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GENRE ET NEUTRALISATION DE MARQUE B.

Quand le mot déterminé commence par une voyelle phonique367 les déterminants la, ma, sa,

ta, le et ce se transforment. La et le perdent leur voyelle qui se trouve remplacée par une

apostrophe à l’écrit parce que le a du déterminant s’élimine dans la prononciation comme le e devant une autre voyelle prononcée. C’est le cas de l’ongle, l’ombre, l’âme, l’herbe, l’heure,

l’hiver, l’été, l’automne, etc. dont l’article défini devra permuter avec l’article indéfini un et une pour faire connaître le genre.

Ombre, âme, herbe et heure sont des mots dont le genre lexical féminin n’apparaîtra que par l’accord de l’adjectif, de l’article indéfini ou du participe éventuel qui les détermine en actualisation discursive. De même que ongle, hiver, été et automne ne seront reconnus

masculins que par la marque de genre de l’article indéfini, de l’adjectif ou du participe

éventuel qui les détermine.

Quant à ma, sa et ta qui se transforment en mon, son, ton (mon ombre, son âme, ton herbe), il ne s’agit pas d’une neutralisation puisque la forme employée existe déjà pour le masculin, celle que l’on retrouve dans son hiver comme dans ton printemps ; il s’agit d’un masculin phonique qui ne change pas le genre lexical toujours féminin des mots âme, ombre, herbe. Le déterminant masculin ce se transforme également devant une voyelle phonique à l’initiale du mot déterminé en prenant la forme orale du féminin sans en avoir l’écriture entière « cet

arbre, cet automne, cet hiver, cet été ». Ce féminin phonique empêche le hiatus de deux

voyelles successives.

D’une manière générale la langue française n’aime guère les successions de voyelles prononcées. Contrairement à la langue anglaise qui émet souvent deux sons quand une seule voyelle est écrite (bike [baik], rate [reit]) la langue française n’émet plus souvent qu’un son pour un groupement de voyelles (eau [o], roue [ru], taon [tã]).

Nous n’avons évoqué ici que des noms qui n’avaient pas le trait de l’humain mais d’autres commencent par une voyelle et peuvent désigner des individus des deux sexes. Nous nous intéresserons à quelques-uns parmi eux, à savoir : homme, individu et auteur.

1. Homme

Nous avons déjà traité du problème de l’homme d’un point de vue sémantique, cet « objet insaisissable », nous l’abordons ici du point de vue morphologique de genre.

Quand nous lisons le titre « Déclaration des droits de l’homme » et que nous ne connaissons pas le genre du mot homme, nous pouvons penser qu’il est aussi bien féminin que masculin. L’article ne signale pas le genre puisqu’il est neutralisé par l’apostrophe. Nous pouvons penser que nous sommes face à un genre commun, (tels les adjectifs jaune, rouge ou

perspicace) qui se déterminera ensuite en fonction du sexe concerné, devenant une homme

pour désigner la femelle humaine et un homme pour désigner le mâle humain, c’est du moins ce que nous pouvons supposer si nous ne connaissons pas la langue mais seulement son fonctionnement virtuel. Cependant l’existence du nom « personne » qui ne connaît que l’article féminin et qui renvoie aux individus des deux sexes, qui est donc du genre épicène,

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La neutralisation est un terme de phonologie qui permet d’écrire un signe commun pour plusieurs réalisations phoniques différentes qui n’ont pas d’incidence sur le sens. Elle est notée par une capitale. Par exemple si le mot

laid en français est prononcé [le] ou [lε], et que, pour une recherche d’efficacité, cette distinction de

prononciation n’est pas opérationnelle, elle sera neutralisée par la notation [E], de même que la réalisation o ouvert, o fermé sera neutralisée par la notation [O]. En d’autres termes, c’est l’élimination d’une différence non pertinente du point de vue signifiant au profit d’un nouveau signe commun.

367 C’est-à-dire une voyelle qui se lie à la consonne précédente malgré la consonne muette h pourtant spécialisée

dans le rôle de séparation syllabique (comparer un heaume et un homme : dans le premier cas la nasale reste dans la première syllabe, un, dans le deuxième cas la nasale est portée par la deuxième syllabe [nᴐ])

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nous permet de considérer que le mot homme, de la même façon, pourrait ne connaître que l’article masculin et désigner les individus des deux sexes, être donc de genre épicène.

Nous faisons ici la distinction entre genre commun et genre épicène comme Nicolas Beauzée nous intime à la faire et que nous reconnaissons être d’une utilité incontestable dans l’analyse de la langue française et de notre corpus.

Quand nous lisons ensuite « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » nous changeons de perspective car « citoyen » est bien masculin. Nous en avons le signalement par l’article du - qui est une contraction de de + le, que la référence au féminin de la nous permet de reconnaître : « citoyen » n’est donc pas du genre commun. Il n’est pas non plus du genre

épicène (c’est-à-dire qui désigne les deux sexes sous une même forme, féminine ou masculine) puisqu’il existe le féminin « citoyenne ». Nous pouvons en conclure que l’homme

dans ce titre est bien l’homme masculin. Pour que homme désigne les femelles aussi bien que les mâles humains, il eût fallu écrire : « Déclaration des droits de l’homme, citoyen et

citoyenne » ou citoyenne et citoyen, ou citoyen·e, ou citoyen·ne. La graphie « citoyène » pour

désigner les deux sexes à l’instar de la proposition canadienne « professionnèles »368 pour désigner les professionnels et professionnelles me semble quelque peu aventureuse dans la mesure où nombre de gens ne maîtrisent pas la graphie traditionnelle et risquent par conséquent de ne pas lire le nouveau sens.

En revanche, quand nous lisons « Déclaration des droits de la personne humaine », nous savons qu’il est question des deux sexes car le mot personne, au féminin, désigne aussi bien les hommes que les femmes. L’adjectif « humaine » et l’article « la » qui l’accompagnent sont une garantie en quelque sorte du féminin car l’effacement de l’article devant personne transforme le genre en même temps que le sens.

« Personne, substantif, est toujours féminin ; mais personne, pronom, est toujours masculin. »369 (1856 : 223)

Personne, en tant que pronom, est masculin en effet et, épicène ici aussi, il indique l’absence

d’hommes comme de femmes.

2. Brouillages sémantiques

Le terme « homme » a été identifié dans ma recherche comme le noyau où convergent et d’où émanent les brouillages sémantiques.

En effet, il n’est pas en langue dans un rapport binaire avec femme alors qu’il peut l’être en discours. Il a également une fréquence d’emploi beaucoup plus élevée et principalement à l’écrit. Et rien ne précise jamais dans son contexte scriptural s’il est employé dans le sens spécifique de mâle ou dans le sens générique d’être humain. Or, peu de scientifiques et encore moins de journalistes ne semblent en avoir conscience. Connaissances et informations souffrent en conséquence d’un brouillage originel quand il s’agit d’êtres humains.

Dans les dictionnaires, son acception « être humain » apparaît en premier mais dans une existence le terme désigne d’abord l’humain mâle. Le décodage de l’oral préexiste en effet à celui de l’écrit et le terme « homme » est souvent employé par les mères pour désigner les fils et le mari à la fois, ou les fils seulement, de même que le terme « femme » peut être employé par les pères pour désigner les filles et l’épouse à la fois.

C’est pour avoir assisté à une telle énonciation : une mère interpelant ses trois jeunes fils (de 5 à 10 ans) sous la forme « vous descendez, les hommes ? » que j’ai voulu étudier la perception du mot et son interprétation en langue selon les âges et les sexes. C’était en 2001 et le résumé de l’étude a paru dans l’Imaginaire linguistique (2002 : 79-82). J’avais élargi l’objet aux autres termes qui désignent la différenciation sexuelle selon les normes objectives définies par Anne-Marie Houdebine (1998 : 39).

368 Voir http://www.fpcsn.qc.ca/; CSN « site internet de la Fédération des professionnèles » 369

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L’échantillon de sujets informateurs étant très réduit (55 jeunes adolescent·es et 10 adultes), le résultat de l’enquête ne pouvait pas servir de mesure représentative. Cependant les réponses des filles et des garçons étaient nettement différenciées, en particulier pour donner le premier sens à « homme ». Les garçons pensaient majoritairement d’abord « être humain ». Les filles le pensaient majoritairement en second. Enfin, une réponse d’adulte qui se différenciait de toutes les autres a déterminé chez moi une nouvelle façon d’appréhender le masculin dans la langue. En effet, un interviewé m’a affirmé que « homme » n’avait jamais inclus le sens de « femme ». Autrement dit, quand il lisait ou entendait parler de la déclaration universelle des

droits de l’homme, il entendait la déclaration universelle des droits du mâle.

Et je fus bien forcée de reconnaître qu’il était parfaitement légitimé dans cette interprétation puisque lui-même se reconnaissait comme « homme » et non comme « femme ». Pourquoi une femme se reconnaîtrait-elle comme « homme » ? Il fallait en effet à la fois être une femme et avoir une culture livresque et religieuse pour intégrer facilement le sens être humain sous le terme homme. De ce jour je regardai la forme masculine différemment.

Car, si la remise en question du sens devait se faire pour « homme », elle devait se faire aussi pour tous les termes masculins qui désignent l’humain.

C’est précisément à partir de là qu’en tant que responsable éditoriale j’eus à cœur de signifier explicitement, dans mes écrits informatifs, la forme féminine aussi bien que masculine des référents humains auxquels je m’adressais ou desquels je discourais. C’était un principe déontologique que je devais m’imposer si je voulais prétendre à une quelconque rigueur informative.

Mais, en tant que lectrice et auditrice, mon décodage devint aussi plus rigoureux et j’abandonnais peu à peu les auteurs ou les émissions radiophoniques d’informations qui me laissaient trop souvent sur ma faim de sens. De même que mes propres écrits doivent être revus à présent pour respecter la nouvelle écriture que je m’impose et dont l’effet est perceptible non seulement du côté de la réception mais aussi et surtout dans sa dimension heuristique émettrice.

Car s’occuper du genre au point de vue lexical entraîne de repenser l’accord grammatical pour chercher l’accord commun et sa possible écriture qui intègre la marque féminine au même titre que la masculine. Et s’occuper de l’accord commun oblige à un retour sur expérience qui fait prendre conscience de la réalité humaine à laquelle nous souhaitons alors faire référence.

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Genre et points de vue