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J’ai dit « métaréalisme » ?

1. D’un rêve à l’autre

Le rêve dont il est question se présente en mouvement de couleurs dont chacune a un sens, un sens qui se donne à lire de façon argumentée mais dont la lecture est empêchée parce que, dès qu’elle commence à être saisie, elle est augmentée du sens de la nouvelle couleur. Or les couleurs viennent d’un extérieur non identifié mais situé à ma gauche138

, leur mouvement est à la fois identique dans son tempo comme dans la forme circulaire selon laquelle les couleurs rejoignent le point noir et central, image-même de l’anti-matière, réceptacle, concentration et dilution de toutes lectures ainsi accumulées et par là perdues à jamais. Ce point central pourrait être assimilé aujourd’hui au « point de l’altérité », car l’autre est ce qui est différent de nous, donc inconnaissable.

Quand le rêve, ou plutôt l’image-même que le rêve a produite, se présente à l’état conscient, la raison se réjouit, persuadée qu’elle saura arrêter la lecture à temps. Mais la conscience apprend qu’elle n’a pas plus de prise sur le temps que n’en a l’inconscient.

Et si le rêve ne revient plus pendant la nuit du sommeil, j’en déduis que l’image a donné tout ce qu’elle avait à donner.

Si peu c’était peut-être déjà beaucoup et j’en fais une tentative d’interprétation. Le point noir du centre comme premier point que la main a tracé pour faire signe et la course des couleurs pour dire la matière qui s’organise et que les mots souhaitent saisir sans jamais pouvoir la comprendre parce qu’elle vient d’ailleurs, du soleil impressionnant nos rétines par l’intermédiaire des formes que capte notre raison. Le point noir comme abîme où sombre la recherche d’une maîtrise impossible de la réalité existante ailleurs, celle de l’autre.

Cette interprétation a postériori, celle « du soleil impressionnant nos rétines », est en lien non seulement avec la dernière image en conscience cernée par, et évaporée dans, la réalité diurne mais également avec l’expérience vécue pendant l’écriture de mon mémoire de DEA que je vais rapporter ici.

C’était un peu avant la rentrée universitaire de 1982, je souhaitais présenter mon mémoire dans les temps impartis, c’est-à-dire avant une certaine date fatidique d’octobre ou novembre, alors que je venais juste d’en commencer la rédaction pendant l’été après avoir pu demander son avis sur deux points importants à Conrad Bureau qui me dirigeait officieusement et que je ne voyais que le temps d’un colloque.

« C’est une gageure ! » m’avait dit Andrée Borillo que je salue au passage et qui me dirigeait officiellement. Consciente en effet du défi que je me lançais, je mis tous les atouts de mon côté en demandant son aide à mon médecin traitant.

Armée de quelques boîtes d’ordinator139 ou de Surelen et de quelques jours de congé, je me mis au travail à raison de 12 h sur 12 au minimum et 7 jours sur 7. J’arrêtais en fin de journée devant l’obstacle qui trouvait sa résolution pendant mon sommeil et je poursuivais dès la première heure de ma journée.

Or, voilà qu’un matin, devant mes feuilles noircies d’écriture, je ne reconnus plus rien. Elles étaient devenues étrangères à moi-même.

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Nous n’oublions pas que la direction de lecture et surtout d’écriture du français se fait de « gauche » à droite, c’est pourquoi nous associons le passé à la gauche de l’image et le futur à la droite par rapport à un présent qui nous fait face. Mais « gauche » et « droite » sont des notions éminemment subjectives puisqu’elles se remplissent de sens opposés pour deux personnes en face à face.

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J’appelai ma directrice pour lui dire mon désarroi. Elle me dit d’arrêter tout et de partir à la campagne. C’était le week-end. J’avais l’occasion de suivre ma sœur dans un chalet en Ariège. Ce que je fis.

Et là, alors que nous marchions dans un sentier jonché de feuilles mortes, mes yeux découvrirent avec un soudain étonnement qu’il existait d’autres couleurs que le noir et le blanc ! Sous l’effet du marron de la feuille d’automne, le sens de mon travail se réinstalla en moi. J’ai su que j’étais à la fin de mon étude. Il ne me restait qu’à achever la dernière partie et à conclure.

La diversité des couleurs participe donc du sens, du cheminement de la pensée, du travail de la raison, du moins quand nos sens ont pris l’habitude de la percevoir.

Ainsi le point noir et central de mon rêve d’enfant était peut-être, de façon inversée en quelque sorte, l’accumulation des mots écrits dont l’encre s’entassait une fois qu’ils avaient déroulé leur sens que j’assimilais à des couleurs. J’étais en effet nourrie des livres de la bibliothèque dont s’occupait ma mère et qu’elle sélectionnait à mon intention140

. Tous les auteurs étaient il est vrai dans des explications psychologiques pour cerner les actes et les intentions des protagonistes en présence. C’était les univers mis en place par Balzac, François Mauriac, Antoine de Saint-Exupéry, Berthe Bernage, Cronin, Stendhal et bien d’autres, en passant très souvent par Agatha Christie, ma préférée de l’époque, dont j’ai lu exclusivement alors les aventures d’Hercule Poirot, lequel m’apprit qu’il y avait des instruments meurtriers distincts selon les sexes. Toute hypothèse est acceptable dans le domaine de la fiction. Et les indices sont recherchés en fonction des hypothèses mises en place141.

Ainsi chaque couleur était peut-être un indice venu du passé que le présent n’avait pas le temps de saisir avant de sombrer dans le gouffre de l’avenir dont rien n’était écrit.

Ainsi ce point noir et central pouvait aussi bien représenter l’autre en tant qu’inconnue (comme il est question d’ « inconnue » en algèbre) dans l’espace comme l’autre en tant qu’inconnue dans le temps à venir. Le petit Larousse 2008 donne pour la définition de l’inconnue en tant que nom :

« Elément d’une question, d’une situation qui n’est pas connu » et c’est une définition que je valide pour mon énonciation précédente.

Mais pour finir, et respecter mon tempo à trois temps, je relie ces deux premiers rêves, coffre-fort et couleurs signifiantes, à un troisième où je suis à la fois la conférencière debout et une disciple assise écrivant le discours, alors même qu’il se disait, et semblant tenir ainsi la responsabilité de la conférence qui se déroulait. Au réveil, je savais la chose impossible mais j’ai gardé souvenir de la tension extrême qui en avait rendu tangible l’impression de réel. Pour lier entre elles ses expériences vécues et rêvées, je dirai que c’est le cadre qui est commun, un cadre qui tient au temps, au temps comme durée et au temps comme luminosité du réel. Quant à la matière commune c’est le caractère précieux de la chose dont j’ai ou dont je cherche la maîtrise.

Ainsi le métaréalisme est un moyen de connaissance autant qu’une méthode : celle d’explorer en construisant et de construire en explorant, pour affirmer une réalité devenue nécessaire, la

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Elle m’avait fait lire un roman de Delly pour que je sache ce qu’était la « mauvaise littérature », c’est ainsi qu’elle me l’avait présenté. Et ce que j’en avais repéré de distinct par rapport aux autres était ce que j’ai appelé plus tard « une absence de style », mais peut-être était-ce parce que l’auteur était double, comme je l’ai appris récemment, à savoir frère et sœur. Une écriture à plusieurs mains oblige en effet à rester sur des poncifs, interdit en tout cas le vertige créateur, ou du moins le limite fortement.

141 La première notation sexiste me fut donc offerte par Agatha Christie et entrait dans un univers où l’égalité

entre les sexes était donnée comme un principe intangible dans l’éducation. J’apprenais ainsi que la littérature permettait de créer un monde différent de la réalité, monde dont l’autrice détenait les codes et les donnait comme indices à son lectorat, Hercule Poirot étant le réceptacle de ces codes, à partir desquels il devait résoudre l’énigme d’un meurtre. Mais Agatha Christie avait simplement repris les poncifs : ruse féminine versus violence masculine.

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nécessité en question étant de l’ordre de ce qu’évoque Monod dans « le hasard et la nécessité ».

Et le lien peut se faire alors entre le « métaréalisme » de Brzekowski142 et celui de Jean Guitton, sachant que le poète polonais Brzekowski a parlé de « métaréalisme » dans les années 1930 pour différencier sa position de celle du « surréalisme ». Quant à Jean Guitton, il a énoncé le « métaréalisme », la même année où je publiais le mien, en remplacement de la notion de Dieu en quelque sorte pour lui qui était catholique face aux explications de la mécanique quantique qu’exposaient les frères Bogdanov dans l’entretien qu’il avait eu avec eux143.

Il semble, à présent, que j’ai déroulé de façon imagée les trois étapes de ma recherche pour découvrir le genre commun connu de tout temps mais que la schématisation linéaire de la parole a fait oublier.

Pour situer le genre commun, j’emprunte à Patrizia Violi le schéma, quelque peu modifié, qui figure dans son article « De l’origine du genre grammatical » :

Masculin Commun Féminin

Non-masculin Neutre Non-féminin

FIGURE 1 : SCHEMA PATRIZIA VIOLI A PEINE MODIFIE

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Delaperrière Maria : « Jan Brzekowski, qui depuis 1928 séjournait en France et dont la sensibilité a certainement été la plus proche de l’imaginaire surréaliste, cherchera à s’en démarquer en forgeant l’esthétique du « métaréalisme » où il s’efforce d’associer et de dépasser les oppositions entre conscient et inconscient, irrationnel et rigueur de la pensée, réel et au-delà du réel. Pour Brzekowski la « métaréalité » ne peut être atteinte que par l’image, mais une image IN STATU NASCENDI, c’est-à-dire une image saisie dans le mouvement même

de son éclosion et portant la marque linguistique de la volonté organisatrice du poète :

« Le postulat de l’écriture automatique contient en plus une certaine part d’irresponsabilité. Il est, à notre avis, immoral, non éthique […] Enfin l’imagination surréaliste n’est pas l’imagination. Le poète surréaliste s’intéresse uniquement à la manière d’écrire et non à la qualité du poème et de la réalité d’imagination qu’il implique […] Contrairement au surréalisme le métaréalisme repose sur une imagination organisée. » J. Brzekowski,

Wyobraz´nia wyzwolona, Pion, 1938, rééd. Zycie w czasie, Londres, 1963, p. 76.

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Guitton Jean, Dieu et la science, Vers le métaréalisme :

« Cette voie nouvelle offerte par la physique quantique transforme l’image que se fait l’être humain de l’univers, ceci de façon bien plus radicale que ne l’a fait la révolution copernicienne. […] Puisque les

physicien·es ont dématérialisé le concept même de matière, elles et eux nous ont offert, en même temps, l’espoir

d’une nouvelle voie philosophique : celle du métaréalisme, voie d’un certain au-delà (que je dirais pour ma part,

à créer dons son entièreté, en tant qu’au-delà du présent dans le présent déjà là) ouverte à l’ultime fusion entre

matière, esprit et réalité». (p. 174)

Tout ce qui est en italique est de ma pâte, et patte ( !), dans la mesure où Jean Guitton est un Français du siècle dernier qui n’avait pas encore remis en question la pensée unique de l’universel masculin! Je suis convaincue d’avoir l’aval de Jean Guitton pour ce qui est de ma traduction de sa prose en français à venir.

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