• Aucun résultat trouvé

L’annonce brutale du Plan de conversion Wendel-Sidélor (octobre 1971) pro voque « l’émotion » des milieux politiques qui ont en vue les élections législatives

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 101-104)

L’entrée en scène de la nouvelle classe ouvrière 1968-

4.6. L’annonce brutale du Plan de conversion Wendel-Sidélor (octobre 1971) pro voque « l’émotion » des milieux politiques qui ont en vue les élections législatives

de février 1973. Après l’échec de la grève de Knutange, les travailleurs sont scepti- ques sur la possibilité d’une lutte efficace. Les organisations syndicales manquent l’occasion de poser le problème régional d’un point de vue ouvrier

Le 27 octobre 1971, Dherse présente le Plan de conversion Wendel-Sidélor au Comité central d’entreprise. 10.650 emplois seront supprimés de 1971 à 1975. Cette annonce fait l’effet d’une bombe. Si dans le rapport du 6e Plan, il était bien mentionné une ré- duction de l’emploi dans la sidérurgie de l’ordre de 13.000 postes, personne ne pensait que cela prendrait la forme de fermeture totale ou partielle d’usines, notamment celle de Micheville à Villerupt.

« L’émotion » des milieux politiques est énorme. En quelques jours, les sidérurgistes et la Lorraine voient tous les dirigeants politiques venir les « soutenir » ou exprimer leur « préoccupation ». On est à quinze mois des élections législatives de février 1973. Le- canuet à Nancy dénonce l’impuissance et la résignation du gouvernement, et la soudai- neté de la décision de Wendel-Sidélor, prise sans concertation avec les responsables régionaux et les syndicats. J.J. Servan-Schreiber, à Longwy, déclare que le choix straté- gique fait en faveur de Fos contre la Lorraine est une erreur. « C’est un super

Concorde-bis, qui met en péril l’ensemble industriel français et notre potentiel dans le

Marché commun... Comment voulez-vous que Wendel-Sidélor, qui ne fait que 350 MF

de bénéfices, investisse 400 MF chez nous par an, et 5.000 MF à Fos ? » François Mit-

terrand à Hayange: « Le débauchage massif des ouvriers de Wendel-Sidélor... donne

toute leur signification aux positions qu’a prises le PS, lors du Congrès d’Épinay, pour que dans l’entreprise, le pouvoir effectif revienne aux travailleurs, qui sont directement concernés ». Georges Marchais à Villerupt, présente un plan d’urgence pour la Lorraine

et déclare: « Une grande question est aujourd’hui posée en Lorraine comme dans tout le

pays: est-il possible de faire reculer les monopoles et leur pouvoir ? Oui, c’est possible.

Pour cela, il faut que se rassemblent toutes les forces ouvrières, toutes les forces popu- laires... », et il invite les travailleurs à ne pas suivre les mots d’ordre lancés par les gau-

chistes. Même un membre du gouvernement, Messmer, ministre d’État chargé des départements et territoires d’Outre-Mer et conseiller général de la Moselle, met en cause les sociétés sidérurgiques « qui ont constamment refusé l’implantation

d’industries nouvelles ».

Les élus locaux, bien sûr, s’affolent. Conseils municipaux, conseils généraux, dépu- tés font tous des déclarations fracassantes. Même un député républicain indépendant va jusqu’à dire: « Le gouvernement devrait se montrer ferme pas de restructuration sans

que ne soit prête la diversification industrielle de notre région, victime de sa mo- no-industrie, tant et tant de fois dénoncée ». Le conseil municipal de Longwy, alors aux

mains de la majorité, demande au garde des Sceaux « d’étudier une loi permettant la

mise en cause personnelle des dirigeants de sociétés industrielles qui, par incapacité notoire, légèreté, imprudence inexcusable, absence de soins, ont amené la fermeture d’importantes installations sans assurer le reclassement du personnel licencié et bra- dent la sidérurgie lorraine ». Associations de commerçants et d’artisans, comités

d’aménagement, union de petites et moyennes entreprises, associations d’avocats, de médecins..., dénoncent, tous, l’absence de diversification industrielle et la responsabilité des « maîtres de forges » en la matière.

Dherse, abandonnant le mutisme patronal traditionnel, a décidé de prendre le taureau par les cornes : envoi successif de trois lettres explicatives aux 60.000 salariés de Wen- del-Sidélor, confrontation à la télévision avec les syndicats, réception des maires, visites d’information pour les élus de la région, explications données en séance du conseil gé- néral de Meurthe-et-Moselle, participation à des débats organisés par les centres de loi- sir, entretien personnel avec les directeurs de journaux. Dherse a constitué des équipes spécialisées pour intervenir auprès de la presse nationale, des radios, et de la télévision. Les cadres de Wendel-Sidélor sont chargés de redresser les contre-vérités dans tous les milieux lorrains. Henri de Wendel paie de sa personne en prenant la présidence de la Chambre de commerce de Moselle, « pour bien montrer la volonté du groupe de rester en Lorraine ». Les syndicats pourront obtenir, quand ils le désireront, et autant de fois qu’ils le voudront des « réunions informationnelles » présidées par Dherse lui-même.

Pour la direction de Wendel-Sidélor, la réduction de 10.650 emplois ne pose pas de problèmes majeurs. Les postes qui sont chaque année libérés par les « départs naturels » (en moyenne 5.000 par an, soit 8,6% de l’effectif total) seront attribués aux travailleurs dont le poste de travail est supprimé, selon leurs aptitudes. De plus, 4.298 travailleurs pourront partir en pré-retraite à l’âge de 60 ans. Sur les 4.500 travailleurs que Solmer embauchera à Fos, 1.250 pourront venir de Lorraine. « En outre, si cela s’avérait néces-

saire dans certaines périodes, il serait possible d’agir sur la main-d’oeuvre flottante, représentée par les courants temporaires individuels ou avec les entreprises de louage

de main-d ‘oeuvre qui actuellement représente 4.000 agents environ... Enfin, en dernier

ressort, il serait possible de diminuer l’horaire de travail actuellement de 46 heures

pour les non-continus et de 42 heures pour les continus. Une diminution de l’horaire

d’une heure demanderait théoriquement une augmentation d’effectif de 2% au moins, soit 1.200 agents ». Les garanties données au personnel muté sont celles qui avaient été

obtenues après la grève de Knutange. L’usine de Micheville ne sera pas fermée avant début 1973. Les salariés seront avertis de leur mutation de deux à six mois à l’avance. Une action spéciale sera menée en faveur des handicapés. Les cinq collèges d’enseignement technique du groupe (1.500 places) seront largement ouverts, avec promesse d’embauche aux jeunes qui en sortiront diplômés. Quant aux effets du Plan de conversion sur la Lorraine, Wendel-Sidélor estime qu’il ne faut pas en exagérer la por- tée. 10.650 emplois, c’est 1,2% de la population active lorraine. Wendel-Sidélor parti- cipe, par les sociétés Sideco, Lordex et Apeior, aux actions générales d’industrialisation, notamment en mettant à leur disposition des terrains et des locaux désaffectés. Enfin, si le gouvernement réformait la législation sur les patentes, les municipalités touchées par les arrêts d’installations ne seraient pas en difficulté.

Le financement des mesures sociales de conversion constitue en revanche le trou noir de l’information patronale. Le Fonds National pour l’Emploi financera les pré-retraites, mais on ne sait pas dans quelles proportions. La CECA, conformément à l’article 56 du Traité, paiera les indemnités d’attente, de déclassement, de formation professionnelle, de transfert de domicile, etc., pour 7.900 agents. Et c’est tout.

L’échec de la grève de Knutange a rendu sceptiques les travailleurs sur la capacité des syndicats à s’unir sur des objectifs avancés et atteignables. L’atmosphère pré-électorale, la « sollicitude » générale n’arrangent rien. Deux « grèves générales » ont lieu : le 6 et le 16 novembre 1971. Elles sont très diversement suivies selon les usi- nes. Et ce sera tout. Les Unions régionales sidérurgie CGT et CFDT étaient pourtant tombées d’accord sur une plate-forme minimum qui pouvait constituer un saut qualitatif dans l’action revendicative: « Surseoir à tout arrêt d’installation non accompagné de la

création d’emplois nouveaux dans les secteurs et localités touchés ; en cas de mutation des travailleurs, garantie intégrale du salaire et de la classification, prise en charge des dépenses de logement et de transport, et formation»

Dans toutes les couches de la population, en Lorraine, une idée s’impose. Étant don- nées les décisions brutales et incompréhensibles du patronat qui fait peu de cas de ses responsabilités régionales, les travailleurs, la population locale doivent avoir un droit de regard sur l’évolution de l’emploi, donc sur les décisions patronales qui la condition- nent. Les syndicats n’ont-ils pas alors l’occasion de poser le problème régional d’un point de vue ouvrier, d’obtenir un très large soutien offrant aux travailleurs la perspec- tive d’une avancée réelle ?

Le PC organise un soutien actif à la municipalité communiste de Villerupt (particu- lièrement touchée par le Plan de conversion avec la fermeture de Micheville) par toutes les institutions, associations, assemblées élues, et courants politiques du bassin sidérur- gique. Cette action aboutira au maintien du « train à rail » de Micheville, repris dans le cadre de la société 60/40 Sacilor/Rodange Athus : la Société des laminoirs de Villerupt, en septembre 1973 et la venue plus tard de la Saviem sur la zone industrielle de Batilly. Mais une occasion a été perdue par le mouvement ouvrier.

Jacques Chaban-Delmas, alors Premier ministre, annonce à des parlementaires lor- rains la tenue d’un Comité interministériel d’aménagement du territoire sur la Lorraine, fin décembre 1971. Il est décidé la création d’un fonds spécial d’aide aux collectivités locales touchées par la reconversion industrielle, la mise en place d’une coordination des organismes financiers pour le développement industriel en Lorraine : l’IDI (Institut de Développement Industriel) Lordex, et Sidéco et Sofirem (deux sociétés créées res- pectivement par la sidérurgie et les charbonnages). Et c’est tout.

4.7. Alors que les économies des métropoles capitalistes entrent en crise, un boom

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 101-104)

Outline

Documents relatifs