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La commission de Bruxelles met trois ans pour adopter des mesures qui soient régulatrices du marché de la CEE et protectionnistes vis-à-vis des pays tiers, en

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 125-128)

raison des problèmes et des intérêts divergents des sociétés sidérurgiques euro- péennes

Dès mars 1975, Jacques Ferry, Président de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française, demande à la commission de Bruxelles, l’application de l’article 58 du Traité de la CECA. Cet article prévoit des mesures visant à réfréner « les excès de la concur- rence » dans certaines situations : fixation des prix minima, instauration de quotas de production pour les sidérurgies des pays membres, limitation des importations, etc. Mais, l’application de cet article ne peut intervenir qu’à l’unanimité des pays membres. Or cette unanimité n’existe pas.

Vers la fin de l’année 1975, un plus grand nombre de sociétés sidérurgiques euro- péennes craint que la crise ne soit durable : notamment les sociétés françaises, belges et luxembourgeoises. Elles font une nouvelle démarche auprès de la commission de Bruxelles. À la veille de la rencontre, Jacques Ferry, dans une déclaration, est particuliè- rement brutal : « Aucune subtilité juridique, aucune précaution dérisoire de vocabulaire

ne saurait prévaloir contre la nécessité, d’une part de reconnaître une situation qui met en péril l’existence même de nos entreprises et des travailleurs qu’elles emploient, d’autre part de promouvoir d’urgence, pour y faire face, des moyens réellement effica- ces (...).. Il importe que de toute urgence les institutions communautaires préservent ce qui peut encore l’être de l’unité de la Communauté du charbon et de l’acier et de ses raisons d’exister, car la sidérurgie européenne, son identité, ses structures sociales, sa capacité financière ne résisteraient pas deux fois à une crise d’une pareille ampleur ».

La commission estime que la crise n’est pas spécifique au Marché commun et qu’elle ne peut se régler qu’au niveau international. Elle décide de demander une discussion au sein de l’OCDE, l’Organisation Économique de Coopération et de Développement, en vue d’obtenir une autodiscipline concertée des producteurs. L’OCDE regroupe tous les pays capitalistes avancés (Europe, USA, Japon). Elle se félicite que la commission de Bruxelles n’ait pas pris des mesures unilatérales de restriction des importations qui pourraient entraîner des réactions en chaîne, aggravant la situation, et qu’elle ait fait ap- pel à la concertation internationale. Elle décide de poursuivre les échanges. La commis- sion de Bruxelles se félicite que tout le monde se soit félicité de son initiative. Elle continuera consultations et échanges d’information. « Quant à la fixation éventuelle des

prix minima, elle se révèle comme une opération très complexe dont les différents as- pects sont actuellement l’étude au sein des services de la Commission ». Puis les prix de

l’acier se raffermissant quelque peu début 1976, la question est mise en attente.

Que s’est-il passé ? Les sociétés sidérurgiques allemandes, hollandaises, italiennes et anglaises se sont opposées à des mesures protectionnistes ou d’autolimitation, ainsi que leur gouvernement respectif. À cela, vraisemblablement, trois raisons, tout au moins pour les sociétés allemandes. Les sociétés allemandes ont vu leur production baisser de 24% en 1975 par rapport à 1974, mais leurs moyens de réagir sont beaucoup plus grands : leur endettement est plus bas (en 1975, 16% du CA, contre 99,8% en France), leur ré- serve financière réelle et leur diversification poussée. La deuxième raison est que tout renchérissement « artificiel » par rapport au marché à la grande exportation de l’acier vendu au sein de la communauté risque d’augmenter le prix de revient des produits ma- nufacturés. Or, selon la politique économique gouvernementale et dans un contexte de réappréciation continue du Mark, il faut impérativement exporter pour maintenir la

croissance, limiter la détérioration de l’emploi et les risques sociaux, payer l’augmentation du prix des importations de matières premières, consolider les capitaux nationaux et préparer une puissance économique accrue lors de l’après-crise. Enfin, compte tenu de la place prise par les exportations dans l’activité économique euro- péenne, les pays du Marché commun et particulièrement les plus puissants ont plus à perdre qu’à gagner dans une escalade protectionniste.

Ces deux dernières raisons s’imposent à tous les gouvernements européens, et no- tamment français qui hésite à emboîter le pas de Jacques Ferry dans la voie du protec- tionnisme communautaire. Les sociétés sidérurgiques françaises, n’étant pas intégrées dans des groupes industriels diversifiés comme les sociétés allemandes, peuvent récla- mer des mesures protectionnistes pour que les prix de l’acier augmentent dans le marché de la CEE, reportant ainsi les difficultés d’exportation sur les industries de transforma- tion et le coût de l’augmentation de la productivité. Les sociétés allemandes, rassem- blant capitaux placés dans la sidérurgie et capitaux placés dans la transformation de l’acier, ne peuvent tenir cette position « égoïste ». L’obstruction allemande et néerlan- daise à des mesures communautaires n’a pas empêché les sociétés sidérurgiques de ces pays d’essayer de s’organiser entre elles pour harmoniser leur production et améliorer leur approvisionnement. En février 1976, deux organisations patronales de la sidérurgie allemande, le patronat néerlandais et la société luxembourgeoise ARBED, annoncent la création d’un Groupement Économique International (DENELUX), dont l’objet officiel est l’échange d’informations au sujet de la production, de l’emploi, et de l’approvisionnement en matières premières et en énergie. Ce regroupement représente près de 50% de la production d’acier de la CECA, et rassemble des usines qui sont par- mi les plus productives.

Les réactions sont très vives notamment de la part des sociétés lorraines, et des socié- tés belges du bassin de Charleroi. Le Traité de la CECA ne s’oppose pas à ce genre de regroupement, à la condition que l’adhésion y soit libre et que son activité n’entrave pas le maintien des conditions normales de la concurrence. Finalement, le GEI sera vidé de son objet réel, toutes les sociétés sidérurgiques européennes ayant décidé d’y adhérer. Sa forme ultime est une Association européenne de la sidérurgie, Eurofer, créée en dé- cembre 1976, avec pour président Jacques Ferry. Son but est de faciliter la coopération et de représenter les intérêts communs des adhérents auprès des pouvoirs publics et de la commission de Bruxelles.

Mais la reprise s’essouffle. Les commandes baissent à nouveau au deuxième trimes- tre 1976, et les prix ne tardent pas à faire de même. Le gouvernement français obtient en juillet, du gouvernement allemand que des mesures soient prises. La Commission de Bruxelles adopte finalement en décembre un plan anti-crise pour quatre mois, appelé Plan Simonnet, qui laisse sceptique tout le monde. Chaque société doit communiquer à la Commission chaque mois le détail de ses livraisons sur le marché communautaire. En fonction de son programme prévisionnel de la demande, la Commission communique confidentiellement à chaque société et pour les différents produits, un taux d’abattement de sa production qu’elle doit respecter. Pour les importations, la Commission passe des accords d’autolimitation avec les Japonais, les Espagnols, les Brésiliens, etc. Le Plan est prolongé jusqu’à juin, toujours dans l’attente d’une reprise. Mais rien ne vient. Les prix se dégradent encore, même sur le marché communautaire. La Commission adopte alors de nouvelles mesures, sous le nom de Plan Davignon. Elles s’ajoutent aux mesures du Plan Simonnet. Pour les « ronds à béton », dont les prix sont très bas, des prix minima obligatoires sont instaurés (supérieurs de 20 à 30%) avec interdiction de s’aligner sur les

prix des « ronds à béton » proposés par les pays tiers. Pour tous les autres laminés, il ne s’agit que de prix minima d’orientation, voisins de ceux du marché. Pour les importa- tions, une licence obligatoire, mais automatique, est instaurée. Elle n’a d’autre but que de connaître exactement les tonnages importés et les circuits suivis. Le Plan Davignon réaffirme l’opposition de la Commission à des mesures aux frontières. Les difficultés ne sont pas conjoncturelles, mais structurelles. La sidérurgie européenne doit se restructu- rer, améliorer sa productivité et s’adapter au monde extérieur.

Malgré la timidité de ces mesures, les Allemands se déclarent par principe opposés. Les Italiens protestent car les petits producteurs de ronds à béton et de laminés mar- chands de la vallée de Brescia, les Bresciani, vont perdre des marchés qu’ils ont acquis en France, en Allemagne, en Belgique, en raison de leur compétitivité record. Ils ne res- pectent d’ailleurs pas les prix minima. Un compromis sera finalement passé à la fin de 1977. À cette date, une entente commence à se faire entre sidérurgies européennes. En raison de la poursuite alarmante de la crise, des pressions politiques, des risques de dés- tabilisation politique dans certains pays, le patronat de la sidérurgie allemande accepte un renforcement du Plan Davignon, pour écarter « la menace d’un éclatement du mar- ché commun de l’acier ». Le 20 décembre 1977, un second volet du Plan Davignon est adopté. Les prix sont relevés de 15% en trois fois. Les prix minima obligatoires sont étendus aux laminés marchands, aux poutrelles, et aux bobines à chaud. Les autres res- tent soumis aux prix d’orientation.

Des négociations bilatérales avec les pays tiers se multiplient : Australie, Afrique du Sud, Suède, Tchécoslovaquie, etc. Dans l’attente d’accord, des droits sont imposés aux frontières du Marché commun, lorsque des écarts sont notés entre le « prix rendu usine » de l’acier et le coût de production dans les pays exportateurs. La Commission réaf- firme que ces mesures n’ont d’intérêt que si la sidérurgie européenne se restructure. Elle poursuit dans ce sens des études. Elle n’entend pas prescrire des opérations concrètes de restructuration, mais elle n’accordera aucun prêt si ces restructurations sont incompati- bles avec les objectifs généraux. Elle prépare un « volet social » à son Plan visant à harmoniser les modalités de mise en pré-retraite entre les pays membres et étudie les possibilités d’abaissement de l’âge de la retraite, la cinquième équipe, la limitation des heures supplémentaires, etc.

L’application du Plan Davignon durant l’année 1978 ne s’est pas faite sans diffi- cultés Si les accords bilatéraux avec les pays tiers semblent avoir bien fonctionné, les quotas de production n’ont pas été rigoureusement respectés par les sociétés du Marché commun. Quatre Bresciani et Usinor ont été sanctionnés. Certains ont appris à contour- ner la réglementation. Le gouvernement allemand est également revenu à la charge : «Ce serait une grave erreur de vouloir affronter les très importantes mutations qui se

produisent dans l’économie mondiale, par des mesures destinées à préserver les struc- tures actuelles ».

Mais fin 1978, les mesures Davignon semblent avoir eu des effets sur les prix : + 25% en quinze mois sur le marché communautaire, une réduction de l’écart de prix avec ceux qui sont proposés par les pays tiers (la réappréciation du yen a facilité les choses), au point que selon Davignon la pression des prix à l’exportation ne constitue plus une menace pour la stabilité des prix intérieurs. Le taux de marche des sidérurgies de la CEE est remonté de 60 à 74%. Le plan prévisionnel de production pour le premier trimestre 1979 prévoit 10% d’augmentation par rapport au trimestre correspondant de 1978. On reste cependant encore 13% en dessous du premier trimestre 1974.

Fin 1978, la question de reconduire le Plan Davignon l’année suivante est posée. L’Allemagne met un préalable : l’établissement d’un code des aides et des interventions des États en faveur de la sidérurgie. Elle se plaint que les conditions de la restructuration diffèrent beaucoup d’un État à un autre et ne sont pas égalitaires. À l’inverse, la France a demandé un renforcement du Plan Davignon par l’extension des prix minima obliga- toires, mais elle n’a pas été suivie par le Conseil des ministres de la CEE. Finalement, le plan anti-crise est reconduit en 1979 avec la promesse que le Conseil des ministres eu- ropéens adoptera avant le 1er avril 1979 un code réglementant l’octroi des aides natio- nales aux producteurs des différents pays de la CEE.

Pour 1979, la Commission de Bruxelles a décidé de mettre l’accent sur la restructura- tion. Cette restructuration doit, selon elle, être coordonnée au niveau de la Communauté, sous peine d’être vouée à l’échec. « L’une des raisons de l’actuelle crise résulte préci-

sément du manque de concertation lors de la mise en place de nouvelles capacités, sans fermeture de capacités anciennes ».

5.5. En 1975, le gouvernement et le patronat ne croient pas en une crise de longue

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 125-128)

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