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Constitution d’un corpus A.

7. Pratiques d’écriture

Suite à mon intervention de 2007, j’ai demandé un entretien à l’inspecteur Général qui m’avait octroyé le CAPES, mais je n’ai pas eu de suite à mon courrier. Ainsi, puisque l’Institution faisait la sourde oreille à mes propositions, j’ai poursuivi mes recherches dans le domaine de l’unique expression écrite, dans la mesure où celle-ci m’était nécessaire pour ma pratique communicationnelle.

Les signes graphiques permettant de manifester la présence des deux sexes (ou plus) qui composent le genre humain ont donc été mes objets de recherche durant les années qui ont suivi ma contribution au colloque de Lugo.

Pour situer le début de ma réflexion je me permets de citer deux passages de l’article publié dans les Actes La diversité linguistique :

« Dans une communication immédiate devenue planétaire et accessible à tous publics sans formation préalable, contrairement aux lettré(e)s des siècles passés, il est d’autant plus important de soigner le sens directement transmissible. » (2008 : 414)

Ici, la parenthèse qui entoure la « voyelle grammaticale » pourrait se justifier si l’on pense en effet que la référence académique renvoyait aux lettrés bien plus qu’aux lettrées puisque celles-ci ont été consciemment et volontairement éliminées des références depuis la création de l’Académie française.

Mais le passage qui suit montrera précisément le début d’une réflexion, celle qui est entre parenthèses, sur la pratique de la diversité sexuée, pour reprendre les termes du titre du poster présenté à Corfou deux ans plus tard :

« Si je suis particulièrement sensible à cet aspect de la réalité, c’est que je rédige moi- même un périodique d’actualités locales et que je me retrouve, par là-même, dans la position de celle qui rend compte par écrit d’une information publique. J’ai donc adopté pour ce faire, à l’exemple d’un journal que j’avais eu l’occasion de feuilleter, une règle d’accord distincte en genre quand il s’agit d’êtres humains, avec la marque du féminin entre parenthèses au pluriel comme au singulier (d’autres l’écrivent entre tirets, ou entre barres obliques, ce qui peut paraître moins hiérarchisant) quand il y a présence attestée ou éventuelle d’individus féminins. Car, encore une fois, c’est de la fonction informative du langage dont il est question. Pour obéir en effet à la loi du moindre effort300, l’apparente économie que représente l’uniformisation de la forme masculine fait perdre à la langue sa fonction informative puisqu’elle empêche de faire la distinction entre un groupe exclusivement composé d’hommes et un groupe mixte. Cette fonction n’est conservée que dans le cas où un groupe est formé exclusivement d’individus féminins puisque, dans ce cas, la marque du féminin coexiste avec celle du pluriel. » (2008 : 414-415)301

Le bilan de ma réflexion sur les signes graphiques intitulé « Expression de la diversité

sexué » a été présenté à Corfou en 2010 et c’est à cette occasion que m’a été signalé, comme

je l’ai déjà dit, un signe que je ne connaissais pas encore, le point au milieu de la ligne, « point médian » : [·] et qui paraissait dans la thèse que Daniel Elmiger venait de présenter où il faisait un inventaire des signes qui servent à l’expression du genre commun, qu’il n’appelle pas ainsi puisqu’il parle de « féminisation ».

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Notons que la « loi du moindre effort » s’exerce aussi bien dans la réception que dans l’émission, ce qui la rend inepte à expliquer une quelconque règle linguistique, à moins qu’elle explique l’incommunicabilité et la violence des rapports entre êtres humains.

301 J’ai corrigé une coquille du texte publié où « où » était écrit sans accent. Et je pourrais également corriger le

contenu du propos qui est une vision idéalisée du respect des règles grammaticales dans le discours. De plus en plus, à ce qu’ont noté plusieurs de mes informatrices qui y sont sensibles, la généralisation du pronom masculin est appliqué aussi à un groupe féminin. J’ai noté, de mon côté, que dans tous les discours où j’ai entendu le mot « personnes » employé, il est repris systématiquement par le pronom masculin pluriel « ils » alors que le respect de la grammaire demande un pronom féminin pluriel !

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C’est celui-là que j’ai désormais adopté dans mon écriture et que je nomme « point d’altérité » car sa discrétion, son originalité et sa fonctionnalité le rendent à présent indispensable. Il va de soi qu’il est essentiellement utilisé dans l’accord grammatical, singulier ou pluriel et à toutes les personnes, y compris à l’indéfini « on ».

Il restait ensuite à m’intéresser au lexique lui-même et aux connotations négatives, infériorisantes et méprisantes dont sont affublés les termes désignant l’humain féminin, en me proposant de « débusquer les habitudes sexistes qui conditionnent l’usage de la langue »302. C’est précisément l’objet de l’ouvrage303

de Fabienne H. Baider publié en 2004.

La fabrication des dictionnaires, dans l’ordre et l’importance qu’elle accorde aux deux sexes, est à revoir dans un principe d’égalité avec la permutation comme outil de vérification et la symétrie comme proposition de correction. Une comparaison entre plusieurs dictionnaires a montré également qu’aucun exemple littéraire utilisé pour illustrer une soi-disant vision négative des femmes n’était probant. Autrement dit, nous prouvons que les grands auteurs n’ont pas la misogynie que leur prêtent les fabriquant·es de dictionnaires, dit·es lexicographes.

L’étude porte sur la comparaison de traitement des lexies mâle et femelle dans plusieurs dictionnaires français (2012 : 103-109). Je ne me suis intéressée à ces deux lexies que dans leur désignation de l’humain. Mais la recherche de F. Baider, qui porte sur les mêmes termes et va plus loin en incluant la botanique et la technologie, me permet de formuler une proposition pour la définition des pièces que l’on appelle mâle et femelle. A partir des définitions qu’elle a relevées (2004 : 161) dans le Petit Larousse Illustré de 1959 à 1978 et qu’elle met en face à face :

TABLEAU 1 : HOMMES GALANTS FEMMES FACILES, P.161, FABIENNE BAIDER

« PIÈCE MÂLE PIÈCE FEMELLE

Se dit Se dit

d’une partie d’un instrument

d’un instrument d’un outil

d’un organe

qui entre dans un autre qui est creusé

pour en recevoir un autre appelé mâle »

Nous pourrons proposer un type de définition dépolluée des connotations hiérarchisantes dont l’assymétrie est manifeste dans la présentation en tableau où « le principe mâle » est présenté comme « l’actant » (Baider 2004 : 161). Ce traitement n’est cependant pas propre aux dictionnaires, il contamine aussi les romans où la femme est régulièrement présentée en second304 même si dans le cadre de la perspective c’est elle qui est vue en premier. C’est aussi le traitement syntaxique réservé aux mâles dans plusieurs publications, comme l’ont noté Natacha Chetkuti et Luca Gréco305 dans la continuité de ce qu’avait largement étudié Claire Michard en 1988. C’est aussi un point de vue qui s’entend dans une analyse critique supposée dénoncer le sexisme mais qui l’intègre à son tour en présentant par exemple une candidature de femme comme mise en avant par un « ils » censé renvoyer à un groupe d’hommes comme

302 Pradalier N. « Pour une dénotation objectivée », Lexiques Identités Culture, QuiEdit, Vérone,Italie, 2012,

p.105

303

Baider Fabienne H. Hommes galants, femmes faciles, Étude socio-sémantique et diachronique, L’Harmattan, novembre 2004

304 Exemple dans Le livre du voyage de Bernard Werber, p. 28 « l’appartement de ton voisin du dessus, et son

corps, son chien, sa femme, son réfrigérateur, son plafond (…) »

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si une femme ne pouvait elle-même se mettre en avant en tant que « sujet actant », comme si elle ne pouvait pas ne pas se penser sans être pensée « objet ».306

Voici ma proposition de symétrie dictionnairique :

TABLEAU 2 : SYMETRIE FEMELLE M ALE N. PRADALIER

PIÈCE FEMELLE PIÈCE MÂLE

Se dit Se dit

de la partie concave, ou creusée de la partie convexe, ou proéminente

d’un instrument d’un instrument

qui s’ajuste à la partie convexe qui s’ajuste à la partie concave appelée « pièce mâle » appelée « pièce femelle »

Après cette intrusion dans l’actualité de mon travail, je reviens à l’étape maîtresse qui a guidé ma recherche sur le terrain de l’éducation.

Il restait en effet à introduire l’égalité dans l’enseignement de la langue. J’ai suggéré, au colloque pour la formation des enseignant·es à l’égalité fille/garçon (Toulouse 2010), un travail sur des textes littéraires et en particulier sur le début des Confessions de Rousseau que je présenterai dans la partie « Didactique ».

Enfin, le point d’altérité et une nouvelle revue qui est le versant pratique de la thèse ont été présentés au XXXIIIè colloque de la SILF à Oaxaca au Mexique en octobre 2012. Cette présentation sera consultable dans les Actes.

Ces différents points seront, bien entendu, repris et développés dans mon travail actuel. Je souhaite à présent revenir sur la comparaison des deux rédactions de la même pensée présentées ci-dessus et que l’on peut considérer comme deux états de langue. Le premier pouvant être appelé traditionnel ou archaïsant suivant le moment où l’on se place sur l’axe diachronique, le second pouvant être appelé « moderne » ou « à venir » selon notre degré d’optimisme.