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La crise des mines de fer Les recommandations de la « Table ronde » La grève de Trieux : 79 jours d’occupation du fond de la mine

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 68-70)

L’affrontement avec la classe ouvrière 1961-

3.5. La crise des mines de fer Les recommandations de la « Table ronde » La grève de Trieux : 79 jours d’occupation du fond de la mine

Les livraisons des mines de fer lorraines plafonnent en 1960 et 1961 à 62 Mt, puis dé- gringolent à 54,6 Mt en 1963. Après une légère reprise en 1964, c’est à nouveau la baisse jusqu’à 49,0 Mt en 1967. Mis à part des accrocs conjoncturels, les livraisons à la sidérurgie lorraine et luxembourgeoise se maintiennent à 33 Mt pour la première, à 7 Mt pour la seconde. C’est la Sarre, la Belgique et le Nord de la France qui réduisent main- tenant leurs commandes, alors que de 1957 à 1960 ils les avaient maintenues constantes, assurant l’accroissement de leurs besoins par du minerai importé. Les livraisons à ces trois sidérurgies passent de 21,2 Mt en 1961 à 11,2 Mt en 1967.

La décision de réaliser des installations d’enrichissement du minerai a été prise trop tardivement. Les clients se sont déjà tournés vers d’autres sources d’approvisionnement. Deux installations seulement seront réalisées : une pour l’usine Lorraine-Escaut de Thionville et l’autre à la mine de Bazailles. L’expérience montrera que les procédés d’enrichissement doivent être adaptés à chaque type de minerai. L’effort de mise au point supplémentaire est jugé excessif, compte tenu de la situation nouvelle. Cette voie est abandonnée. Les usines sidérurgiques étant dotées tardivement d’ateliers d’agglomération et le parc des hauts fourneaux étant ancien, la demande des sociétés lorraines en minerai stagne, au lieu de prendre le relais des clients lointains.

Ce sont les mines dites « marchandes » qui sont les plus touchées par la crise. Par opposition aux « mines intégrées », qui assurent l’approvisionnement des usines sidé- rurgiques appartenant à la même société ou au même groupe industriel, les mines « marchandes » vendent leur minerai à qui veut acheter. Précisément, ce sont elles qui vendent le plus à l’exportation.

Pour rétablir les marges bénéficiaires, « l’écrémage » du gisement est accru. La mé- canisation est généralisée et intensifiée avec des engins plus puissants. Le nombre de puits est réduit. Dans ces conditions, la durée de vie du bassin, estimée à un siècle en

1956, est ramenée à une trentaine d’années selon la Chambre Syndicale des Mines de Fer. La stratégie patronale adoptée est d’opérer un mouvement de repli sur les besoins lorrains et luxembourgeois en leur assurant, par une exploitation extrêmement rationali- sée, un minerai très compétitif. Baisse de la demande, repli, intensification de la méca- nisation conduisent à des réductions d’effectifs considérables.

C’est à cette logique que les mineurs de fer vont tenter de s’opposer. Comme la lutte de Villerupt, leur lutte aura une grande importance pour celles qui sont à venir de la si- dérurgie. Aussi bien par les résultats obtenus, qui constitueront des précédents, que par les difficultés rencontrées. Des licenciements sont annoncés par petits paquets en 1962 et 1963.

Les mineurs de fer participent à la grève générale des mineurs de charbon des 1er et 2 mars 1963, qui, à la suite de l’acte maladroit de réquisition décrétée par de Gaulle, durera 35 jours dans les Charbonnages. La Fédération des mineurs CGT organise une « marche sur Paris » le 8 mars, qui provoque une forte mobilisation. Le gouvernement et le patronat minier obtiennent l’arrêt de la grève des mineurs de fer contre l’accord d’ouvrir une table ronde sur l’avenir des mines de fer.

Cette table ronde, qui se réunit à Metz, met en présence les syndicats, des élus et As- similor (l’Association pour la Sidérurgie et les Mines de fer de Lorraine) sous la prési- dence du préfet de région. Mais gouvernement et patronat ne veulent pas qu’elle se transforme en des « accords Matignon » des mines de fer. Ils acceptent que les problè- mes économiques et sociaux soient discutés. Mais il ne peut s’agir que de parvenir à mieux se comprendre et à de simples recommandations.

Le 12 juin 1963, une série de recommandations est adoptée. À l’unanimité : relève- ment des barrières douanières de la CECA, accroissement des équipements publics et relance des investissements privés pour accroître la demande d’acier, réalisation de l’axe Rhin-Rhône, remodelage et coordination entre mines, aide de l’État pour l’enrichissement du minerai, réforme de l’enseignement technique permettant d’orienter les jeunes vers de nouvelles qualifications, diversification industrielle avec des aides de l’État, de la CECA, de la « profession » et des collectivités locales. À l’unanimité, moins la CGT et F0 : la diminution des tarifs SNCF pour le transport du minerai. Les dernières « assurances » acceptées par Assimilor en matière de licenciements et de re- classement sont les suivantes : tout licenciement ou toute mutation sera assorti d’une proposition de reclassement dans un emploi sidérurgique garanti ; il est accordé aux mi- neurs de fer licenciés une priorité absolue d’emploi dans la sidérurgie ; l’ancienneté dans les mines sera conservée aux mineurs reclassés dans la sidérurgie quelle que soit leur société minière d’origine ; il sera accordé aux mineurs licenciés un pécule dont le montant correspond à trois mois de salaire ; il sera accordé aux mineurs reclassés une possibilité de promotion dans l’usine par une formation adaptée et dans des conditions favorables ; la « profession » s’engage à transporter gratuitement les mineurs mutés de leur domicile à leur nouveau lieu de travail dans la sidérurgie ; le bénéfice du logement sera conservé aux mineurs licenciés tant que leur nouvel employeur ne les aura pas re- logés, ou qu’ils n’auront pas trouvé un nouveau logement, le délai de trois ans étant considéré comme un minimum pour la conservation de ce bénéfice ; le cas des mineurs ayant contracté des traites pour l’accession à la propriété sera étudié par la « profession sidérurgique ». Celle-ci s’engage à traiter les mineurs reclassés dans la sidérurgie au moins aussi favorablement que ses propres ouvriers accédant à la propriété.

La table ronde marque une étape importante pour l’ensemble des travailleurs puis- que, pour la première fois, le droit à l’emploi est reconnu sous la forme d’offre de re-

classement et d’indemnisation. Ce précédent est cependant limité par le fait que les mi- neurs en général, même relevant de sociétés privées, jouissent d’un statut qui les met un peu à part du reste des travailleurs. Les mineurs de fer ne sont pas pourtant satisfaits des « recommandations » et « assurances » de la table ronde. De plus, toutes ne sont pas respectées par les Directions des mines.

Le 10 octobre 1963, le licenciement de près de la moitié du personnel (258 sur 550) de la mine Sancy à Trieux (Meurthe et Moselle) appartenant à la Société « Saulnes et Gorcy » est annoncé. Le 14 octobre, l’occupation du fond de la mine commence. Elle durera 79 jours ! La fédération CGT a choisi cette forme de lutte plutôt qu’une grève de tout le bassin qui aurait été difficile à tenir dans la durée. Le soutien est très activement organisé et s’étend à l’ensemble de la population et de la région. Les collectes d’argent permettent d’assurer « un salaire » à tous les mineurs, y compris les non-grévistes. La longue occupation est ponctuée en surface par de multiples actions de popularisation : marche sur Metz à pied, à partir de la mine de Moutier (35 km), délégations de toutes sortes, « États-généraux pour la Lorraine », etc.

Quatre revendications sont mises en avant : retraite anticipée dans l’ensemble des mines pour permettre le reclassement dans les mines de fer de tous les mineurs de Trieux ; création d’un comptoir de répartition des ventes de minerai ; réduction de l’ho- raire de travail ; nomination d’une Commission de l’emploi pour l’examen sérieux des besoins en main-d’oeuvre dans chaque exploitation minière.

Mais la Chambre syndicale a décidé de ne pas céder et mise sur le ralentissement du soutien, sachant qu’aucune organisation n’est prête ou n’a la possibilité de provoquer une escalade sociale par le déclenchement d’autres actions. Fin 1963, les nuages s’accumulent pourtant sur la sidérurgie. Une mise en mouvement des sidérurgistes ne paraît pas cependant possible. La société Saulnes et Gorcy menace de fermer purement et simplement la mine de Trieux. La CGT, qui a pourtant beaucoup misé sur cette grève, propose sa suspension : 217 pour, 145 contre. Les mineurs remontent le 31 décembre 1963. Le patronat a fait un geste en promettant une réunion paritaire dans les 15 jours qui suivent pour transformer en engagement écrit les « assurances » de la table ronde. Un très grand moment de la lutte ouvrière de ce pays se termine. De 1960 à 1967, l’effectif total des mines de fer lorraines passe de 23.594 à 13.058.

3.6. Une étape nouvelle dans la division du travail : l’automatisation. De nouveaux

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 68-70)

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