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L'échec de la gauche aux élections, la poursuite de la crise et la faillite de la si dérurgie ont conduit la CGT et la CFDT à lier étroitement objectifs économiques

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 158-161)

L’esquisse d'une nouvelle stratégie syndicale

6.8. L'échec de la gauche aux élections, la poursuite de la crise et la faillite de la si dérurgie ont conduit la CGT et la CFDT à lier étroitement objectifs économiques

et revendications sociales

Les syndicats réclament avec insistance, avant toute discussion des mesures sociales, la négociation sur les choix industriels. Cette démarche n'est pas tout à fait nouvelle : ni pour la CGT ni pour la CFDT. D'une certaine façon, lors de la « Table Ronde des mines de fer », elles avaient tenté de proposer des choix économiques immédiats permettant de faire face à la baisse de la demande de minerai. La CFDT, plus pragmatique, a été ame- née, dans les années récentes, lors de plusieurs conflits dans d'autres secteurs que la si- dérurgie, à aller plus loin encore en opposant aux plans de restructuration patronaux d'autres plans industriels plus conformes avec les revendications des travailleurs. On pense à Lip, par exemple. Le fait nouveau, en particulier pour la CGT, est que cette ten- dance, souvent imposée par l'événement, est maintenant assumée en tant que telle et qu'elle est mieux maîtrisée. Elle est considérée comme une avancée et une chance. Pour la CGT, le débat a été ouvert récemment par un article de Jean-Louis Moynot, secrétaire confédéral, dans l'organe officiel de cette organisation, Le Peuple. Il écrit en particulier : « Quand des usines, des industries entières sont menacées de disparaître, si l'on veut

assurer un caractère relativement durable et donner un contenu substantiel aux résul- tats revendicatifs, il faut bien se préoccuper des conditions économiques qui permettent le maintien et la création d'emplois, la croissance des ressources, etc. Il ne peut s'agir seulement de mettre en échec une politique qui aggrave la situation. La crise est une réalité plus profonde que la politique mise en oeuvre par le pouvoir et que les décisions des entreprises ou des groupes dans ce contexte. Il y a une réalité objective du mouve- ment de l'économie dans les rapports de production et d'échanges capitalistes... Il ne s'agit pas seulement de saupoudrer un peu de propositions industrielles hâtivement éta- blies sur les luttes pour la défense de l'emploi en vue de leur donner un peu plus de dy- namisme... II faut proposer en lieu et place de la politique et des décisions actuelles, quelque chose, des objectifs de restructuration en particulier qui soient réellement sus- ceptibles de combattre la crise, d'améliorer la situation économique et celle des travail- leurs... Jusqu'à présent, quand nous évoquons la crise et les développements récents de la situation économique et sociale du fait de celle-ci et de la politique actuelle, nous en voyons surtout le côté négatif : le fait qu'il est plus difficile de lutter et d'emporter des succès sur les bases traditionnelles. Si nous persistions à en rester là, nous risquerions fort d'être dépassés. En définitive, la crise nous oblige, mais aussi nous permet de por-

ter la lutte sur des objectifs qui touchent aux structures mêmes du système capitaliste avec des chances réelles, tenant aux conditions objectives, d'aboutir à des résultats ».

Jean-Louis Moynot reconnaît que cette démarche rencontre des objections de la part de camarades dans la CGT, et qu'elle est en contradiction avec une solide tradition dans ce syndicat, selon laquelle toute proposition économique précise dans le cadre du sys- tème actuel risque de conduire à la collaboration de classe. Aux patrons, la gestion de l'économie. Aux travailleurs et aux syndicats, la lutte pour améliorer la situation sociale. (J'ajouterai aux partis de gauche de proposer un autre système économique et social, et des mesures de transition).

C'est cette division des tâches qui ne fonctionne plus. « La crise nous contraint et

nous rend possible de nous emparer dans la lutte des problèmes économiques pour en acquérir la maîtrise. C'est une nécessité pour l'immédiat, et en même temps cela ouvre davantage de perspectives d'avenir aux luttes d'aujourd'hui... Ce n'est certes pas sans risques. Mais il y a deux gardes-fous : faire de cette démarche, et notamment de l'éla- boration de nos objectifs, l'affaire de tous les travailleurs..., développer nos solutions concrètes dans la perspective des changements fondamentaux pour lesquels nous lut- tons... »

Cette démarche, qui est dans les faits également celle de la CFDT, amène donc à mettre en discussion dès maintenant et sans s'en remettre au programme des partis poli- tiques, le type de production industrielle que l'on veut, le type de relation économique internationale, le type de modernisation, les modalités d'évolution de l'appareil productif de chaque région, pour pouvoir définir des mesures industrielles immédiates à revendi- quer, qui d'une part ne soient pas contradictoires avec ces perspectives, et qui d'autre part donnent aux travailleurs des pouvoirs et des moyens nouveaux pour faire entrer dans les faits, leurs objectifs.

Le « mémorandum de la FTM-CGT sur la sidérurgie » et le « Dossier sidérurgie » de la FGM-CFDT sont des illustrations de cette démarche. Ils présentent, chacun, une poli- tique industrielle, une modernisation et une restructuration alternative. Ils affirment que les prévisions de la demande intérieure d'acier par lesquelles le gouvernement justifie la suppression de certaines capacités de production, sont fondées sur une politique indus- trielle qui accepte l'abandon d'activités consommatrices d'acier. L’abandon de ces activi- tés, parce qu'elles sont, elles aussi, non rentables, favorise le redéploiement international de l'industrie française, désarticule le tissu industriel national, et entérine le fait que cer- taines branches industrielles essentielles (machines-outils, construction d'équipements) reste en France faible. CGT et CFDT estiment qu'en menant une politique industrielle cohérente, notamment dans certains secteurs, et qu'en relançant le Bâtiment et les Tra- vaux Publics pour répondre aux besoins de logements et d'équipements, la demande in- térieure d'acier serait supérieure à celle qui était prévue, et donc nécessiterait que la capacité de production ne soit pas réduite, et même au contraire augmentée pour la CGT.

Cette politique industrielle, pouvant être appliquée rapidement, s'inscrit dans la pers- pective politique de maintenir en France un tissu industriel cohérent, planifiable et contrôlable encore au niveau national et de maintenir des emplois. Elle permettrait éga- lement à court terme de limiter la réduction d'effectif. CGT et CFDT préconisent une véritable articulation sidérurgie-industrie de transformation, fondée par exemple sur des contrats à moyen terme. Ils demandent qu'à l'adoption de cette orientation soit liée la création d'un organisme national de contrôle où siégeraient les organisations syndicales.

En matière d'échanges commerciaux internationaux, des divergences existent entre les deux syndicats. La CGT considère qu'un volume important d'exportation vers les pays tiers peut être maintenu et développé, notamment vers les pays sous-développés (mais n'est-ce pas pour eux aussi une condition de leur indépendance que de se doter d'une sidérurgie ?). Il reste que CGT et CFDT affirment deux nécessités : la négociation à l'échelle européenne d'un rééquilibrage des échanges commerciaux d'acier, la nécessité d'engager des actions internationales pour harmoniser les conditions d'emploi et de tra- vail. De ce point de vue, la CGT semble vouloir rattraper le temps perdu. Elle multiplie les initiatives et les contacts. Elle tente avec insistance de rentrer au sein de la Confédé- ration européenne des syndicats, adhésion à laquelle s'oppose FO en France, et le DGB allemand. La condition mise est le retrait de la CGT de la Fédération syndicale mon- diale de Prague. Pour l'immédiat, la nécessité d'accroître la productivité, donc de mo- derniser et de restructurer, est acceptée. La nouveauté est la tentative de définir une modernisation qui, au lieu de déqualifier, redonne aux travailleurs initiative et pouvoir sur leur travail et sur l'outil de production, et qui, au lieu de supprimer massivement des emplois, donne l'occasion de créer des emplois de remplacement (sous le contrôle des travailleurs) dans le prolongement même de cette modernisation et de réduire le temps de travail. Les propositions concrètes immédiates ne sont cependant pas toujours très claires.

Il reste que c'est la première fois que CGT et CFDT abordent aussi ouvertement le problème toujours esquivé de la modernisation capitaliste. De ce point de vue, une re- vendication fondamentale est posée : la possibilité pour les travailleurs de se réunir, au niveau de l'atelier, sur le temps de travail au sujet des conditions et du contenu du travail pour définir et imposer une autre façon de travailler. Même si les mesures revendiquées tendent au maintien de l'emploi, CGT et CFDT admettent de fait, en proposant des me- sures de diversification industrielle régionale, que la sidérurgie modernisée ne sera plus créatrice d'emploi, voire même en supprimera quelques-uns, y compris dans leurs hypo- thèses. Trois principes sont posés : les emplois nouveaux ne doivent pas être parachutés, sans lien avec l'activité industrielle existante, mais au contraire doivent être liés à la va- lorisation de l'acier produit ; les travailleurs doivent pouvoir contrôler en permanence l'évolution de l'emploi et de l'activité industrielle au niveau de chaque bassin sidérurgi- que.

Cette démarche et ces propositions rassemblent à coup sûr une multitude d'expérien- ces et d'aspirations des travailleurs. Elles n'ont pas été cependant, leurs auteurs le disent, le fruit d'une élaboration collective et de masse, condition pour qu'elles provoquent une mobilisation profonde et durable et pour qu'elles se précisent. Elles sont même présen- tées, affirme la FTM-CGT, « pour impulser un véritable débat de masse, une véritable

pratique de la démocratie de masse, car nous estimons qu'à notre époque et face aux difficultés de la crise, il n'existe pas d’autre réponse qu'une réflexion et une élaboration collective, par les intéressés eux-mêmes, en rapport avec la situation concrète qu'ils vi- vent et connaissent, et en rapport avec leurs aspirations, des solutions à apporter pour l'industrie et les régions. Et c'est sur ce terrain et avec cette pratique qu'il est possible de progresser dans l'unité entre les diverses organisations, et au-delà même, entre les différents courants d'opinion et les diverses couches sociales qui composent la réalité du monde du travail ».

Mais la lutte ayant été engagée le dos au mur, il est peu probable que ces proposi- tions qui exigeraient des actions méthodiques et sur longue période puissent avoir des concrétisations immédiates. Il n'est pas sûr, non plus, que leur esprit soit admis par tous

dans chacune des organisations syndicales. Il reste qu'il y a là peut-être l'amorce d'une autre stratégie et d'une autre pratique syndicale susceptible de permettre des luttes plus victorieuses à l'avenir.

Précisément, la sidérurgie «, ‘ ce n'est pas fini ». Si aucun investissement nouveau n'est réalisé en Lorraine rapidement au niveau de la production de la fonte et de certains laminoirs, c'est un plan de liquidation des usines qui sera annoncé dans peu d'années. La mise en oeuvre de la démarche précédente peut éviter ce nouveau rendez-vous.

6.9. Sous son aspect « assainissement financier », le plan gouvernemental a une co-

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 158-161)

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