• Aucun résultat trouvé

L'État organise la plus forte réduction d'effectif jamais réalisée dans la sidé rurgie, en offrant peu de contreparties Les travailleurs, le dos au mur, réagissent

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 153-155)

L’esquisse d'une nouvelle stratégie syndicale

6.5. L'État organise la plus forte réduction d'effectif jamais réalisée dans la sidé rurgie, en offrant peu de contreparties Les travailleurs, le dos au mur, réagissent

par la violence, et le harcèlement permanent dans toutes directions

Au total, le plan de sauvetage prévoit 21.750 suppressions d'emplois du 30 avril 1979 à fin 1980, dont les 3/4 environ en 1979. Jamais, depuis 1966, un aussi grand nombre d'emplois doit être supprimé en si peu de temps. Le Plan Professionnel prévoyait 15.000 emplois en cinq ans sans licenciement. Le Plan de conversion : 10.500 en quatre ans sans licenciement. Le Plan acier 16.000 en deux ans, avec licenciements. Maintenant, il s'agit de 21.750 emplois en 18 mois, également avec licenciements.

Usinor-Chiers-Chatillon supprimerait 12.500 emplois sur 47.800 salariés. Saci- lor-Sollac, 8.500 sur 35.800. 14.000 suppressions d'emplois concernent le bassin sidé- rurgique lorrain. M. Giraud, ministre de l'Industrie, a laissé entendre qu'il y aurait, dans un premier temps, entre 14.000 et 16.000 licenciements sur les 21.750 suppressions d'emplois.

L'ampleur de ces chiffres, la brutalité de leur annonce, leur présentation sans contre- partie, la condamnation pure et simple de deux villes : Longwy et Denain, sont surpre- nants. Est-ce pensable que le gouvernement n'ait pas imaginé les réactions que ces décisions allaient provoquer ? De plus, il n'était pas sans savoir que les emplois nou- veaux annoncés en 1977 par des constructeurs automobiles étaient loin d'avoir été créés, et que la régie Renault avait même réduit son programme pour Thionville de 1.100 à 300 emplois. Il connaissait bien la situation particulière de Longwy où, depuis 1970, 850 emplois ont été créés, alors que la sidérurgie en supprimait dans le même temps 5.075, sans compter la disparition d'emplois chez des sous-traitants, dans les services publics, en raison de la dépopulation, et la disparition de commerçants, etc. Quelle tac- tique a-t-il préparé ? Constatant que les 16.000 emplois du Plan acier avaient été fina- lement rapidement supprimés, sans gros remous sociaux, alors que la gauche était dans sa phase ascendante, le gouvernement a-t-il estimé qu'après un baroud d'honneur le plan de compression d'effectif pourrait se dérouler au moindre coût ? A-t-il pensé que la gau-

che s'était suffisamment déconsidérée dans les derniers mois pour juger qu'il n'avait rien à craindre de sérieux de ce côté-là ? A-t-il placé la barre volontairement bas au départ, pour que sa marge de compromis soit plus large? A-t-il joué le grand coup pour provo- quer une prise de conscience de la gravité de la situation et des « sacrifices » qui étaient à faire?

La violence ouvrière a, de toute façon, déjoué les calculs gouvernementaux, si cal- culs il y a eu. L'attaque de deux commissariats de police et d'une compagnie de CRS, hors de toutes provocations immédiates, a brusquement rappelé au bon souvenir de tous que la lutte de classes passe par des phases variées. Le gouvernement n'a pas mis long- temps pour redécouvrir alors le rôle essentiel des syndicats, leur « esprit de sérieux et de responsabilité ». Il a organisé des discussions et des négociations pour eux à des ni- veaux multiples et avec des interlocuteurs différents : au niveau national avec séparé- ment le ministre de l'Industrie, le ministre du Travail, les PDG des groupes ; au niveau régional avec les chambres syndicales patronales ; au niveau local avec les directions d'usines, et des « comités de bassins » pour « régler les problèmes d'emploi cas par cas ». Mais il a pour l'instant obstinément refusé une conférence nationale tripartite, État-patronat-syndicat, réclamée par toutes les organisations syndicales pour discuter d'abord des choix industriels globaux et des mesures concrètes de restructuration. Il a accepté la création de groupes de travail sur les mines de fer, la question de la cokéfac- tion du charbon lorrain, la recherche et les aciers fins et spéciaux, sauf sur le problème urgent : la sidérurgie.

Le gouvernement pratique le stop and go social. Après avoir accédé à la demande de discussion sur le fond, laissant supposer des modifications, il réaffirme, ainsi que les PDG, l'intégralité de leurs décisions. Espèrent-ils ainsi éroder la capacité de résistance des travailleurs et donner le temps aux mesures sociales de jouer leur rôle de moindre mal aux yeux des travailleurs lassés et sans perspectives ?

Pour procéder aux réductions d'effectif, le gouvernement se trouve maintenant devant une difficulté : l'épuisement des possibilités de pré-retraites. À force de « dégager » de- puis douze ans les travailleurs âgés, leur nombre est aujourd’hui fortement réduit. Il faut alors moduler plusieurs moyens. Pour l'instant, les mesures qui semblent d'ores et déjà acquises sont la pré-retraite obligatoire à 55 ans pour les usines sidérurgiques du Nord et de la Lorraine, et même la pré-retraite plus tôt encore pour certaines usines où il n'y au- rait plus assez de travailleurs âgés. « La cessation anticipée d'activités » pourrait être proposée à 50 ans à certains travailleurs postés et à des invalides. Une « prime d'incita- tion au départ volontaire » est prévue. Elle serait de 50.000 F, à laquelle s'ajouterait 10.000 F « d'aide au retour » pour les immigrés. À l'exemple anglais, des sociétés de reconversion vont être créées, offrant des emplois temporaires d'entretien, de mécanique à des travailleurs licenciés, en attendant l'implantation effective d'industries nouvelles. Pour Denain, Usinor prévoit la possibilité d'embaucher 960 licenciés dans une société de reconversion Usinor-services.

Le ministère du Travail étudie même la pré-retraite à 54 ans: son coût serait moins élevé que le licenciement du nombre de travailleurs correspondants. Et il faut dire aussi que les indemnités ne seraient pas ainsi à la charge des entreprises. Des comités de bas- sins sont mis en place pour résoudre les problèmes de reclassement cas par cas, « fa- mille par famille ».

En matière d'industrialisation des régions touchées par les reconversions industriel- les, la nouveauté est un nouvel organisme : le Fonds spécial d'adaptation industrielle doté de 3.000 MF pour inciter à l'implantation d'emplois nouveaux. Comme dit

Raymond Barre : « la solidarité nationale commence à jouer »... à défaut de planifica- tion et de dessein régional. En économie libérale, il ne reste plus que les bons senti- ments pour pallier les tares du systèmes. À nouveau, l'industrie automobile est mise à contribution, mais cette fois-ci pour le Nord et les Ardennes : 5.100 emplois sur les 7.800 annoncés. La Lorraine devra attendre : 925 emplois nouveaux seulement, dont 191 pour le bassin sidérurgique de Lorraine du Nord. Boulogne, frappé par l'arrêt de Pa- ris-Outreau, doit se contenter de l'élargissement d'une route... Mais comme nous som- mes sous le règne du coup par coup, rien n'est définitif.

Le ministre de l'Industrie refuse absolument que des engagements soient pris dans la Convention sociale concernant à la fois les mesures sociales pour les travailleurs tou- chés par les réductions d'effectif et les créations d'emplois. La liberté de décider doit être laissée aux chefs d'entreprise. L'État ne doit qu'inciter. Tirant un trait sur la « plani- fication » gaulliste, Giraud redit en substance dans ce cas ce qu'il a dit à propos de la sidérurgie : « Nous ne voulons pas que les hauts fonctionnaires ou les ministres se subs-

tituent aux chefs d'entreprise pour prendre leurs décisions, la confusion en ce domaine entraînant une irresponsabilité générale ».

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 153-155)

Outline

Documents relatifs