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Durant la période d'expansion 1954-1960, les divergences entre le patronat de la Sidérurgie et le patronat de l'Industrie de Transformation éclatent concrète-

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 36-40)

Sidérurgie Industries de transformation 1954

2.1. Durant la période d'expansion 1954-1960, les divergences entre le patronat de la Sidérurgie et le patronat de l'Industrie de Transformation éclatent concrète-

ment. Quant aux organisations syndicales, elles peuvent encore éviter deux pro- blèmes très difficiles : la lutte contre la modernisation capitaliste et la nécessité d'engager des luttes au niveau international

L'expansion aura plusieurs effets sur la sidérurgie, compte tenu de sa structure à ce mo- ment-là. Partout dans le monde, il y a une famine d'acier. Les prix montent. Quand bien même les sociétés auraient eu la volonté de rationaliser leur domaine industriel, elles sont prises de court par la demande. Les clients acceptent tout type d'acier presque à tout prix. Les sociétés doivent faire fonctionner leurs usines à plein, quel que soit leur stade de modernisation. Il n'est donc plus possible de reporter la production sur les installa- tions les plus performantes. Tout est utilisé pour produire. L'absence d'usines neuves fait cruellement défaut. On « rapièce » plus que jamais. Mais les sociétés ne sont pas encore suffisamment certaines de la solidité de l'expansion. Elles estiment ne pas avoir encore des moyens financiers suffisants pour prendre la décision immédiate de construire des usines neuves. Et elles songent moins que jamais à se regrouper, puisque l'expansion, si elle dure, leur offre peut être la possibilité de rester indépendantes. Elles sont donc ame- nées pour l'instant à embaucher encore plus de travailleurs de type traditionnel. Par contre, si l'accroissement de la demande avait pu être assuré par des unités mécanisées, la classe ouvrière de type traditionnel aurait numériquement régressé, au profit des tra- vailleurs du stade de la mécanisation généralisée (OS-machinistes et ouvriers qualifiés d'entretien). De plus, le taux d’augmentation du nombre de ces derniers est plus faible que celui des ouvriers de métier et des manoeuvres, en raison des installations plus pro- ductives auxquelles ils sont affectés.

Donc, lorsque les sociétés sidérurgiques devront vraiment remplacer certaines usines par des unités neuves et restructurer les autres, en raison de la concurrence forte qu’elles subiront, elles seront devant la difficulté de se dégager de nombreux travailleurs qu’elles ont concentrés dans des régions mono-industrielles et dont beaucoup sont diffi- cilement reconvertibles en raison de leur qualification spécifique à la sidérurgie.

Pour l'heure, les sociétés n'ont qu'une préoccupation : maximiser immédiatement leurs profits, pour enfin avoir les moyens de créer, chacune, des unités nouvelles méca- nisées. Or, à l'exportation, les prix sont plus rémunérateurs que sur le marché intérieur, en raison d'une part du manque très important d'acier dans certains pays, et d'autre part, et surtout, en raison de la dépréciation importante que connaît le franc. Au détriment des industries françaises de transformation qui doivent importer au prix fort, les sociétés sidérurgiques augmentent fortement leurs exportations en 1955 et font tout pour les maintenir à ce niveau durant cette période. Pour résoudre la contradiction à leur profit, elles proposent d'augmenter encore plus les prix de l'acier sur le marché intérieur, alors qu'ils augmentent déjà fortement. D’où la grande querelle des prix. Les gouvernements successifs n'ont pas la capacité politique d'imposer une politique industrielle cohérente, comme en Italie ou au Japon. Alors que ces pays avaient tout intérêt, à ce moment-là, à exporter leurs aciers en raison de son bas prix de revient, ils décident au contraire que leur sidérurgie alimentera quasi exclusivement leurs industries de transformation pour leur permettre un développement très rapide. Ce qui sera.

Les demi-mesures qui sont prises en France ne résolvent aucun problème. Elles les résolvent d'autant moins que de nouveaux choix stratégiques sont à faire qui requièrent des capitaux encore plus importants qu'avant : les usines côtières et l'acier à oxygène pur.

Les premiers gouvernements de la Ve République tentent de résoudre la contradic- tion entre le patronat de la sidérurgie et le patronat des industries de transformation, en appuyant une politique ambitieuse de forte augmentation des capacités de production, permettant de satisfaire largement la demande intérieure à venir, et la clientèle exté- rieure. Mais il est trop tard. Les conditions d'un ralentissement de la demande d'acier et d'une vive concurrence se sont mises en place durant l'expansion.

La CGT avait annoncé des catastrophes pour la Sidérurgie française et pour l'indé- pendance nationale si la CECA était effectivement mise en place. De fait, logiquement un processus concurrentiel grave pouvait se déclencher. Il ne se déclenche pas en raison du manque généralisé d'acier et aussi en raison de la politique industrielle suivie par les sociétés allemandes et la Finsider italienne qui préfèrent alimenter leur marché intérieur. Pour les mêmes raisons, le mouvement ouvrier n'a pas eu non plus à affronter la ques- tion de la "modernisation capitaliste" et la question des luttes au niveau international.

C’est au développement des traits principaux de la période 1954-1960 résumés ici que ce chapitre II et consacré.

2.2. Expansion, profits, « paix sociale » pour les Sociétés. Semaine de 55 heures, accidents, stabilité de l'emploi et amélioration du niveau de vie pour les travail- leurs

1953 est une année de stagnation. Au milieu de l'année 1954, les commandes repartent. La production connaît durant sept années consécutives une progression continue passant de 10,6 Mt en 1954 à 17,3 Mt en 1960, soit une augmentation de 63%. Les prix de l'acier sur le marché intérieur augmentent également de 49,4%, alors que les prix indus- triels ne croîtront que de 28,9% et les prix de détail de 35,0%. Les prix des matières premières, à l'exception de la ferraille, n'augmentent pas plus, et même moins vite pour certaines, que les prix des produits sidérurgiques. À la grande exportation, les prix de l'acier sont élevés en 1954, et augmentent eux aussi de plus de 50%.

Les nouvelles installations entrent en service et peuvent être utilisées à plein de leur capacité. Le chiffre d'affaires de la sidérurgie française est multiplié par 2,4 entre 1954 et 1960. Les résultats bruts d'exploitation pour la période représentent 15 à 20% du chif- fre d’affaires suivant les sociétés. L'endettement de la sidérurgie, qui a atteint en 1954 60,5% de son chiffre d’affaires, baisse régulièrement malgré les nouveaux investisse- ments jusqu'à 46,0% en 1960. Les quatre grandes sociétés atteignent la taille des 2 à 3 Mt de production annuelle. Les mines de fer connaissent une progression très rapide également. La production des mines lorraines passe de 38,0 Mt en 1954 à 62,0 Mt en 1960. Les exportations vers le Luxembourg, la Belgique et la Sarre doublent presque : de 13,8 Mt à 25,3 Mt. Dans de telles conditions, l’optimisme des sociétés, mesuré au départ, s'affirme d'année en année. Elles pensent pouvoir rester autonomes. Toutes éla- borent des projets plus ou moins ambitieux.

D'un point de vue capitaliste, la sidérurgie française ne tire cependant pas tout le parti possible de la période 1954-1960. De plus, elle va se préparer trop tard aux conditions nouvelles du marché de l'acier qui s'imposeront à partir de 1961. Sa façon de réagir à la période d'expansion va d'ailleurs accroître ses difficultés dans la phase suivante.

Durant la période 1954-1960, il ne se produit aucun mouvement de grèves très im- portant. La répression patronale contre les militants syndicaux avant 1954 a effective- ment affaibli les organisations dans la sidérurgie. 41 ouvriers sont encore licenciés en 1955 suite à une grève pour la sécurité et les salaires à Homécourt (Sidélor). Certains des combats politiques de la CGT ont provoqué des tensions et la démobilisation d'une parties des travailleurs. Les évènements de Berlin-Est en 1953, puis de Pologne en 1955 et de Hongrie en 1956 suscitent des remous parmi les syndicalistes, et le doute parmi les travailleurs.

La guerre d'Algérie, la dégradation des institutions de la IVe République, l'incapacité des gouvernements successifs à maîtriser la situation préoccupent de plus en plus les organisations syndicales et accaparent une part grandissante du temps de leurs militants. Les journées revendicatives nationales se répètent, à intervalles plus ou moins réguliers, sans provoquer de sursaut et de participation active des travailleurs. Par contre, on voit apparaître des actions limitées, déclenchées par un atelier ou une catégorie de salariés, et qui se révèlent être efficaces : grève, tous les dimanches, des hauts fourneaux de l'usine Lorraine-Escaut à Longwy, pour obtenir de ne travailler qu'un dimanche sur sept, et ne faire que 52 h 40 par semaine ! Grève de pontonniers pour passer d'OS 2 à P 1, etc. La troisième semaine de congés payés, l'unification et l'amélioration des régimes de retraites complémentaires qui sont les acquis les plus importants de cette période sont obtenues grâce aux mouvements de grève de 1955 à Saint-Nazaire et dans la métallur- gie, sans une participation très active de la sidérurgie.

L'attitude du patronat devient moins dure et plus diversifiée. En période d'expansion, une grève longue est coûteuse, et il est plus difficile de refuser des augmentations de salaires. Les revendications sont un peu mieux prises en considération. Certaines socié- tés, notamment Lorraine-Escaut et Usinor, commencent à considérer qu'il ne sert à rien de nier le fait syndical, et qu'il vaut mieux tenter de faire jouer un rôle modérateur aux syndicats dans les rapports patronat-travailleurs.

Pour les travailleurs, la période 1954-1960 est à la fois une période de forte exploita- tion et une période de stabilité de l'emploi, de promotion et d'amélioration du niveau de vie. La durée hebdomadaire du travail dépasse encore 55 heures et ne diminue que très lentement. Le seul bassin de Longwy (21 600 sidérurgistes en 1960) totalise en 7 ans 91 tués dans les usines sidérurgiques. Chaque année on y compte en moyenne un accident,

nécessitant un arrêt de travail, pour quatre ouvriers. Les capacités normales de produc- tion d'acier étant insuffisantes par rapport à la demande, les sociétés cherchent à faire fonctionner leurs usines au maximum, en multipliant les heures supplémentaires et en poussant les installations souvent au-delà de leur limite de sécurité. Pour 1957, année durant laquelle le nombre d'accidents est particulièrement élevé, l’Union Métallurgique et Minière de Longwy voit quant à elle d'autres causes à ce bilan : "L'aggravation cons-

tatée depuis deux ans peut être attribuée à deux causes principales qui tiennent en échec les progrès de la prévention réalisée dans les usines :

- l'accroissement de l'activité industrielle a conduit les usines à embaucher une main-d'oeuvre souvent inadaptée aux travaux de l'industrie (Nord-africains et Italiens en particulier). Ces travailleurs sont plus fréquemment victimes d'accidents du travail que leurs camarades plus évolués, déjà habitués au rythme de la vie en usine et leur inexpérience conduit souvent à des accidents plus graves.

- la durée des arrêts de travail - pour un accident de même gravité - s'est fâcheusement allongée. Il est hors de doute qu'une complaisance trop grande de la part de certains médecins n'y est pas étrangère et qu'un contrôle plus serré de la Sécurité sociale per- mettrait de déceler et de supprimer certains abus"

Lorsque la direction de Wendel-Sidélor, devenue Sacilor, réorganisera ses usines de 1971 à 1974, et qu’elle procédera à une réaffectation générale des travailleurs aux pos- tes de travail conservés ou nés de cette réorganisation, elle découvrira que 10,8% des ouvriers qu'elle emploie sont des handicapés physiques. Un grand nombre de ces tra- vailleurs ont été accidentés durant cette période d'intense production sur du matériel vé- tuste.

L'afflux de travailleurs dans les zones sidérurgiques n'est accompagné qu'avec retard par des programmes de construction de logements. Le pourcentage de logements sur- peuplés varie, suivant les communes dans le bassin sidérurgique de Lorraine du Nord, de 40 à 50% du total des logements. Les travailleurs immigrés algériens vivent dans les plus mauvaises conditions. Andrée Michel, dans son enquête sur la main-d'oeuvre algé- rienne en Moselle réalisée à cette époque, note :

« Dans les secteurs proprement sidérurgiques, la main-d'oeuvre algérienne est massi- vement logée par les employeurs. 97% à Hayange, 70% à Hagondange... car il n'existe pas comme à Thionville ou à Metz de ces quartiers vétustes, bombardés pendant la guerre, où on pousse les Algériens à s'y installer dans la mesure où on leur offre rien d'autre.

« Ceci dit, même dans la vallée de la Fensch, de l'Orne et de la Moselle, une fraction importante des Algériens ne sont pas logés, et doivent s'installer en surnombre, clandes- tinement, dans les foyers-dortoirs, ou dans des abris de fortune (chantiers, granges, etc.).

« D'où aussi la pratique, bien connue dans toute la vallée de la Fensch, que l'on dé- signe habituellement sous l'appellation : « les 3x8 dans les dortoirs ». Elle consiste pour l'ouvrier algérien qui travaille à abandonner son lit à un camarade sans logis. Il faut donc supposer que les 10 500 lits accordés par les employeurs aux Algériens de la Moselle sont en réalité occupés par 15 000 locataires, 4 500 étant des « clandestins », c’est-à-dire qu'un lit sur deux environ est occupé jour et nuit par deux locataires diffé- rents dont le second est amené à travailler de nuit afin de profiter de l'hospitalité diurne que le premier lui accorde, si celui-ci travaille de jour. Le travail continu de la sidérur- gie se prête d'ailleurs à de tels arrangements, que l'on peut considérer, selon l'expres- sion d'un Algérien, comme un débrouillage de misère ».

Mais, tout en subissant pour certains des conditions de surexploitation, les travailleurs de la sidérurgie ont des emplois assurés, un contexte professionnel stable et des salaires qui augmentent. De 1954 à 1960, l'effectif ouvrier des activités proprement sidérurgi- ques passe de 119 000 à 131 000, soit 12 000 emplois nouveaux. Les usines embau- chent. Les jeunes y trouvent du travail. Les qualifications et les règles de promotion sont stables, et bien établies. Il est possible de faire carrière au moins pour les travailleurs français et les immigrés anciens. La formation est encore largement empirique. Elle se fait sous l'autorité des ouvriers de métier. Le « rapiéçage », dans la mesure où il ne fait pas franchir d'étape à la division du travail, ne bouleverse pas les structures profession- nelles. Le gain horaire ouvrier augmente de 77,5% de 1954 à 1960. Le salaire net annuel moyen augmente quant à lui de 85,4%, alors que l'inflation est pour cette période de 28% selon l'INSEE, 50% selon la CGT. La progression est plus forte que dans le reste de l'industrie où elle est de + 69%. À qualification égale, le salaire horaire est plus élevé dans la sidérurgie. À coup d'heures supplémentaires, certains travailleurs peuvent se lancer dans la construction ou l'achat d'un logement.

L'aspect contradictoire de la période pour les travailleurs se traduit dans le turn over. Les conditions de travail sont tellement dures que nombre de travailleurs changent sou- vent d'emploi, mais ils le font aussi parce que le marché du travail le leur permet. Le

turn over baisse en effet dès que la conjoncture est moins bonne. Durant cette période, il

est au contraire à un niveau élevé. Dans le bassin de Longwy, il est de 18% pour l'en- semble de la main-d'oeuvre ouvrière, 13% pour les Français, 23% pour les immigrés, mais 35% pour les Maghrébins.

La nouvelle classe ouvrière qui se constitue avec la mécanisation généralisée dans la sidérurgie reste très minoritaire. Elle est localisée dans deux unités seulement : Denain, et son prolongement Montataire, et Sollac. Elle commence à s'insinuer dans les usines anciennes avec les "trains continus à fil", avec les nouveaux trains à tôles fortes ou à poutrelles, avec les ateliers d'agglomération. Mais elle est proportionnellement faible 13 000 ouvriers environ sur 131 000 en 1960.

2.3. Cependant, la sidérurgie française ne profite pas pleinement de l'accroisse-

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 36-40)

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