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Traduction d’un français traditionnel en nouveau français

E.

Il restait à penser la traduction d’anciens textes en nouveau français. C’est, visiblement, le travail qui a également été tenté par plusieurs traductions de la Bible en anglais pour produire des « gender-neutral versions »321 mais il s’agissait moins alors de transformer les accords grammaticaux que de transformer l’énoncé lui-même puisque, comme il est déjà apparu à propos de la Bible, l’écriture est énoncée en direction des hommes et selon un point de vue masculin. Transformer ce point de vue, c’est transformer la religion et l’amputer de sa base dogmatique, puisque c’est introduire la relativité dans une croyance à l’unique.

Pour ma part, je n’avais pas imaginé que ce fût une nécessité dans la mesure où les textes anciens ont leur qualité littéraire et qu’ils ont été élaborés par des auteurs qui les ont pensés tels, y compris dans la longueur syllabique et le rythme de la phrase. Cependant comme c’est une éventualité qu’un collègue avait soulevée, même si c’était pour en dire l’impossibilité, l’idée a fait son chemin et je l’ai d’abord appliquée à mes propres textes.

Là encore, point de trahison, puisque je suis l’autrice de la première version comme des suivantes. Et dans la mesure où les anciennes versions n’étaient pas publiées, je pouvais d’autant mieux assumer les nouvelles. Un texte en particulier me posait problème dans l’inventaire de ceux dont j’assumais l’idée mais dont la forme ne correspondait plus à ma conscience sémiologique. C’est justement celui où revient le terme « homme » où je suis incluse, puisqu’il est repris par un « nous », ce qui prouve d’ailleurs que ce qu’avance M. Yalom n’est peut-être pas valable pour toutes les filles et qu’il faut envisager le type d’éducation, la précocité ou non d’un bain littéraire et la prégnance du bain télévisuel.

Quoi qu’il en soit, il devenait impossible pour moi d’assumer mon discours intellectuel si ma pratique poétique ne suivait pas.

Comme j’ai intégré les réseaux de poésie orale qui permettent la diffusion des textes de jeunesse sans que leur publication soit nécessaire, j’ai donné en public une nouvelle version dont j’ai pu mesurer l’impact bien supérieur à celui de la première version.

Il se trouve que l’un des artistes présents venait de me transmettre l’information qu’il venait d’apprendre et selon laquelle, du temps de la reine Victoria, les ouvrages écrits par des hommes et les ouvrages écrits par des femmes étaient dans des lieux distincts sur les étagères de la bibliothèque royale. Ma version « bisexuée » ne pouvait avoir discours contextuel plus approprié. Mais, depuis, j’ai élaboré de nouvelles versions dont chacune, guidée par une nouvelle motivation, me permet de mesurer les étapes par lesquelles il faut passer pour venir au plus proche de soi.

Je présente le texte dans les cinq versions en annexe.

C’est là qu’une autre dimension s’impose, celle de l’oral, celle de la déclamation où le rythme est essentiel et c’est le ternaire non-dit qui jaillit de l’énonciation binaire.

Pour conclure ce préalable, je me réjouis que mes deux directrices de thèse aient précisément écrit sur le sujet de la langue selon les deux optiques dans lesquelles je m’engage : la parité linguistique et le potentiel créatif du langage.

Dans l’introduction au dossier sur Les enjeux de la parité linguistique, dans la revue

Nouvelles Questions Féministes, Fabienne Baider s’associe à Edwige Khaznadar et Thérèse

Moreau pour écrire, à propos du lexique des professions :

« L’utilisation du masculin dit générique biaise la représentation sociale des genres en

défaveur des femmes et ceci de façon systématique, alors que l’utilisation des vocables au féminin et au masculin permet aux filles comme aux garçons de s’investir émotionnellement et intellectuellement dans la profession. »

321

Michael D. Marlowe, 2001, The Gender-Neutral Language Controversy, http://www.bible- researcher.com/inclusive.html [20/03/2014] Je remercie Fabienne Baider pour m’en avoir signalé l’existence.

151 Et plus loin :

« La parité linguistique, la nomination au féminin et au masculin pour toutes les dénominations humaines, la représentation effective des femmes dans le discours social, sont des instruments essentiels dans la conquête d’une réelle égalité. » (2007)

Pour ma part, comme on l’a vu, je considère que ce n’est pas tant « la nomination au féminin et au masculin pour toutes les dénominations humaines » que l’utilisation simplement de la langue française dans toute sa potentialité qui permettra « la conquête d’une réelle égalité ». Ce qui inclut, et c’est tout de même la base, d’en finir avec un diktat selon lequel le masculin aurait un pouvoir globalisateur que le féminin n’aurait pas. Ce qui inclut donc d’en finir avec le masculin « qui l’emporte ».

Dans Féminin/ masculin : question(s) pour les SIC, Marlène Coulomb-Gully conclut :

« Ne considérer la langue que comme un instrument de contention, c’est faire l’impasse sur l’inventivité créatrice et libératrice du langage, qui peut aussi autoriser la subversion des identités, y compris dans le langage des médias. Et c’est bien dans cette tension entre contention et libération, conservatisme et évolution que doit selon nous s’effectuer cette approche. »322

Je les remercie pour la confiance qu’elles m’ont témoignée en acceptant de me diriger et pour leur soutien dans cette entreprise que je reconnais titanesque, mais, somme toute, de l’ordre de la quotidienne nécessité.

322

Marlène Coulomb Gully, Féminin/ masculin : question(s) pour les SIC dans Questions de communication, n°17/2010, p.194

152

Termes (notions) clés :