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MAIS TOUT PROBLEME A UNE SOLUTION…

Constitution d’un corpus A.

6. MAIS TOUT PROBLEME A UNE SOLUTION…

Après avoir observé que cette masculinisation était aussi un problème épistémologique parce qu’elle révèle le monopole d’un point de vue masculin sur la connaissance qui considère le genre humain féminin comme une extension du genre humain masculin, il apparaît comme une évidence à présent que c’est en laissant parler l’égalité dans la langue française, dont le féminin oral est la référence pour l’écriture, que la rédaction égalitaire doit être pensée.

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Ici le soulignement en vert de mon logiciel qui propose un masculin est encore un symptôme de la non prise compte des hiérarchies syntaxiques dans la langue française.

282 Commission générale de terminologie et de néologie, Rapport sur la féminisation des noms de métier,

fonction, grade ou titre, octobre 1998, p. 46, note 68

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Les termes ne sont pas neutres car chargés de connotation, c’est pourquoi au terme d’androcentrisme auquel l’étymologie grecque confère une respectabilité scientifique, j’utiliserai le terme de nombrilisme qui renvoie plus simplement à une corporalité infantile plus proche de ce que me semble être cette affirmation capricieuse de revendication autoritaire. En fait, l’androcentrisme est une pratique féminine et le nombrilisme une pratique masculine pour qualifier le même type d’usage linguistique.

Ainsi ma formulation de 2002 (p.82) selon laquelle « la féminisation des noms de métier (était) dorénavant chose établie » ne renvoie qu’à la reconnaissance officielle du féminin professionnel. J’avais en exemple à l’esprit un numéro du bulletin officiel (B.O.)284

qui recommandait à l’Education nationale, à laquelle j’appartenais aussi, l’écriture du féminin

rectrice, pour désigner la personne qui est à la tête d’un rectorat, le masculin étant recteur.

Entre temps, la rédaction mensuelle du périodique que j’ai déjà évoqué m’a permis d’évoluer dans ma pratique de la langue pour répondre à une rigueur informationnelle qui me semblait inconditionnellement relever de la déontologie journalistique.

C’est pourquoi j’ai été amenée à proposer cette « actualisation de l’accord en français » lors du XXXIe colloque de la Société Internationale de Linguistique Fonctionnelle, où je suggérai de considérer deux pôles: « celui des noms dont le genre est arbitraire » et « celui des noms

dont le genre est motivé par le sexe » (2008 : 414). A la suite de cette intervention285, il m’a

été conseillé par une professeur d’IUFM qui souhaitait introduire cette perspective dans la formation des maîtres de proposer mon point de vue à l’Inspection générale de l’Education nationale. Ce que j’ai fait sans jamais recevoir de réponse à ma demande de rendez-vous. Il m’a également été confirmé par une linguiste roumaine que le neutre dans les langues où il existe ne correspond pas à l’humain. Elle pensait, j’imagine, à ce que Véronique Perry nomme « le tiers ». Et enfin, c’est là que Colette Feuillard m’a demandé l’article où elle souhaitait que j’insiste sur ce point de vue informationnel pour la revue La Linguistique.

Une première rédaction en a été refusée parce que jugée « trop anecdotique » par le comité de rédaction de la revue. Elle était intitulée Féminin, masculin, impersonnel, indéfini.

Dans la mesure où cette version avait été lue devant un public non initié lors d’un débat hebdomadaire dans une association qui a la double casquette de « Maison de chômeur·euses » et de « Centre social » en milieu urbain et que la personne qui avait souhaité me faire

284 Extraits de : Impact de la féminisation de la langue française au Premier Forum Mondial à Québec

« M. Lionel Jospin, Premier ministre en son temps a souhaité que la féminisation des appellations professionnelles soit entrée dans les us et coutumes et a demandé aux administrations, par sa circulaire du 6 mars 1998, « de recourir aux appellations féminines pour les noms de métier, de fonction, de grade ou de titre pour les termes dont le féminin est par ailleurs d’usage courant (par exemple, la secrétaire générale, la directrice, la conseillère) ». Il a également demandé à la commission générale de terminologie de faire le point sur l’état de la question et à l’Institut national de la langue française (INaLF) d’établir un guide pour les usagers contenant des recommandations sur les formes féminines les mieux adaptées aux usages.

Le Bulletin Officiel de l’Education Nationale N°10, du 9 mars 2000, est consacré aux appellations professionnelles, plus particulièrement à la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres. Le texte est adressé à tous les directeurs et directrices de services et d’administrations du ministère de l’Education nationale, de la recherche et de la technologie. Le ministre de l’époque, Monsieur Allègre, rappelle que la suppression de toute discrimination entre les sexes constitue un principe général du droit, et que l’un des moyens de parvenir à la réalisation concrète de cet objectif consiste à féminiser les appellations professionnelles. »

« Quelques dates à retenir: 11 mars 1986 : Circulaire du Premier ministre relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre ; 6 mars 1998 : Circulaire du Premier ministre relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre ; Octobre 1998 : Rapport de la commission générale de terminologie et de néologie sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre; 2ème trimestre 1999 : Guide d'aide à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre de l'institut national de la langue française, préfacé par Lionel JOSPIN ; 6 mars 2000 : Note du ministère de l'éducation nationale relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre (B.O.E.N. du 9 mars 2000) »

285

« Proposition d’actualisation de l’accord en français » dans La Diversité linguistique, Alexandre Veiga et Maria Isabel González Rey (Eds), Axac, Lugo, 2008.

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intervenir a beaucoup regretté que cet article ne soit pas publié dans l’état parce qu’il avait eu un succès, notamment auprès des jeunes hommes du quartier, qu’aucun débat qu’elle avait initié jusque-là n’avait eu, j’ai décidé de le publier en l’aménageant en fonction des réactions de l’auditoire qui ont été intégrées à cette version internautique286

sur mon blog sous le titre « Génie bafoué de la langue française »287.

Une nouvelle version a donc été rédigée pour La linguistique. Pour être sûre de respecter l’esprit scientifique de la revue, j’ai utilisé comme base de ma démonstration l’article qu’André Martinet, créateur de la revue, avait publié sur le sujet, celui-ci étant intitulé Genre

et sexe (1999 :5-9). J’ai intitulé le mien Sexe et genre en français288 en reprenant précisément

les exemples qu’André Martinet avait utilisés 11 ans plus tôt289 .

C’est la considération du « savoir situé » qui a motivé à la fois le renversement des termes du titre et la précision « en français ». En effet, comme écrit dans l’introduction de l’article, « le point de vue de l’être humain qui est naturellement homme ou femme (exceptionnellement androgyne) détermine sa réflexion (dans tous les sens du terme) sur l’objet. » (2010 : 113) Nos conclusions s’en sont trouvées opposées.

J’ai pourtant appliqué la rigueur martinétienne de l’analyse dans le cadre fixé par lui mais j’étais libérée de la subjectivité masculine et des œillères qu’elle s’est forgées en contraignant l’usage de la langue selon son unique perspective.

Je cite ici le dernier article où j’étudie l’article d’André Martinet :

« André Martinet avait commencé à s’intéresser au sujet à la fin de sa vie. C’est l’année- même de sa disparition qu’il avait préparé l’article intitulé Genre et sexe où, à partir d’un article de journal, il comptabilise l’emploi informatif du genre. Cependant, dans la comparaison qu’il fait, au préalable, entre la langue française et la langue anglaise, il dit, à propos de celle-ci, qu’elle « a su se débarrasser des genres ».290

Nul doute que s’il avait eu l’occasion de prolonger son travail, il serait revenu sur cet implicite à la fois subjectif, pour ce qui est du jugement porté sur la langue, et quelque peu caricatural, pour ce qui est de la notion de « genre ». En fait, dans le développement qui suit, nous verrons que le jugement négatif est porté uniquement sur le genre grammatical dans sa manifestation orthographique. Voici les deux extraits qui attestent de ce jugement :

« (…) l’arsenal formel qu’entraîne le genre masculin est superfétatoire. »291 « L’arsenal des accords est donc inutile dans le cas des féminins.»292

Cependant, notre auteur et maître reconnaît la « valeur distinctive » du genre « dans le cas de l’homonymie orale, le père, la paire », « comme dans le voile, la voile ».

Et son objectif était plutôt de questionner la valeur distinctive de l’accord des participes passés et leur respect dans l’usage oral en rapport avec les « prescriptions orthographiques ».

286 j’utilise l’adjectif internautique sur le modèle de l’adjectif « nautique » en français qui fait référence à la

navigation maritime, pour réserver « internaute » à la désignation épicène de l’humain qui fait également référence à la navigation maritime mais dans son caractère de sujet acteur : la navigatrice ou le navigateur.

287 http://contre-la-precarite-et-le-sexisme.blogspot.com 288 In La linguistique, PUF, vol 46, 2010-1, Paris, p.113-120 289

Dans la note 1 de mon article Sexe et genre en français, p.113, j’ai malencontreusement daté de 1985 l’article de Martinet auquel je renvoie et dont il faut corriger la date qui est 1999, l’année-même de sa mort.

290 A. Martinet, Genre et sexe, p.6

291 L’article ayant été publié après la mort d’André Martinet, je n’ai pas eu l’occasion de lui demander quel est

« cet arsenal formel » auquel il fait allusion. Il est possible que ce soit toutes les lettres muettes qui terminent les mots masculins, le s de soumis le t de dit et de président, qu’il faudrait alors écrire présidan, mais le masculin vu et entendu risque alors de créer une présidane. Il est plus probable cependant qu’il ait pensé alors à tous les accords irréguliers du masculin pluriel, en particulier tous ceux qui se présentent en aux plutôt qu’en als face au

ales du féminin pluriel (« infernal·e, infernales, infernaux ; médical·e, médicales, médicaux »).

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Notre point de vue ne pouvait que différer de celui du maître puisque nous appartenons au sexe qui est effacé dans la désignation du pluriel (y compris adjectival ou participial) quand il est en présence de l’autre sexe. Et nous avons bien conscience que l’information sur le sexe donnée par l’accord est perdue dans bien des cas. C’est précisément la base de notre réflexion débouchant sur la mise en acte d’une expression sinon égalitaire, du moins paritaire, qui nous a finalement conduite à découvrir la richesse non exploitée de la langue française dans sa dimension grammaticale.

Ainsi, nous dirions plutôt de notre côté : « La langue française a la chance d’avoir conservé les genres ».

En effet, André Martinet a fait l’étude sur 261 substantifs qui apparaissaient dans « un article paru dans le supplément Télévision du Monde du lundi 12 avril, p. 4 et 5, intitulé « Laure Adler impose son style » et consacré à sa désignation à la direction de France-Culture par Jean-Marie Cavada, président de Radio-France. »293 Sur ces 261 substantifs, 129 sont masculins et 132 féminins. Parmi ceux-là, écrit-il,

« on en compte 5 qui désignent un homme ou un mâle et 7 qui désignent une femme, dont 3 fois directrice en référence à Laure Adler, donc au total 12. »

Il continue ainsi :

« Les masculins sont président, homme, adjoint, singe et père. Parmi eux, homme,

adjoint et singe désignent nécessairement des mâles »294.

Pour ma part, je n’aurais pas été aussi catégorique dans l’assertion, sachant que le mot singe est un générique employé pour désigner indifféremment une femelle ou un mâle. En revanche, j’aurais classé père dans la liste de ceux qui « désignent nécessairement des mâles ». L’article ayant été écrit en 1999, la notion de père féminin (renvoyant au statut de géniteur tenu par une femme, ou l’inverse) ou de mère masculine (renvoyant au statut de génitrice tenu par un homme, ou l’inverse) qui pourrait s’immiscer dans l’actualité médiatique d’aujourd’hui n’avait pas encore cours. A moins que « père » ait eu, dans le texte, une dimension métaphorique, comme me le suggère F. Baider.

Or c’est la référence à l’oral qui est ici convoquée par André Martinet. Père se disant comme

paire, c’est le genre qui fait la différence. Mais c’est au singulier seulement. Et, comme il le

dit lui-même, « les contextes pourraient, sans doute, suffire à maintenir la distinction. » Par ailleurs père et pair sont tous deux masculins et ici c’est l’écriture qui fait la distinction, de même qu’entre la maire et la mère.

Quoi qu’il en soit, ce conditionnel ou irréel du présent, « pourraient suffire », renvoie à une virtualité du français où n’existeraient plus les genres. Or, ce ne serait plus du français. Le masculin et le féminin sont consubstantiels à la langue française en tant que langue romane, la répartition quasi égalitaire des féminins et masculins relevés dans l’article en question en est une illustration.

Quant à président qui est aussi enlevé de la liste, c’est parce que certain·es « emploient le

président en référence à une dame », selon le même auteur, ce que l’on ne conteste pas en

effet, mais alors, l’on peut enlever aussi adjoint qui peut renvoyer d’autant plus facilement « à une dame » que l’article déterminé s’élide devant ce mot, et nous pouvons attester de cette pratique dans certaine(s) commune(s). Nous sommes là, en effet, dans le cadre des fonctions officielles pour lesquelles les hommes se sont longtemps réservé le monopole et auxquelles certaines femmes accèdent tout en craignant d’y imposer leur sexe avec la même légitimité que les hommes y ont imposé le leur295. Nous renvoyons à l’actualité traitée ici-même à propos de la joute Mazetier-Aubert à l’Assemblée nationale.

293 Ibid, p.7 294

Ibid, p.8

295 Selon Cerquiligni, les féminins attestés depuis le Moyen âge dans la langue française ont été relégués à

l’inexistence suite à l’éviction par le pouvoir politique des femmes dans la vie publique. Ayant été assignées à un statut marital, les femmes se sont retrouvées nommées sous le titre féminisé du mari, ce que Cerquiligni appelle le « féminin conjugal ». Il explique de la sorte le comportement de celles qui, au xxème siècle, ont tenu à

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« Mais, encore une fois, c’était un début de réflexion de la part d’André Martinet et nous nous devions de la poursuivre en reconsidérant d’une part la distinction écrit/oral ou graphie/phonie, ce qui nous a conduite à la distinction genre apparent/genre non apparent, d’autre part la distinction pôle arbitraire/pôle motivé et enfin celle des points de vue qui peut transformer du tout au tout la lecture du monde.

Et c’est par cette mise en avant du point de vue que nous avons commencé en inversant les termes du titre dans l’article demandé. Sexe et genre en français place en effet le sexe296 avant le genre. La précision en français est également indispensable dans la mesure où elle donne à genre la dénotation grammaticale qui est alors la sienne en tant que contrainte morphosyntaxique. »297

A partir de là, utilisant mon privilège intellectuel d’être femme, privilège298

parce que permettant un regard critique sur la langue de l’autre, j’ai pu faire intervenir ma vigilance sur ma propre langue. Et j’ai donné régulièrement le bilan de l’avancée de ma réflexion et de ma pratique à la Société Internationale de Linguistique Fonctionnelle dont deux membres ont été mes premières maîtres en Sciences du langage.

C’est pourquoi au colloque de Minsk, Biélorussie, en 2009, j’ai présenté ma réflexion sous le titre Sexe et genre d’où j’extrais un passage commun aux deux articles, les seuls éléments qui changent sont les connecteurs logiques : « Or » dans l’article de La linguistique, « En effet » dans la communication des Actes, ce sont les éléments qui correspondent aux trois points à l’intérieur des parenthèses :

« (…) autant le genre déterminé par le nom s’inscrit dans une diachronie évolutive plus ou moins stable, autant le genre déterminé par le sexe véhicule une information qui renvoie à un élément de l’expérience humaine dont la langue est le vecteur communicatif. » (2010 : 115 et 2010 : 282)299

La figure qui paraît dans l’article « L’homme et son genre » (2012) est une schématisation de l’idée présentée dans cette phrase.

conserver le masculin d’un titre, pour ne pas être confondues avec des épouses. L’émergence de l’identité pourrait être ici convoquée pour élargir la réflexion.

296 Le sexe en question n’est pas celui de l’objet énoncé mais du sujet énonciateur. 297 Pradalier N Du rébus au point d’altérité, publication en cours

298

Voir Donna Haraway : « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle », et Marlène Coulomb-Gully « Inoculer le Genre » 2014

299 Ibid et Sexe et genre dans Prosodie, traduction, fonctions, Liliya Morozova et Erich Weider éds, E.M.E

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Un premier schéma, que je donne ci-dessous, a été simplifié suite à l’explication qui m’a été demandée de « submorphémique ». En effet, je venais de découvrir moi-même le terme à l’occasion d’un colloque à la Maison de la Recherche de Toulouse Mirail et je me jugeais peu qualifiée pour en expliquer la teneur à des linguistes qui m’avaient largement précédée dans la connaissance. J’ai préféré enlever tout simplement l’indication qui, somme toute, n’était pas indispensable et faisait simplement le lien entre ce qui m’avait apparu être le domaine de recherche d’une protolangue (ou prélangue ?) et la dynamique synchronique à l’œuvre en ce XXIème siècle. axe diachronique Domaine de la submorphémique Pôle Arbitraire : un membre un pion

+

sème « humain »

+ sème « mâle »

Axe synchronique

FIGURE 2 : DYNAMISME DU GENRE

Une sage-femme Pôle motivé : = un ou une membre, un pion, une pionne. = une ou un sage- femme

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