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Contrairement à la langue anglaise qui fait dépendre la forme du possessif de l’identité sexuée du sujet possédant singulier en instance 3 (her book, her pen, his book, his pen), en français l’appartenance ne détermine pas le genre ; « son livre et sa plume » peuvent appartenir à une fille ou à un garçon. Aucun indice morphosyntaxique ne vient infirmer ou confirmer une appartenance sexuée.

L’indice morphosyntaxique d’appartenance varie en fonction de l’instance de discours sans lien avec l’identité sexuée de la personne. « Mon livre et ma plume » renvoie à la personne qui parle, que l’on désignera sous le terme d’instance 1, qu’elle soit fille ou garçon, femme ou homme aussi bien qu’intersexuée. De même que « ton livre et ta plume » renvoie à la personne à qui l’on parle, que l’on désignera sous le terme d’instance 2.

Il est cependant nécessaire de préciser ici que si la forme du vouvoiement est adoptée pour l’instance 2, le genre des noms est alors neutralisé par le déterminant votre qui est commun au

féminin et au masculin (votre livre et votre plume, alors que ton livre et ta plume). Il arrive

aussi, dans certains milieux ruraux et/ou régionaux, que l’on s’adresse à l’instance 2 avec la forme de l’instance 3364

, comme par une difficulté de choisir entre le tutoiement et le vouvoiement, révélant une mise à distance à laquelle le vouvoiement s’impose en réponse. L’instance 3 désigne en effet le sujet tiers, commun aux instances 1 et 2, celle à qui réfèrent « son » et « sa », déterminants qui, comme tous les déterminants singuliers qui ne renvoient pas à une appartenance collective, prennent la marque du genre en fonction du déterminé, c’est-à-dire en fonction du terme désigné qui a toujours en français un genre lexical, réduit aux seuls féminin et masculin.

Le non-animé en français se partage en effet entre féminin et masculin et l’indice de genre (qui, en latin, était essentiellement donné par la terminaison du mot, lui-même se déclinant selon sa fonction dans la phrase) est porté par l’article singulier (un, une, la, le), l’adjectif démonstratif singulier (ce, cette), et l’adjectif possessif singulier (ma, sa, ta, mon, son, ton) désignés les uns et les autres sous le générique de « déterminant ».

Un exemple dans notre corpus illustre précisément la confusion volontairement introduite entre le genre grammatical français arbitraire et le sexe d’une personne. C’est une publicité parue dans le métro toulousain pour une émission de radio : « le 7/9 de radio Mouv ». Elle utilise la mise en page d’un dictionnaire pour transformer le genre d’un mot en son opposé avec le semblant d’autorité que confère sur la langue ce type d’ouvrage. Le nom, composé de deux chiffres, 7/9, est forcément masculin puisque les chiffres sont masculins. Son déterminant est donc masculin. Mais l’on pourrait raisonner inversement et dire

que puisque le déterminant est masculin c’est que le mot est masculin. Nous sommes ici dans l’arbitraire du genre.

La mise en page de la publicité est visuellement calquée sur une entrée de dictionnaire avec :

- les crochets qui entourent la phonétique,

- l’abréviation pour la nature du mot et son genre, - la flèche qui précède l’indication d’apparition du mot,

364 Celle qui se retrouve dans « sa majesté » ou encore dans le parler « bébé », dit hypocoristique comme le

rappelle F. Baider, « elle a fait son rot, ma chérie ? »,

CORPUS IMAGE 2 : CONFUSION

SEXE/GENRE

CORPUS IMAGE 3 : ZOOM CONFUSION

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- et les définitions elles-mêmes numérotées comme celles d’un dictionnaire qui donnent les différentes acceptions d’un mot.

Nous devons noter cependant une différence notoire avec l’entrée d’un mot dans un dictionnaire et c’est la présence du déterminant.

- En effet les entrées du dictionnaire d’usage se font par les unités en langue, jamais en discours et c’est en quoi il a les moyens d’atteindre à une certaine objectivité. Nous verrons qu’il n’utilise pas ces moyens car il s’est imposé l’idéologie du masculin monothéiste qui donne à la forme masculine la potentialité hégémonique de représentation et de désignation de l’espèce humaine. Ainsi pour deux unités linguistiques dont l’unique différence réside dans le trait de sexe, il n’existe qu’une entrée et celle-ci correspond à l’ordre orthographique du mot dont le trait de sexe est masculin. Nous verrons que les définitions sont également entachées d’un subjectivisme redondant puisque là aussi le masculin est non seulement présenté comme la référence mais aussi comme valeur positive s’opposant au féminin.

Dans la publicité qui nous occupe, cette mise en page, telle une mise en scène, sert un détournement du genre grammatical. Le déterminant qui est intégré à l’entrée du mot est amalgamé à lui dans les crochets qui marquent la phonétique comme si il n’avait aucune autonomie lexicale. Et l’annexion lexicale se double d’une annexion grammaticale avec l’abréviation f. à côté de l’abréviation n. pour nom puisque le nom masculin est désigné comme un nom féminin. De n.m. qu’il aurait été dans un dictionnaire de langue, il devient n.f. sur l’affiche.

L’annexion lexicale suivie de l’annexion grammaticale se poursuit avec une annexion sémantique dans la définition qui évoque une « Matinale radiophonique de genre féminin, incisif et décontracté ». Ainsi, le genre grammatical féminin a totalement disparu puisqu’il est devenu « incisif et décontracté ». Le mot « genre » a donc rejoint la sémantique d’un éventuel synonyme que serait « style ». Et le lien est fait avec la notion d’appartenance qui préside à la féminisation ou la masculinisation des déterminants possessifs tiers dans la langue anglaise. L’étude d’impact à laquelle j’aurais souhaité me livrer ici n’aurait pas porté sur l’écoute de l’émission mais sur la réception d’un tel affichage et la connaissance des sujets récepteurs de la catégorie « genre grammatical » en français. Deux questions auraient pu être posées. La première aurait porté sur une reconnaissance d’erreur. La deuxième sur l’identification de l’erreur. Ce sont des études de réception qui pourraient faire l’objet d’un travail à venir. Ce peut être également un support pour un cours sur le genre, à quelque niveau que ce soit, dans les classes de français, langue première comme langue seconde.

L’on pourrait croire à une entreprise de déstabilisation du genre grammatical qui signifierait une entreprise de déstabilisation de la langue française dont la particularité par rapport à l’anglaise (et à d’autres, mais c’est l’anglaise qui a conquis la reconnaissance internationale) est justement de conserver l’arbitraire des genres féminin et masculin comme base syntaxique. Sur cette affiche pourtant le déterminant est bien entier dans sa forme masculine et visuellement séparé par une espace365 du terme qu’il détermine.

Parler d’espace renvoie à la typographie, donc à l’écriture, donc au visuel, ou au tactile. Nous n’oublions pas le braille en effet et les unités distinctives qui forment sa structure à savoir le point, l’espace et le trait.

Cependant l’oralité joue un rôle dans la neutralisation366

, y compris visuelle, des marques du

genre du déterminant.

365 Notre logiciel de traitement de texte manque de cohérence : Dans la fenêtre des statistiques, le mot « espace »

est masculinisé « caractères (espaces non compris) » est-il écrit comme s’il ne s’agissait pas de l’espace typographique qui justement est un mot féminin. L’on pourrait donc penser qu’il a intégré la disparition du féminin pour « espace ». Or, le logiciel orthographique qui lui est associé ne souligne pas l’article féminin devant

espace. On peut en déduire que espace au féminin est intégré dans les données lexicales. La cohérence

orthographique commande donc l’écriture dans la fenêtre des statistiques : « caractères (espaces non comprises) »

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GENRE ET NEUTRALISATION DE MARQUE