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Issue d’une formation, à partir de 1975 à Toulouse, en lettres modernes et art, y compris théâtre, puis linguistique (acoustique, phonétique, linguistique générale et linguistique fonctionnelle) et sciences du langage avec sémiologie, analyse de discours, didactique des langues et informatique, je n’ai pas saisi, en 1978 ou 79, l’occasion d’intégrer la compagnie du théâtre de l’Acte dont j’ai reçu la formation parce que je souhaitais découvrir des formes plus classiques. Je n’ai pas saisi non plus, en 1988, l’occasion d’intervenir en université à Pau avec mon travail de maîtrise sur « les auto-reprises dans le discours oral spontané » parce que j’avais d’autres parties du monde à découvrir et que je ne pensais pas avoir la maturité suffisante pour comprendre l’intérêt de mon travail.

En revanche, j’ai accepté un remplacement d’une semaine en 1980 d’une professeur de français auprès de ses classes de 5èmes, et j’ai pu observer à cette occasion la dynamique de groupe à l’œuvre dans une classe. J’en avais étudié la théorie en 1971-72 en 1ère

année d’IUT. J’ai découvert aussi le potentiel d’enthousiasme d’un groupe pourtant jugé « pénible » par les enseignant·es en place et le pouvoir de manipulation d’un enseignement pensé et bien construit dont l’effet dépasse l’attente261.

J’ai également eu l’occasion de découvrir, à l’inverse, l’impuissance d’un enseignement dans un cadre où la supériorité hiérarchique empêche la connaissance alors même qu’elle prétend l’encourager262

.

261 J’avais alors mis en œuvre une proposition de cours des fichiers de l’instituteur et conseiller pédagogique B.

Girbal qui m’avait suggéré d’utiliser une fiche élaborée pour le cours de CM2 mais qui pouvait, disait-il, être avantageusement entrepris auprès d’élèves de 5ème (séparé·es de deux ans seulement des premier·es). Le cours

portait sur la poésie. Il consistait à comparer deux textes : l’un de Paul Verlaine « Chanson d’automne », l’autre de Maurice Carême (auteur de poèmes qui figuraient dans les calendriers de l’Action catholique) « La pluie ». J’avais suivi les conseils du pédagogue qui me suggérait de trouver une musique pour illustrer chacun des textes selon mon ressenti. Les textes eux-mêmes devaient être reproduits en grosse écriture sur deux grands papiers que j’afficherai sur le mur du tableau. Je demanderai aux élèves de lire, en silence et chacun·e pour soi, les deux textes et de dire lequel elles et eux préféraient, puis de fermer les yeux pour écouter les deux musiques. Opération stratégique qui permettait d’unifier l’attention. Fermer les yeux met dans un état de concentration et de sérénité qui participe de la découverte et du plaisir. L’écoute en est meilleure et l’activité aussi. Puis leur est demandée quelle est la musique qui correspond le mieux à chacun des textes. Dans les deux classes il y a eu unanimité pour déterminer musique et texte en accord avec le choix fait en amont. Un rythme de cymbale pour M. Carême, un orchestre de violons pour P. Verlaine. Puis vient l’étude proprement dite des textes : lecture, repérage de la construction sur la page, étude des assonances, du rythme dans le vers, des retours à la ligne, des syllabes, des sons, des images, des correspondances… Quelques termes techniques et leur définition sont donnés au passage, rappelés pour certain·es, découverts pour d’autres : alexandrin, versification, rimes… et jusqu’à diérèse et synérèse puisque « Les sanglots longs

Des violons » nous en donnent l’occasion… La proposition est faite ensuite

d’apprendre le poème que chacun·e préfère. Et voilà que, dans les deux classes également, alors que la première préférence était allée à « La pluie » de Maurice Carême, c’est « La chanson d’automne » de Paul Verlaine qui recueille l’approbation finale et c’est elle que chaque élève veut apprendre. Mais c’est la classe réputée la moins agréable qui s’en donne à cœur joie à déclamer le texte qu’un élève commence et que les autres poursuivent en chœur en se rangeant dans la cour de récréation avant d’entrer en classe.

262 C’était en 1988 en région parisienne. Je venais d’apprendre que, contrairement à ce qui m’avait été dit par

mon ANPE locale de Rodez, mon inscription à l’ANPE de Toulouse en tant que « comédienne » ne me valait pas une inscription automatique à l’unique agence du spectacle alors nationale située à Paris. Je devais me rabattre sur celle des cadres. J’eus alors l’opportunité de bénéficier des stages de formation offerts par la mairie de Paris et payés suffisamment pour pouvoir manger et se loger. C’était un stage de formation de « concepteur en micro- édition » (aujourd’hui nous pourrions dire « concepteur·ice » ou « concepteureuse »). Il y avait des cours de micro-informatique mais c’était de la manipulation de données sur écran selon ce qui s’appelait la « philosophie mac » dite wyswyd (What You See is What You Do) qui s’occupait de traitement de texte, de mise en page et de graphisme et la « philosophie PC » où régnaient les tableurs avec écrans noirs et chiffres jaunes. Nous avions des

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Ces différentes expériences m’ont placée au cœur d’une « anthropologie de la communication » pour emprunter l’expression à Dell Hymes via Yves Wikin, mais n’est-ce pas l’anthropologie tout court ou l’anthropologie en synchronie?

Ces expériences m’ont également sensibilisée à la transmission pédagogique et c’est pourquoi je ne pourrai finir mon étude sans élaborer plusieurs séquences didactiques en rapport avec l’objet « genre commun » que ce soit dans le cadre d’atelier d’écriture ou d’étude de langue.

cours de typographie aussi et un cours de français dont l’intervenant fut bien embarrassé quand il réalisa qu’il se trouvait face à une population très hétérogène qui allait du certificat de fin d’études primaires au DEA, de linguistique qui plus est. Lui-même était titulaire d’un DEA de linguistique. Ainsi le cours se réduisit rapidement en un échange entre nous deux qui venions d’école différente, c’était un générativiste-transformationaliste, j’étais fonctionnaliste. Il commença par la ponctuation et justifia son choix par l’hétérogénéité du public. Ce que je trouvai judicieux fut très mal reçu par la partie du public qui se sentait de la sorte infantilisée. Et j’eus l’occasion ici encore d’observer la dynamique de groupe en action. Mes interventions en cours qui donnaient lieu à débat de spécialistes entre nous, tel le tréma sur ambiguïté dont mon interlocuteur admit la justesse, furent prises par les autres membres du groupe comme signes de rapport de force en leur faveur. La configuration du groupe classe éveillait l’inconscient de la loi du nombre et de sa force brute dans une configuration de conflit vécue ainsi par certain·es. Je devins rapidement la réceptionnaire de toutes les revendications qui n’étaient que blessures d’amour propre dont je ne pouvais guère me sentir solidaire. Devant l’insistance du groupe à me vouloir à la tête d’un mouvement de contestation, je pris le parti d’en parler à l’intervenant qui fut sensible à ma démarche et dut insister auprès du directeur, mal préparé à cette éventualité et que nous étions allé·es voir ensemble, pour que je sois dispensée du cours afin d’assurer la bonne marche de la classe. Et puisque je venais de l’école fonctionnaliste, mon nouveau collègue me suggéra d’intervenir en alternance avec lui, auprès d’un public de syndicalistes que le comité d’entreprise d’EDF souhaitait former à la prise de parole. Les adultes formé·es recevraient ainsi un autre regard que celui qu’il apportait de générativiste, il argumenterait auprès du comité employeur pour présenter l’intérêt de la syntaxe fonctionnelle qui optimiserait la formation.

Je commençai la semaine suivante. Mais je n’eus l’occasion de ne donner qu’un cours. Le commanditaire étant resté dans l’allée du petit amphithéâtre où le cours avait lieu, quand une des participantes demanda confirmation de sa bonne compréhension en résumant magistralement en une phrase courte et très compréhensible la teneur entière de mon cours, l’homme dans l’allée se permit de prendre la parole pour répondre à ma place. Il commença son intervention par un « Non ! » puis il poursuivit par une logorrhée qu’il était seul à comprendre où il s’expliquait à lui-même le cheminement qu’avait pris sa propre pensée en suivant le cours de la mienne. Mais sa pensée avait démarré à l’endroit où était resté son questionnement de possible « ingénieur en physique nucléaire » (d’après ma déduction de la teneur de ses propos et de la place qu’il occupait dans le dispositif que j’intégrai « à l’essai»). La surprise de son intervention pour moi était telle que je n’ai pas eu la présence d’esprit de reprendre la parole pour expliquer au groupe que ce que venait de dire l’intervenant en question n’était pas faux puisque c’était sa compréhension du cours, et sa vérité à lui, mais que la phrase de la participante était bien plus juste en ce qu’elle résumait en effet le propos de façon simple et compréhensible. Ce n’était pas à l’ingénieur en effet de donner son avis sur la justesse de la compréhension de mon propos, mais à moi-même. Il avait là usurpé un rôle et de la sorte m’avait fait comprendre que son objectif n’était pas d’aider le personnel syndiqué à s’exprimer, contrairement à l’objectif officiel, mais d’éviter tout débordement des situations de communication par le haut ou par le bas, d’en garder finalement la maîtrise socialement parlant et peut-être andrologiquement parlant aussi. Il me reste à espérer que la participante éclairée ait pu lire, dans mon expression à l’écoute de l’homme sur le bas-côté, les signes de mon désappointement qui lui auront permis de comprendre que c’est elle qui avait la solution. En l’occurrence, l’intervention de cet homme à cet instant du cours et sous cette forme ne s’inscrivant pas dans mon horizon de probabilité, je n’étais pas préparée à remettre l’homme à sa place dans une phrase conclusive qui n’aurait vraisemblablement rien changé à la non acceptation de mes interventions rémunérées mais qui aurait eu le mérite de faire comprendre à l’assistance qu’elle avait les moyens intellectuels de comprendre et de s’exprimer pourvu qu’elle ne se laisse pas intimider par l’assurance de ceux (ou celles) qui détenaient le pouvoir économique de leur point de vue.

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