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La grève de Knutange (mai 1971), première grève depuis 1967 ouvertement contre la logique capitaliste, est isolée et échoue C’est le fruit des divisions syndi-

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 97-101)

L’entrée en scène de la nouvelle classe ouvrière 1968-

4.5. La grève de Knutange (mai 1971), première grève depuis 1967 ouvertement contre la logique capitaliste, est isolée et échoue C’est le fruit des divisions syndi-

cales de l’après mai 1968. Wendel-Sidélor peut annoncer son Plan de Conversion

Début avril 1971, l’arrêt de la plupart des installations de l’usine de Knutange est an- noncé au Comité d’établissement d’ici à la fin de l’année, comme cela était prévu et avait été confirmé en 1970. Mais les rumeurs nouvelles concernant un nouveau plan de compression d’effectifs provoquent la colère et l’inquiétude générale. Knutange est en grève le 8 avril. Le 16 une marche est organisée sur Hayange avec pour thème : l’arrêt de Knutange est le début de la liquidation de la vallée de la Fensch. Les orateurs au meeting protestent contre le peu d’emplois nouveaux, contre les mutations dans la val- lée de la Moselle qui font des communes de la Fensch des communes dortoirs.

Une troisième manifestation a lieu le 21 avril, cette fois-ci devant le siège social de Wendel-Sidélor à Hayange. Elle a lieu la veille d’une réunion paritaire avec Assimilor à Metz visant à améliorer la convention sociale. Le 21 la grève est totale à Knutange.

« Un important cortège se forma pour descendre vers Hayange. Pancartes et slogans

protestaient contre la liquidation de la vallée, et ainsi à grands renforts de cris, les

manifestants arrivaient devant le siège social de la Société Wendel-Sidélor. Ils avaient

été précédés par les grévistes de l’usine de Hayange, qui en passant par l’intérieur de l’usine, occupaient la place devant le bureau central », écrit le Républicain Lorrain du

22. Le ton monte. « Quelques jeunes grévistes voulurent prendre d’assaut les bureaux

et l’on vit gardes et dirigeants syndicaux unirent leurs efforts pour repousser les assail- lants ». R. Briesch, secrétaire régional sidérurgie CFDT déclare: « que les patrons sa-

chent bien qu’aujourd’hui ce n’est plus un avertissement mais une déclaration de guerre ». R. Guyot de la CGT lance un nouveau chiffre d’emplois supprimés dans la

sidérurgie lorraine : 12.600. « Nous ne sommes pas contre ces nouveaux investisse-

ments, contre le progrès, mais nous nous opposerons contre la suppression de la sidé- rurgie dans la vallée. Les usines sarroises livrent de la fonte à Sollac, un train de 5.531 tonnes de brames est arrivé dans la vallée venant d’Allemagne, alors que l’on veut fer- mer nos usines. Nous porterons notre action dans la rue, car toute la population est concernée. Les élus doivent prendre leurs responsabilités. Ils ne peuvent plus se conten- ter de discours ».

Les syndicats CGT, CFDT menacent de retirer leur adhésion à la convention sociale si elle n’est pas améliorée sur des points essentiels: pas d’arrêt d’installations sans ga- rantie effective de l’emploi par la création d’emplois nouveaux ; mutations sans perte de salaire ; mutations sans déclassement ; contrôle syndical avant et après les mutations.

Une quatrième journée de grève est prévue pour le vendredi 14 mai dans les usines Wendel-Sidélor. Les délégués CGT et CFDT de Knutange préparent, quant à eux, une grève de longue durée avec occupation, sur la base du maintien des installations. Ils en ont assez des « journées de protestation » qui ne débouchent sur rien. « Les piquets de

grève se sont mis en place dès jeudi à 21 h 45, prenant la place des gardes, non sans quelques réticences de la part de ces derniers ; c’est ainsi qu’hier matin aux cinq por- tiers, rouleaux de fil de fer, barres métalliques, etc., vieux balais avaient remplacé les grilles, interdisant toute possibilité d’accès à l’intérieur de l’usine. La sécurité a été toutefois assurée normalement»

S’il est vrai, comme le pensent les syndicats, qu’un nouveau plan de réduction d’effectifs est en préparation, la détermination des ouvriers de Knutange est importante. La réussite de leur grève peut permettre de présenter de nouvelles revendications. À l’inverse, pour la direction de Wendel-Sidélor, il faut couper court à toute montée re- vendicative. Le 15 mai, le caractère et le sort du mouvement vont se fixer. C’est un sa- medi et la paie de la quinzaine doit être faite. Le Républicain Lorrain raconte: « La

Direction refuse de distribuer les quelques 2.800 sachets de paie, craignant que toutes les mesures de sécurité n’étaient pas requises pour effectuer les opérations au grand bureau pourtant sévèrement gardé par les gendarmes mobiles, amenés dans la vallée de la Fensch, dès le vendredi, et qui avaient installé leurs campements dans différents bâ-

timents appartenant à la Société Wendel-Sidélor (gymnase, cercle Molitor, etc.)

« Devant ce refus, les ouvriers s’installèrent sur la RN 52 au carrefour près du via-

duc de Knutange. II était alors 8 h 30, et durant toute la matinée, la police se borna à dévier la circulation par Nilvange, Algrange, Angevilliers. Les dirigeants syndicaux eu-

rent alors une entrevue avec le sous-préfet de Thionville, qui joua le rôle

d’intermédiaire avec la direction de Wendel-Sidélor. C’est ainsi que la direction

s’engagea à effectuer la paie des ouvriers dès lundi, et au grand bureau même, ce qu’elle avait refusé quelques heures plus tôt. Les opérations de paie devaient également se dérouler sans la présence des forces de l’ordre. À 14 h cette nouvelle était annoncée aux ouvriers, un quart d’heure plus tard la chaussée était dégagée. Par ailleurs Wen- del-Sidélor avait demandé aux syndicats de dresser une liste des ouvriers « nécessiteux » qui pourraient être payés l’après-midi même. Les syndicats présentèrent une liste de 180 noms. La direction jugea ce nombre trop important et refusa de les payer. Une nou- velle fois la colère monta parmi les ouvriers qui se jugèrent dupés et décidèrent d’occuper à nouveau la RN 52.

« Il était 18 h, et bientôt la nouvelle circule de l’arrivée des gendarmes mobiles. Ef-

fectivement, M. Lévy, commissaire central à Thionville, et M. Langrognet, commissaire chef de la Sûreté à Thionville, se présentèrent devant les grévistes qui avaient été re- joints par M. Victor Madeleine, conseiller général et maire de Nilvange, secrétaire de la section CFDT de l’usine. Après un court palabre, M. Lévy menaça de faire intervenir la « force publique ». Calmement, les grévistes se mirent assis à même la chaussée, et c’est dans cette position qu’une cinquantaine d’entre eux affrontèrent les crosses et les matraques d’un peloton de gendarmes mobiles casqués, armés de fusils lance-grenades, de masques, de boucliers. M. Madeleine tenta bien de parlementer, mais ce fut peine perdue. Après les sommations, lancées par le commissaire Lévy, les gendarmes mobiles avancèrent en rangs serrés, la crosse levée.

« Ce fut un gradé qui donna le signal de la charge, en giflant un jeune ouvrier assis

sur la chaussée. Sans la moindre défense et résistance, les grévistes furent refoulés sur les trottoirs avec une extrême violence. La vitrine d’un magasin vola en éclats ; un dé- légué syndical de la CGT, M. Corvito, avait la figure en sang.

« Vers 21 h 15, alors que le carrefour de la RN 52 était libre à la circulation, et que

les syndicats demandaient aux grévistes et à leurs familles venues les rejoindre, de se disperser, les gardes mobiles ont chargé une seconde fois, à coups de matraque et de mousqueton »

De nombreuses personnes sont blessées, dont des enfants, des femmes et des vieux travailleurs. Une soixantaine de personnes sont interpellées, dont beaucoup de travail- leurs immigrés, et conduits au commissariat de Thionville.

« Vers 22 h, au café Rangoni qui, proche de l’usine est devenu le PC des syndicats,

le bruit courait que G. Séguy, qui hier à Jarny participait à l’Assemblée de l’Union dé- partementale CGT, pourrait aujourd’hui ou demain se rendre à Knutange. À la même heure, les syndicats CGT et CFDT de Moselle, au cours d’une prise de parole devant une centaine d’ouvriers, faisaient savoir qu’un appel était lancé pour que dès lundi

l’ensemble des sidérurgistes et métallurgistes de Moselle et Meurthe-et-Moselle lancent

une vaste action... ».

Tout se passe comme si le refus de faire la paie et l’intervention policière avaient été délibérés. La paie pour une période de travail non concernée par la grève est une chose sacrée pour les travailleurs. Le motif invoqué de l’absence de sécurité pour effectuer sans incident la distribution de la paie ne peut être pris au sérieux, à moins de croire que la Direction de Wendel-Sidélor se soit auto-intoxiquée à partir du petit incident du 21 avril, bien loin déjà. De plus, que pouvait-elle craindre avec la masse de gardes mobiles dont elle avait fait entourer le « grand bureau » ? De plus encore, comment expliquer son attitude humiliante consistant à proposer de ne donner la paie qu’aux « plus nécessi- teux », puis à refuser étant donné leur nombre: 180 sur 2.800 ! Son incompréhension de la classe ouvrière ne va pas jusqu’à ne pas savoir que des travailleurs, à qui on vient d’annoncer que leur emploi est supprimé et qu’ils vont devoir, dans le meilleur des cas être mutés dans des conditions entraînant déclassement, perte de salaire et exode quoti- dien, ne peuvent pas tolérer, par dignité et par nécessité, que leur travail passé ne soit pas payé et qu’une sélection soit faite parmi eux des « plus nécessiteux ». Comment en- fin ne pas parvenir à faire évacuer 50 à 100 personnes qui bloquent un carrefour sans recourir aux brigades spéciales ? Pourquoi charger à nouveau, alors qu’il y a seulement des attroupements sur les trottoirs?

Le moment est bien choisi. La succession de grèves d’une journée montre l’isole- ment progressif des travailleurs de Knutange. Ces grèves sont de moins en moins suivies dans les autres usines. La veille, c’était la quatrième du genre en l’espace d’un mois. Les syndicats ne pouvaient pas se permettre d’en rééditer une cinquième. À l’in- verse, les travailleurs de Knutange durcissaient leur position, et ils ne faisaient pas mystère les jours précédant le 14 qu’ils allaient occuper et se lancer dans une grève re- conductible toutes les 24 heures. Pour ne pas traîner ce conflit, il était tentant pour la Direction de Wendel-Sidélor de le casser en affichant une attitude intransigeante et en faisant dès le départ la démonstration que les travailleurs étaient bel et bien isolés. Par- venir briser le mouvement, c’était enfin décourager toute lutte à venir dans les usines, dont Wendel-Sidélor devait annoncer la fermeture totale ou partielle dans les mois sui- vants.

C’était aussi un pari considérable. En effet, la répression policière particulièrement brutale et sans « justification », même apparente, pouvait être l’événement qui manquait pour que tous les travailleurs du bassin sidérurgique se jettent dans la lutte. En 1967, il en avait fallu beaucoup moins pour qu’en deux jours toutes les usines soient occupées et barricadées. Mais le contexte n’est plus le même, et Wendel-Sidélor le sait. Les rapports CGT et CFDT se sont détériorés depuis 1968. Les travailleurs du bassin, sans autre perspective de lutte que d’améliorer la convention sociale, subissent le déménagement de la sidérurgie comme une politique sur laquelle ils n’ont pas de prise. Le gouverne- ment est décidé à tirer profit de la débandade de la gauche dans sa capacité d’animer et de diriger le mouvement, et à faire croire par un sur-déploiement policier que toute grève n’est qu’agitation gauchiste gratuite.

Wendel-Sidélor a vu juste. G. Séguy ne vient pas à Knutange. Finalement, il n’y a pas de grève de protestation le lundi 17. Par contre, une « pluie de communiqués et de télégrammes ». Knutange est isolé. Le Républicain Lorrain commente : « Un calme ap-

parent a régné hier dans la vallée de la Fensch, mais la situation à l’usine de Knutange n’a guère évolué. Après les incidents de samedi soir, le pire était à craindre, mais les syndicats CGT et CFDT ont su tenir la situation bien en main. C’est ainsi que la paie des ouvriers s’est faite normalement au grand bureau de Nilvange, sans la présence des gendarmes mobiles qui toutefois, n’ont pas quitté la région. Et puis, ce qui est impor-

tant, les ponts n’ont pas été rompus entre les syndicats et la direction Wendel-Sidélor».

Le mardi, les syndicats communiquent aux travailleurs les propositions de la Direc- tion et proposent un vote à bulletin secret, le lendemain, sur la poursuite ou non de la grève. Deux bulletins. L’un « je considère les résultats des discussions insuffisants et je continue l’action engagée ». L’autre « je décide de reprendre le travail tout en considé- rant les résultats des discussions comme première étape. » Le deuxième bulletin obtient 54% des voix. 1.652 travailleurs ont voté sur 3.404, soit moins de la moitié. C’est la di- vision, c’est l’écoeurement. Le travail reprend le 21 mai. La seule grève qui depuis 1967 remet en cause purement et simplement la logique capitaliste vient d’échouer, alors qu’elle aurait pu constituer un point de départ. Cet échec fera hésiter les travailleurs pour se mobiliser lors de l’annonce du Plan de conversion.

La proposition de la Direction de Wendel-Sidélor contient des améliorations par rap- port à la convention sociale de 1967. La direction générale renouvelle l’engagement de proposer, à chaque membre du personnel dont l’emploi se trouve supprimé, un poste correspondant à ses aptitudes, dans une usine du groupe.

II est précisé que la garantie contre toute perte de salaire pendant six mois, prévue par la convention sociale, sera, dans le cas de Wendel-Sidélor, assortie d’une garantie de ressources mensuelles pour la même durée, à condition que l’intéressé accepte l’horaire du poste qui lui est proposé, sauf contre-indication médicale. Si, au cours de la deuxième période de six mois suivant la suppression de l’emploi, il subsiste un pro- blème de diminution de ressources mensuelles, la direction générale s’engage à exami- ner chaque cas individuel en s’attachant à y trouver une solution satisfaisante.

La direction générale conservera, autant que possible, sa classification à chaque membre du personnel touché par les suppressions d’emplois. Pour y parvenir, elle met dès à présent en oeuvre les moyens de formation appropriés.

La direction générale confirme qu’elle a effectué auprès du Fonds national de l’em- ploi les démarches nécessaires en vue d’obtenir le bénéfice de la pré-retraite pour tous les membres du personnel des usines et des services centraux atteignant 60 ans d’ici fin 1972. Le nombre des personnes âgées de plus de 60 ans était, pour la société Wendel-Sidélor, de 1.142 au 31 mars 1971. En cas de besoin, une demande de mise en pré-retraite pourrait être déposée pour les années postérieures à 1972 (jusqu’en 1975).

En ce qui concerne la réduction de la durée du travail des services discontinus, la di- rection générale appliquera les décisions prises au niveau de la profession.

Dans le souci de maintenir les ressources mensuelles du personnel touché par les suppressions d’emploi, la direction générale s’engage à prendre à sa charge la moitié de l’augmentation des frais de transport provoqués par le changement de lieu de travail de l’intéressé. Cette prise en charge sera portée à 100% pour les six premiers mois, suivant la date de changement d’emploi.

Dans le cas où un poste correspondant aux aptitudes d’un membre du personnel dont l’emploi se trouve supprimé ne serait pas disponible, une formation complémentaire se- ra offerte à l’intéressé, destinée à permettre son reclassement dans les meilleures condi- tions possibles.

4.6. L’annonce brutale du Plan de conversion Wendel-Sidélor (octobre 1971) pro-

Dans le document La sidérurgie française, 1945-1979. (Page 97-101)

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