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A.

« HE ! DIEU, C’ETAIT UN PEDE : IL A FAIT L’HOMME A SON IMAGE !»

Réplique entendue de la bouche d’un jeune-homme qui parlait à un plus âgé sur le parvis de l’église Saint-Sernin à Toulouse un matin de 2010.

« CE QU’IL Y A DE GRAND DANS L’HOMME, C’EST

QU’IL EST UN PONT ET NON UN BUT : CE QUE L’ON PEUT AIMER EN L’HOMME, C’EST QU’IL EST UN PASSAGE ET UNE CHUTE. »

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, traduction Marthe Robert, 1958, Le Club Français du Livre, Union générale d’éditions, Paris, p.14 Le problème de l’homme, c’est d’abord sa traduction : l’acception du terme.

La première citation, mise ici en exergue, est à rapprocher du commentaire d’un interviewé à mon enquête de 2002 à questions fermées. L’une d’entre elles portait sur le sens du mot « homme » entendu hors contexte à laquelle deux réponses seulement étaient possibles, lesquelles correspondent aux deux acceptions données par les dictionnaires généraux unilingues, à savoir « être humain masculin ou féminin » ou bien « être humain non-femme ». Ce commentaire, à rapprocher de la citation, est : « Mais homme n’a jamais inclus le sens de

femme ! ». J’ai dû ouvrir un dictionnaire à l’entrée homme pour convaincre mon informateur.

Mais j’étais en droit de me poser la question : « qui a raison du dictionnaire ou de mon informateur ? »

Poser « le problème de l’homme » revient à poser plusieurs problèmes en une seule formulation.

Le problème de l’homme dans le syntaxème209 « problème de l’homme » c’est sa fonction d’objet ou de sujet : a-t-il un problème ou est-il un problème ?

Pour savoir s’il a un problème, il faudrait d’abord que nous puissions l’identifier. Or rien ne semble plus flou que son identification.

Pour les unes, c’est leur mari. Pour les autres, c’est un mythe (Voir publicité d’un parfum). Et pour moi, au moment précis où je posais la question en 2001, je me disais « homme » (un texte en annexe l’atteste). Or j’avais été dite « femme par excellence » par une relation

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J’emploie le mot « syntaxème » parce que je n’en connais pas d’autre qui veuille dire la même chose et il me semble que sa définition est transparente dans la phrase. Précisons-la cependant selon les mots de Conrad Bureau : mot ou groupe de mots qui occupe une fonction syntaxique dans la phrase, ici la fonction du groupe de mot « le problème de l’homme » est prédicative puisqu’elle est un titre, elle est donc de niveau 1. L’homme en tant que syntaxème à l’intérieur du premier groupe est de niveau 2 parce qu’il est syntaxiquement dépendant du noyau « le problème ». Mais c’est par l’articulation du mot de liaison « de », qui a la plus large polysémie dans la mesure où il prend son sens à partir des mots qu’il lie et, par conséquent, est tributaire non seulement du sens de ces mots-là mais surtout de l’interprétation des sujets émetteurs et récepteurs qui peut être différente de l’un à l’autre et qui fait tout l’intérêt de la recherche dans sa différence. Je profite de l’occasion pour faire une digression à ce propos, de l’ordre de l’épistémè : à mon sens l’intérêt de la recherche n’est pas de monter en généralité pour établir de grandes vérités qui devront attendre une nouvelle montée en généralité pour être bousculées, c’est le principe du conflit qui génère bien des dégâts avant d’aboutir, mais de creuser le détail pour y découvrir des richesses à mettre au jour, c’est le principe de la création. Il me semble que je me rapproche là de l’idée de l’acteur-réseau.

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rencontrée en 1971, et c’était en référence à un comportement que je qualifierais tout simplement d’humain.

Et je ne me considérais absolument pas comme un être humain mâle. Il fallait donc que je clarifie ce sens du mot « homme ». Et je devais en appeler à mes congénères et non au dictionnaire qui dit une chose et son contraire à ce propos.

C’est pourquoi j’ai élaboré une nouvelle enquête sur le sujet en me concentrant cette fois-ci sur le sens du mot en contexte de titres de livre. Or il apparaît que même en situation contextuelle, le sens du mot ne dégageait aucun consensus, que ce soit au singulier comme au pluriel210.

C’est donc le mot lui-même qui est un problème comme vient de nous le rappeler Le Goff. Ainsi La Maison des Sciences de l’Homme comme la Déclaration des droits de l’homme sont sources de toutes les confusions, discriminations et violences symboliques. Quand il est question de l’être humain, il est possible de le dire autrement qu’en employant cet homme qui existe en face de femme. L’humain peut être entendu comme un abrégé de « être humain », en s’accordant au masculin. La personne désigne également l’être humain en s’accordant au féminin.

Les désignations juridiques qui avalisent le terme « homme » au singulier ou au pluriel comme désignation de l’être humain placent définitivement les femmes dans l’ombre ou la tombe.

Par ailleurs, nous relevons la légèreté avec laquelle est employé le terme « homme », distinct de « femme » sur des radios qui semblent ainsi réservées aux hommes et qui sont par ailleurs écoutées comme des références de la langue française et de son usage par les lexicographes chargé·es d’élaborer certain dictionnaire unilingue. Ainsi, pourra être décodée la raison de la criante dissymétrie dans le traitement des femmes et des hommes dans le dictionnaire, dissymétrie relevée de façon humoristique par Françoise Leclère dans Le Petit Robert, qu’elle appelle Bob (2014), dissymétrie relevée en étude de fond par Fabienne Baider (2002), et de façon ponctuelle par moi-même (2010), dans plusieurs dictionnaires comparés, dissymétrie encore relevée par Caroline Courbières (2013).

Il est clair que s’impose la nécessité de refonder un dictionnaire affranchi de l’énorme norme du masculin considéré comme premier. C’est une dépense qui serait bénéfique à la connaissance de la langue et sa reconnaissance.

Pour illustrer le problème de « l’homme », voici l’annonce des différents points que deux hommes allaient traiter dans le Talmud, le 27 avril 2014 à 9h17 sur France Culture. Il s’agissait du « rapport : - de l’homme au temps - de l’homme à la société - de l’homme à l’étude - de l’homme à la femme, » - etc.

L’auditrice attentive ce matin-là pense naïvement qu’elle est incluse dans le rapport de « l’homme au temps », de même que dans celui de « l’homme à la société » ou encore dans celui de « l’homme à l’étude » par « le besoin de se considérer comme incluse dans ce type de déclarations, phénomène psychologique » (Khaznadar).

Et c’est quand arrive le rapport de « l’homme à la femme » qu’elle comprend qu’elle a été bernée jusque-là. Non, elle n’était finalement pas incluse, « l’homme » en question était bien pris dans son sens restrictif. Il faut qu’elle efface ce qu’elle a pris en mémoire. Quel temps perdu ! C’est ce qui s’appelle la « loi de l’effort à sens unique ». Ou « loi du temps perdu » ! ou encore « loi du gaspillage d’attention et d’information » ou encore « loi de la confusion et

210 Enquête présentée dans « Homme, hommes, homme », Intersexion Langues romanes, langues et genre,

Baider et Elmiger (éd.), Lincom Europa, p. 121-129, et reprise dans « L’homme et son genre », La Linguistique, vol.48, 2012-2

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de la désinformation » et « loi du déni » quand n’est pas prise en compte cette restriction de sens dans le discours radiophonique.

« La précision n’est rien d’autre que la fidélité au réel » nous dit Pierre Montebello dans ses commentaires de Bergson.

N’est-il pas temps que France-Culture offre une émission qui traiterait du rapport : - de la femme au temps

- de la femme à la société - de la femme à l’étude

- de la femme à l’homme, etc. ?

Mais ce ne serait certainement pas à partir du Talmud ni de la Bible, où les femmes, quand elles sont nommées, le sont toujours par rapport à un homme et ne sont jamais considérées comme des êtres à part entière, indépendamment des hommes, ainsi qu’il apparaît dans l’article de Michael D. Marlowe, revu en 2005, mais ainsi qu’il apparaît tout simplement à la lecture de la bible dont nous avons déjà cité un passage dans la « présentation de l’étude », ci- dessus.

Le problème n’est pas que le mot « homme » soit employé pour désigner l’être humain mâle, mais qu’il soit avalisé par les dictionnaires et la doxa « bien-pensante » comme ayant pour acception « l’être humain en général », acception que nous retrouvons dans « La Maison des sciences de l’homme211

» ou encore « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » d’où non seulement les femmes, mais également les citoyennes, sont implicitement exclues.

Le problème est ici clairement posé de la « linguistic vagueness » qu’a essayé de préciser Neustupnỷ dans son article « on the analysis of linguistic vagueness » en citant ses prédécesseurs :

« Black quotes Peirce’s definition of vagueness : « A proposition is vague when there are possible states of things concerning which it is intrinsically uncertain whether, had they been contemplated by the speaker, he would have regarded them as excluded or allowed by the proposition. By intrinsically uncertain we mean not uncertain in consequence of any ignorance of the interpreter, but because the speaker’s habits of language were indeterminate”.

Nous notons que Peirce utilise le pronom masculin en anaphore de « speaker ». C’est bien d’un locuteur dont il est question et non d’une locutrice. Ici la langue anglaise pourrait avantageusement utiliser le point d’altérité à l’écrit, s·he, afin que chaque sujet lecteur choisisse sa représentation. Fabienne Baider me signale que le slash est parfois utilisé de la sorte (s/he) mais le slash, comme les deux points, a des utilisations de « chemin » en informatique que nous sommes obligé·es de considérer et qui rendent inapte son utilisation en tant que graphème.

En outre, si le sens du mot « homme » lui-même pose problème en effet, c’est que non seulement il a deux acceptions différentes mais que l’une d’entre elle est mythique et statuaire sinon divinisée :

« L’Homme est l’avenir de l’Homme, le dynamisme de l’individu pensant juste. Il n’y a pas d’Homme, mais seulement des humains qui forment le projet d’être des Hommes. L’Homme est un (sic) fin, un rêve peut-être, mais ce rêve qui se croit responsable de soi, c’est déjà ce que j’appelle l’Homme. » (Vincent Citot 2006 : 72) Cette vision saturée d’idéal a pu contaminer le « générique masculin ». C’est du moins l’hypothèse que je propose pour expliquer les résultats de « l’étude de Chatard et al. (2005) », mentionnée par Brauer et Landry, qui « montre que les élèves de 13 et 14 ans ont moins de confiance pour réussir des études leur permettant d’exercer certaines professions si celles-ci sont décrites avec un générique masculin. » (2008 : 269)

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Notons qu’une université a pu changer de nom sans changer son contenu et un IUFM se transformer en ESPE alors que les appellations « Maison des sciences de l’Homme » ou « droits de l’homme » semblent inamovibles.

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Je propose en effet deux hypothèses pour expliquer ces résultats :

1- Le masculin serait assimilé à l’homme idéalisé et donc difficilement accessible pour s’identifier à lui.

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Le problème de la femme