preuve d'initiative dans les limites d'une stricte discipline qui exige un respect absolu des consignes. Et il faut pour tout cela qu'ils jouissent d'une excellente santé » .

Les autres, les « vrais » sidérurgistes (pas les « amateurs »), non seulement ont du travail, mais on continue à en former. Ils ne sont pas encore attaqués de front en tant que catégorie ouvrière. Les effectifs augmentent beaucoup moins vite que la production, mais ils augmentent. Bien sûr, la marche des nouveaux hauts fourneaux de 7 m de dia- mètre de creuset, ou des nouveaux fours Martin est mieux contrôlée et leur alimentation est entièrement mécanisée, mais il faut encore de « vrais » fondeurs. De même, il faut toujours de « vrais » lamineurs sur les trains à profilés, les trains à larges plats, etc.

Que réserve l'avenir? Le vent de modernisation qui emporte les dirigeants d'entrepri- ses vers 1959-1960 ne va-t-il pas balayer tous les métiers de la sidérurgie ? La CGT dans les années 55-58 est attentive à l'évolution du travail dans les usines mécanisées. Elle dénonce la course à la productivité et la propagande patronale parlant des usines modernes comme d'un paradis pour les travailleurs. Mais elle ne parvient pas à faire l'analyse et la critique de ce qui est présenté comme la « technique ». Elle a donc une position embarrassée. La société socialiste n'est-elle pas celle qui est d'abord capable de produire en masse les produits dont ont réellement besoin les travailleurs, et qui pousse donc très loin la mécanisation ? Les pays « socialistes » n'ont-ils pas la même technique, et ne donne-t-on pas en exemple leurs prouesses techniques, leur courbe de production, comme une preuve de la supériorité de leur système social ? La CGT tente de sortir du dilemme en affirmant qu'en régime socialiste, la mécanisation permet réellement d'amé- liorer les conditions de travail (cadences moins fortes, prévention sérieuse des accidents, réduction du temps de travail...), et que les travailleurs, en ayant la possibilité de discu- ter du financement de l'entreprise et de ses objectifs, ne sont plus du même coup des au- tomates servant une machine, comme dans les entreprises capitalistes, mais des individus conscients.

À défaut de doctrine et d'expérience historique, la démarche de la CFTC est plus em- pirique et les positions plus pragmatiques. Selon elle, la réduction des effectifs qu'en- traîne la mécanisation doit être organisée pour permettre les reconversions nécessaires. Les travailleurs doivent aussi tirer parti des usines modernes, en raison de l'accroisse- ment considérable de la productivité qu'elles permettent, par l'accroissement du temps libre, par des possibilités de promotion et par de meilleures conditions de travail.

2.17. Les travailleurs, la CECA, et la concurrence capitaliste fondée sur l'inégale

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 54-57)

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