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La crise, comme toutes les crises capitalistes, est la manifestation de la mise en place finale d’un nouveau stade de la division du travail et d’une nouvelle réparti-

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 120-123)

tion spatiale de cette division. En Europe, la sidérurgie italienne et la sidérurgie allemande ont les plus grandes chances de sortir les moins affaiblies de la crise

La crise contraint les sociétés qui n’avaient pas imposé assez vite à tous les travailleurs le nouveau stade de division du travail : l’automatisation, de le faire brutalement, en ar- rêtant purement et simplement les installations matérialisant un stade antérieur de la di- vision du travail. C’est ce que veut faire Usinor en arrêtant les hauts fourneaux et les aciéries de Denain et Longwy, pour ne garder de ces usines que les trains de laminoirs qui sont les plus automatisés, et en reportant la production de fonte et d’acier sur les hauts fourneaux et les deux aciéries de Dunkerque sous-utilisées.

Ainsi les « meilleures » installations seront saturées et produiront à des coûts corres- pondant aux prix effondrés. La production aura la possibilité de se maintenir, voire de s’accroître un peu, mais les capacités de production seront réduites. Si la demande re- part, la sidérurgie française sera compétitive, mais manquera de capacité, alors que les sidérurgies dont toutes les usines sont déjà automatisées et qui ne fonctionnent qu’à 60 ou 70% de leur capacité en raison de l’effondrement des marchés pourront faire face à l’accroissement de la demande. II se produira alors en termes de volume de production et de bénéfices un reclassement des sidérurgies entre elles. Comment se présente ce re- classement?

Le Japon est secoué par la crise et il a souffert des obstacles dressés contre ses expor- tations. Mais de tous les pays capitalistes avancés, il connaît la baisse de production la plus faible. Il dispose de l’industrie sidérurgique la plus automatisée qui, le moment ve- nu, pourra reprendre facilement son expansion. Surtout, il s’oriente délibérément vers la Chine, où ses exportations et ses livraisons d’usines augmentent fortement depuis 1976.

Les États-Unis ont une industrie sidérurgique qui a vieilli et des coûts salariaux éle- vés. Elle a subi des assauts très forts des Européens et des Japonais pendant plus de deux ans. Les mesures protectionnistes et la baisse du dollar lui donnent cependant une rémission pour se réorganiser.

Les sidérurgies des pays en voie de développement ont progressé. Cette progression affecte les sidérurgies des pays capitalistes avancés moins par la concurrence sur le marché international (mis à part la Corée du Sud, le Brésil...) que par la restriction des débouchés qu’ils représentaient jusqu’alors. De 1974 à 1977, leur production est passée de 60,8 Mt à 69,5 Mt. Certaines sidérurgies ont cependant des ambitions importantes. La sidérurgie d’État de la Corés du Sud a atteint 4,2 Mt en 1977 grâce à une usine de 5,5 Mt de capacité, qui est en train d’être portée à 8,3 Mt. Le projet d’une nouvelle usine de 12 Mt est sur le point d’être adopté. Ce n’est pas la Corée du Sud qui absorbera une telle production. Une part importante ira sur le marché international.

Les sidérurgies européennes sont les plus touchées. D’ores et déjà, la part de la pro- duction CEE dans la production mondiale est passée en quatre ans de 21,9% en 1974 à 18,6% en 1977. Globalement, la balance commerciale avec les pays tiers n’a pas été dé- gradée. Les sidérurgies européennes simplement n’ont pas été les fournisseurs de la de- mande nouvelle dans le monde depuis 1976. Cependant, selon les pays de la CEE, les évolutions sont différentes.

Les pays les plus affectés sont le Luxembourg, la Belgique et la RFA. Leur produc- tion a régressé de 1974 à 1978, respectivement de 30%, 29% et 23%. Leur part dans la production de la CECA à 9 est tombée entre les mêmes dates respectivement de 4% à 3%, de 10,4% à 9,5% ; de 34,2% à 31,0%. La France est dans la moyenne : la produc- tion de 1978 est inférieure de 15,6 à celle de 1974, et sa part dans le total CECA est res- té stable 17,2%. Par contre, l’Italie progresse de 3% et sa part passe de 15,3% à 18,4% devançant définitivement la France. Globalement, elle dispose des usines les plus mo- dernes d’Europe. Sa balance commerciale traditionnellement déficitaire en raison de sa faible capacité initiale (la sidérurgie italienne a démarré après guerre avec une capacité de 2 Mt !) et en raison du dynamisme de ses industries de transformation, est devenue excédentaire depuis 1975 et l’excédent ne fait que s’accroître (+ 1,5 Mt en 1977). En 1978, l’Italie a produit 24,4 Mt (1,6 Mt de plus que la France) avec 96.000 travailleurs (41.000 de moins que la France).

La RFA et le Benelux sont les plus perméables aux importations des pays tiers, alors que leurs exportations, tant vers les pays de la CEE que vers l’extérieur, stagnent. Ils ont les taux d’utilisation de leur capacité de production d’acier les plus bas. En 1977 : 52% pour le Luxembourg, 58%pour la RFA, 59% pour la Belgique. À l’inverse, l’Italie et dans une moindre mesure la France résistent mieux aux aciers des pays tiers et accrois- sent fortement leurs exportations. Leur taux d’utilisation est respectivement de 69% et 66%. Mais, en termes financiers, le palmarès est pratiquement inversé. Les sidérurgies italienne et française, étant aussi endettées l’une que l’autre (plus de 100% de leur chif- fre d’affaires), affichent des déficits considérables, alors que celles de la RFA, du Luxembourg et les Pays-Bas, étant donné leur faible endettement, arrivent à supporter la situation, notamment la sidérurgie allemande, en raison de son intégration dans de grands groupes industriels diversifiés. Il est à noter en particulier que c’est l’Allemagne qui, de tous les pays européens, a le plus accru ses exportations « indirectes » d’acier, c’est-à-dire des exportations d’acier sous forme de produits manufacturés et d’équipements. Par contre la Belgique, qui avait en 1974 un faible endettement (20% du chiffre d’affaires) enregistre des déficits aussi importants que la France et l’Italie.

Les écarts de « modernisation » entre pays sont importants. En 1977, 100% de l’acier néerlandais est de l’acier à oxygène pur ou électrique, 91,7% de l’acier italien, 81,9% de l’acier allemand, 81,3% de l’acier belge, 75,6% de l’acier luxembourgeois, 70,3% de

l’acier français, et 44,0% de l’acier lorrain. 39% de l’acier peut être coulé en continu en Italie, 30% en RFA, 20% en France, 17% en Belgique, 3% en Lorraine.

Contrairement aux autres pays, les usines françaises présentent entre elles des écarts de modernisation considérables. De Dunkerque et de Fos aux usines rapiécées de Lor- raine, telle Hagondange, la productivité varie au moins du simple au double. Sans cer- tains hauts fourneaux, aciéries et laminoirs, la productivité française serait la plus forte d’Europe avec l’Italie et les Pays-Bas. C’est ce que vise le plan industriel que cherche à imposer le gouvernement actuellement.

Cependant, les évolutions retracées précédemment paraissent contradictoires. Entre autres, comment expliquer que la sidérurgie allemande globalement plus « modernisée » que la sidérurgie française ait vu sa production reculer plus fortement? Reprenons par pays.

L’Italie a la productivité la plus élevée, la monnaie la plus dépréciée, et les salaires et charges les plus bas. On comprend ses performances. Dans ces conditions, son endette- ment et ses déficits ne sont pas absolument catastrophiques. Dès la reprise de la de- mande, elle pourra utiliser à plein ses capacités de production, toutes compétitives.

La RFA vient en deuxième position pour la productivité, et son endettement est le plus bas d’Europe, mais elle a des salaires et charges et des coûts d’approvisionnement élevés, et sa monnaie est la plus forte. On comprend le recul de sa production et la di- minution de son excédent commercial, dans la situation présente, ainsi que sa stratégie de transformer sur place au maximum l’acier et ses résultats financiers, qui sont les moins déficitaires d’Europe.

La Belgique a une productivité voisine de celle de la RFA, mais les salaires et char- ges y sont les plus hauts d’Europe, sa monnaie est forte. Son marché intérieur étant ré- duit, elle est soumise aux fluctuations internationales. C’est pourquoi sa production d’acier est celle qui a le plus reculé et ses résultats financiers sont aussi mauvais que ceux de la France.

La France, a la productivité la plus basse en moyenne (mais aussi des usines très per- formantes) et l’endettement le plus élevé avec l’Italie. Mais sa monnaie est dépréciée, les salaires et charges pratiqués un peu plus hauts seulement que ceux qui sont observés en Italie. On comprend que les exportations aient augmentés et que la production ait moins reculé qu’en Belgique ou en RFA, mais aussi que les déficits soient parmi les plus importants. La dépréciation de la monnaie et les salaires relativement faibles ne constituent pas des bases durables de compétitivité en règle capitaliste. Dépourvue de moyens importants d’investissements qui lui permettraient de créer des unités nouvelles se substituant aux anciennes déclassées, la sidérurgie française tente de relever sa com- pétitivité en ne gardant que les unités récentes au prix d’une réduction de capacité. Donc, lorsque la demande repartira, elle sera déclassée en termes de volume de produc- tion, mais les marges bénéficiaires devraient être rétablies.

Aussi l’avenir se présente très différemment suivant les pays. Le déclassement de la RFA du point de vue du volume de production par rapport à la France n’est pas un dé- classement du point de vue de la capacité de développement. Si les dépenses d’investissements sidérurgiques ont diminué dans tous les pays de la CEE, c’est en France et en Belgique que la baisse est la plus forte. La sidérurgie italienne, aidée par l’État, continue à investir à un niveau élevé, proche de celui de la RFA.

Pour les travailleurs, les années de crise qui viennent de s’écouler sont dures. D’après les documents de la CEE (afin d’avoir des statistiques comparables), l’effectif salarié inscrit de fin 1974 au printemps 1978 a diminué de 25,9’% au Luxembourg (- 5.988), de

22,5% en Belgique (- 14.338), de 12,5% en France (- 19.636), et de 10,9% en RFA (- 24.218). Seule l’Italie a maintenu son effectif.

Selon les différents plans de restructuration engagés en Europe, la réduction de l’emploi devrait être encore d’au moins 100.000 d’ici à 1980. L’objet de ce chapitre est d’essayer de comprendre comment les États et les Sociétés sidérurgiques ont laissé se dégrader la situation pendant quatre ans, en considérant trois nivaux : le niveau mondial, le niveau européen, le niveau français.

5.3. La guerre économique à l’échelle mondiale entre les producteurs d’acier.

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 120-123)

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