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Pour ce qui est de la femme, nous poserons les questions dans les mêmes termes que pour l’homme.

Le problème de son acception existe aussi, bien qu’il soit levé plus aisément par le contexte.

La femme peut être l’épouse. Et la femme peut être un mythe.

J’ai posé l’hypothèse que la construction du mythe de l’homme avait été élevée par les femmes et la construction du mythe de la femme élevée par les hommes, l’un et l’autre étant formulés en « éternel masculin » et « éternel féminin ». Mais ce serait à vérifier.

Cependant bien que « les femmes » soient dans l’ombre ou la tombe, elles existent moins confusément que « les hommes » au moins pour ce qui est de l’identification des adultes. Même si l’apparence de certaines personnes permet mal de les identifier en tant qu’homme ou femme212, c’est au moins entre l’un et l’autre de ces termes que l’on hésitera, et non pas entre deux acceptions différentes du mot « homme », du genre « êtes-vous un homme, être humain, ou un homme tout court ? » qui n’est pas pour autant un « être inhumain », quoique…

Le problème ici est plutôt de l’ordre de la parole confisquée. Les femmes sont parlées plus souvent qu’elles ne parlent : nous l’avons vu avec « Femme j’écris ton nom » mais nous l’avons entendu également213

quand Michèle Perrot, animant une émission intitulée « Histoire des femmes », lut plusieurs passages de « Emma Bovary » en guise de témoignage, confondant ainsi non seulement fiction et réalité mais surtout prenant une parole masculine pour une parole féminine, et la chose est d’autant plus flagrante quand l’on sait que Flaubert a dit : « Emma Bovary c’est moi ». Toute œuvre romanesque est intimement liée à son auteur. Confondre documentaire et fiction constitue une fraude puisque c’est présenter l’invention d’un être au même titre que la réalité du monde.

Mais c’est aussi ce que fait Simone de Beauvoir dans « le deuxième sexe » quand elle met en exergue une phrase de Kierkegaard sur le malheur d’être femme ! Que peut savoir en effet Kierkegaard du fait d’être femme, à moins qu’il en soit une lui-même, mais alors son malheur lui est propre et sa généralisation est une aberration.

A contrario, Marguerite Yourcenar nous fait goûter dans ces Carnets de notes des Mémoires d’Hadrien, le travail de l’écrivaine qui essaie de reconstituer une vie qui a existé, à partir de ses propres sensations :

« Pour que je pusse utiliser ces souvenirs, qui sont miens, il a fallu qu’ils devinssent aussi éloignés de moi que le IIe siècle »

ou encore :

« Expériences avec le temps : dix-huit jours, dix-huit siècles… »

212 Cette situation m’est arrivée dans les années 70 – 80 à Toulouse dans une boîte de nuit dite « gay » où je

regardais danser un groupe de personnes dans lequel une d’entre elles me paraissait de sexe indéterminé. Je fus doublement perplexe quand celle-ci vint s’asseoir à côté de moi pour me demander si j’aimais les femmes ? Etant une femme moi-même, je m’imaginais mal répondre « non », mais avant que je lui dise que nous ne mettions sans doute pas le même sens sous le mot « aimer », elle continua face à mon silence : « Si tu aimes les femmes, j’en suis une. Et si tu aimes les hommes, j’en suis un. » Quoi qu’il en soit, je ne désirais cette personne ni en tant qu’homme ni en tant que femme et l’insistance de mon regard sur elle, qu’elle avait peut-être perçu, n’était qu’un regard réflexif sur l’âge et le milieu de cette personne, âge et milieu que je percevais différents si elle était un homme ou une femme. C’est dire que son intervention ne m’éclaira en rien, mais obscurcit en revanche ma réflexion. Le fait que je fusse pensée comme objet de désir par cette personne empêcha non pas que je lui pose la question de son sexe, qui désormais était en quelque sorte résolue, mais la question de son âge et de son statut social.

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Cependant cette même Marguerite Yourcenar en réponse à Matthieu Galey qui lui pose la question de ce qu’elle pense du viol n’hésite pas, après avoir dit que c’était « un crime (...) des plus révoltants », à ajouter

« Il arrive aussi pourtant qu’ils soient motivés par une provocation sexuelle féminine, consciente ou non. »214

Nous noterons ici que c’est dans la partie « Et le féminisme ? »215

que cette question est posée et que le viol à l’encontre des jeunes hommes n’est donc pas envisagé. Quant à évoquer de la « provocation sexuelle» où il y a viol, c’est tout simplement se contredire et c’est utiliser précisément l’argument des violeurs.

Or quand Matthieu Galey commente : « voilà un argument qui rejoint celui des hommes le plus « machistes », elle répond :

« En ce qui me concerne, je ne l’ai jamais entendu que sur des lèvres féminines, mères, sœurs ou parentes qui avaient constaté, à regret, l’imprudence de la victime. » Et, en effet, en dehors des violeurs eux-mêmes, ou des violeurs potentiels, ce ne sont que des femmes qui tiennent ce genre de propos. Le « à regret » qui tempère l’acte de constatation est la seule nuance avec l’argument des violeurs. Ceux-ci ne font finalement que se conformer à ce qu’attendent les garantes de l’ordre viriarcal, « gardiennes de la doxa » selon l’expression de M-J Bertini216.

214 Yourcenar Marguerite, Les yeux ouverts, p. 269 215

P.265-272

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La langue comme objet de problématique