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J’ai dit « métaréalisme » ?

III. RECHERCHE-ACTION ET ETAT DES LIEU

« LE MONDE DU MENSONGE EST UN MONDE REEL, ON Y TUE ET ON Y EST TUE, IL EST PREFERABLE DE NE PAS L’OUBLIER »

Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Éditions Gallimard, 1992, p. 122 ourquoi en suis-je là ?

Et d’abord quel est ce « là » ?

« Là », c’est ce moment de l’existence où j’atteins un âge très nettement plus proche de l’âge moyen de la mort que celui de la naissance, âge que nos sociétés occidentales ont décidé être le moment où l’on devait commencer à se retirer de l’activité productrice pour s’écouter souffrir144

alors que, de mon côté, je choisis ce moment pour me mettre en position d’activité.

Ce n’est pas dire pour autant que je n’ai pas exercé d’activités jusque-là. C’est même grâce à mon activité professorale et aux contres-coups que lui a fait subir mon activité publique (parce qu’associative) et privée (parce que familiale) que je suis en mesure de pouvoir consacrer tout mon temps à la rédaction de ce travail dont la nécessité me paraît être rien de plus, ni rien de moins, qu’une évidence.

« Là », c’est aussi le moment d’une réflexion qui veut s’établir dans le champ qui la concerne. Or si mon inscription en sciences de l’information et de la communication ne semblait pas du tout une évidence pour Marlène Coulomb-Gully qui ne me connaissait pas une minute avant que je l’aborde, ce fut au contraire pour moi, quand elle m’apprit qu’elle était en sciences de l’information et de la communication, la découverte d’une adéquation exacte entre l’intitulé du champ et la perspective de mes travaux. En effet, c’est précisément l’information et la communication qui sont les moteurs de ma recherche même si, jusque-là, les réflexions qui en ont émergé n’ont été publiées que dans le champ du linguistique.

Mais ces publications se sont faites principalement dans le cadre de la linguistique fonctionnelle et, plus précisément le fonctionnalisme de Martinet dont Colette Feuillard dit qu’il « doit être posé comme une théorie » dans les termes que Gilles Gaston Granger assigne au rôle d’une théorie. La mise en place du principe de « double articulation » découle de l’objet langue considéré dans sa « manifestation vocale ». Ici, je me dois de récuser les affirmations de Pierre Kuentz qui, dans la partie « Stylistiques et rhétoriques » de l’article

Linguistique et littérature de l’Encyclopédia Universalis évoque, je le cite :

« Le schéma de la complexité ascendante – complaisamment entretenu par la linguistique – selon lequel on va naturellement du phonème au mot, du mot au syntagme et du syntagme à la phrase, tout en allant – « en passant » - du non-sens au sens ».

Le « complaisamment entretenu par la linguistique » appelle un bémol car c’est précisément dans l’autre sens que procède Martinet : les unités de première articulation sont les monèmes, c’est-à-dire des unités de sens et les phonèmes ne sont les unités que de seconde articulation.

144 J’ai souvenir d’une émission de radio (France Inter) où une chroniqueuse affirmait, après échange avec ses

collègues de studio, qu’à partir de 40 ans la normalité était d’avoir mal à son corps au réveil. Il y a plus de 10 ans de cela, j’avais largement passé les 40 ans et, de mon côté, je m’émerveillais justement de la merveilleuse mécanique du sommeil pour une reconstitution du corps. Nous pouvons déjà palper là le fossé entre l’espace public avec son discours public et l’espace privé avec ses sensations intimes et uniques. Qui dit que, parmi les milliers (ou plus) d’auditrices et d’auditeurs à l’écoute de France inter ce matin-là, il n’y en eut qui, plus ou moins mal en point pour x raisons, acceptèrent alors sans chercher plus loin que leur âge soit la raison de leur mal-être, ou qu’il n’y en eut d’autres plus jeunes qui, entendant cela, inscrivirent dans leur corps l’attente du mal être, créant ainsi les conditions pour qu’il s’installe ?

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Et enfin, pour préciser la distinction que j’ai signalée ailleurs entre « morpheme » selon Bloomfield et monème selon Martinet, je cite Colette Feuillard qui exemplifie la différence :

« Martinet et Bloomfield accordent (…) une priorité inverse au sens et à la forme, ce qui conduit à deux analyses différentes de ran, par exemple. Bloomfield considère qu’il n’y a qu’un morphème, la forme [ran] étant un alternant phonétique, appelé aujourd’hui allomorphe, de la forme de base [rʌn]. Martinet, au contraire, dégage deux monèmes, le « prétérit », par rapprochement avec sang « chantait », qui grâce à la voyelle [a] produit un même effet de sens et par opposition à run, et « court » par similitude avec run, une fois le prétérit supprimé. »

Enfin, la notion de fait avéré est essentielle au travail fonctionnaliste c’est pourquoi le corpus est un élément indispensable d’observation.

« Par ailleurs, poursuit C. Feuillard, [le fonctionnalisme] inclut dans ses perspectives une approche dynamique, à peine évoquée, bien qu’elle soit l’une des préoccupations majeures de Martinet, ainsi qu’une dimension explicative grâce, notamment, au principe d’économie. »

Information et communication sont les éléments centraux de mes recherches sur la langue quand je ne suis pas dans la création.

Et c’est encore de « pertinence communicative » qu’il est question puisque « toute communication implique une transmission d’information, même si l’on ne saurait la réduire à cette seule fonction » (Feuillard : 2006))

Il a été question plus haut d’« activité publique et privé » différente de l’activité professionnelle. L’activité professionnelle, dans mon cas, était celle qui me permettait de faire vivre ma famille. Elle m’a permis de découvrir ce qui avait été intégré de linguistique dans les manuels scolaires. Par l’écoute des questions-réponses à la radio et des réflexions de stagiaires en formation académique, j’évaluais la taille de la faille épistémologique où parents, professeurs du secondaire et journalistes se retrouvaient, à des degrés divers, lié·es par une même ignorance que seuls les parents avouaient.

Dans les années 90 en effet, les manuels de français des collèges étaient très nettement issus des perspectives sémiologiques de la communication. Il était plus question de phonétique, d’image publicitaire ou filmique, de contexte situationnel, d’énonciation, de typologie de textes et d’objet-livre que de la langue proprement dite qui ne semblait être traitée que de façon subsidiaire.

Pour ma part, cette présentation correspondait à ce qui pouvait résulter de mes études en linguistique ou sciences du langage dont j’avais suivi le cursus au moment de son installation à Toulouse, cursus auquel on ne pouvait accéder, en 1978 et hormis l’Unité de Valeur « Didactique du français langue étrangère », qu’après une licence complète déjà obtenue dans une autre Unité d’Enseignement et de Recherche.

J’étais donc particulièrement à l’aise avec ce type de manuel. Il me restait juste à comprendre le fonctionnement des enfants de 10 à 12 ans que j’avais en charge. Dans ce même collège, j’avais été recrutée pour l’enseignement du latin145

et les manuels avaient également été considérablement revus depuis mon propre apprentissage de cette langue. L’accent était mis sur l’enseignement à Rome et tous les obstacles étaient aplanis pour que l’apprentissage du latin devienne un jeu directement accessible. Autrement dit, le rapport intrinsèque entre la logique de la langue latine et la logique de la langue française était purement et simplement éliminé de la transmission éducative et pas remplacé pour autant par un aller-retour entre des langues en présence.

Je souhaitais aborder ma deuxième année dans ce collège en utilisant les connaissances acquises l’année précédente sur ce public cible que je m’apprêtais à conduire méthodiquement

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J’avais été recrutée in extremis lors de la rentrée scolaire 1990, toutes les personnes contactées avant moi ayant refusé d’enseigner le latin.

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vers une maîtrise de l’apprentissage littéraire quand une erreur d’aiguillage me mit en présence d’un âge différent.

J’étais également prête à entamer une thèse à ce propos. Je demandai à Claudine Garcia- Debanc, professeur à l’IUFM et que j’avais connue dans le cadre de la formation continue en didactique du français de bien vouloir me diriger pour un doctorat. Mais elle déclina ma proposition parce que « la syntaxe n’était pas sa spécialité », me dit-elle.

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