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Des textes constitutionnels admettant largement l’action économique

mais dont il ne faut pas sous-estimer les exigences pour l’action économique

2.1.1. Une constitution économique pondérée

2.1.1.1. Des textes constitutionnels admettant largement l’action économique

„ La Constitution prend en compte l’action économique

La Constitution de 1958 est d’abord un texte d’organisation des pouvoirs publics et ne comporte elle-même que peu d’éléments sur les droits substantiels. Ce constat vaut également en matière économique, même si le premier alinéa de l’article 1er définit la France comme une République « sociale », qualificatif qui ne détermine pas un système économique s’imposant au législateur231.

Cependant plusieurs dispositions constitutionnelles organisent et encadrent l’action économique des personnes publiques.

Ainsi, l’article 34 inclut dans le domaine de la loi, outre le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures et le régime d’émission de la monnaie (al. 6), les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé (al. 11) ainsi que le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales (al. 16).

D’autres articles autorisent le recours au référendum pour tout projet de loi portant sur des réformes relatives notamment à la politique économique232, prévoient des emplois ou fonctions pour lesquels, en raison de leur importance pour la vie économique de la Nation, la nomination par le Président de la République intervient après consultation des assemblées233, instituent un Conseil économique social et environnemental pouvant être consulté par le Gouvernement sur tout problème de caractère économique et auquel tout plan ou tout projet de loi de programme à caractère économique est soumis pour avis234.

230. H. Rabault, « La Constitution économique en France », RFDC 2000, p. 708 ; J.-B. Auby,

« Quelques observations sur la Constitution économique », colloque La Constitution éco-nomique de l’État, L’ordre constitutionnel économique, 1958-2008, LPA, 22 janvier 2009, n° 16 ; P. Mbongo, « La neutralité économique de la Constitution à l’ère de l’intégration économique européenne et de la globalisation », op. cit. p.79 ; M.-L. Dussart, Constitution et économie, Nouvelle bibliothèque des thèses Dalloz, n° 144, 2015.

231. B. Mathieu, « La République sociale », La République en droit français, Economica, 1996, p. 175 s. La République sociale n’implique ni n’autorise la socialisation de l’économie (V. infra 2.1.1.2). Elle n’est pas même synonyme d’une « économie sociale de marché » qui s’imposerait au législateur (expression utilisée par les Traités européens, v. infra 2.2.1.1.).

232. Article 11 de la Constitution dans sa rédaction issue de la révision de 1995.

233. Article 13 de la Constitution dans sa rédaction issue de la révision de 2008.

234. Articles 69 à 71 de la Constitution dans leur rédaction issue de la révision de 2008.

„ Les déclarations des droits n’abordent qu’assez peu les libertés économiques Se fondant sur le renvoi fait par le Préambule de la Constitution de 1958 à la déclaration des Droits de l’Homme de 1789 et au Préambule de 1946, le Conseil constitutionnel les a incorporés dans le bloc de constitutionnalité235, auquel s’est ajoutée la Charte de l’environnement de 2004236.

Selon une présentation devenue classique, ces trois textes correspondent aux trois générations de droits fondamentaux dont les inspirations ont tendance à s’équilibrer, ce qui contribue à la plasticité du cadre constitutionnel. Mais ces textes abordent, en tout état de cause, de manière assez discrète l’action économique des personnes publiques.

La déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, d’inspiration libérale, tend à modérer l’action des personnes publiques en général. Elle proclame la liberté (art.

4) et la propriété (art. 17) afin de les protéger du pouvoir royal et de l’arbitraire, dans le contexte particulier de la Révolution, mais ne comporte pas pour autant de dispositions explicitement économiques. Ce n’est qu’en consultant les débats auxquels elle a donné lieu que l’on peut découvrir la portée que ses auteurs entendaient lui conférer, notamment pour les libertés économiques237.

Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 est quant à lui très marqué par les préoccupations sociales qui en constituent l’inspiration majeure. Il comporte néanmoins une disposition économique très explicite qui pourrait être lue comme

« prescrivant l’interventionnisme »238 à son 9e alinéa aux termes duquel « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Mais l’inspiration de cette disposition, dont il a pu être observé qu’elle visait tout autant à préserver les missions d’intérêt général qu’à éviter que le marché soit faussé par un opérateur privé dominant, conduit à relativiser sa portée239.

La Charte de 2004 veille quant à elle à assurer la préservation de l’environnement par un certain nombre de dispositions transversales. Son article 6 mentionne néanmoins spécifiquement les questions économiques en énonçant que « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». Son article 5, bien que ne traitant pas quant à lui explicitement des questions économiques, a été perçu comme ayant une incidence directe sur l’action économique en consacrant le principe de précaution.

235. Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971.

236. Sa valeur constitutionnelle a été confirmée par la décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 puis par la décision CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, n° 297931, GAJA n° 114, Dalloz 2013.

237. V. sur ces travaux préparatoires, R. Fraisse, « La QPC et la liberté d’entreprendre », RJEP, août 2011, n° 689.

238. P. Delvolvé, Droit public de l’économie, Dalloz 1997, p. 170.

239. G. Quiot, « Service public national et liberté d’entreprendre », Le Préambule de la Constitution de 1946, antinomies juridiques et contradictions politiques, PUF, 1996, p. 187.

„ Un débat résiduel sur la nécessité de compléter les textes constitutionnels L’absence de toute disposition constitutionnelle traitant de façon explicite des rapports entre l’État, les entreprises et l’économie de marché, a pu surprendre240. Le débat sur l’opportunité de constitutionnaliser ces principes est toutefois resté assez circonscrit. La question n’a pas été abordée dans le cadre de la dernière révision de la Constitution en 2008241. Il n’a pas davantage pris d’ampleur dans le cadre des travaux du comité constitué en 2009 sur un éventuel enrichissement du Préambule de 1946, même si l’insertion de la liberté d’entreprendre dans les textes constitutionnels y a été évoquée242. Cette proposition, à laquelle ses promoteurs attachaient une portée essentiellement symbolique, n’a toutefois pas été retenue par le comité, qui n’a du reste proposé aucune modification du préambule.

Le débat ne s’est pas totalement éteint aujourd’hui243. Il convient de ne s’y engager qu’avec prudence. Une révision constitutionnelle à des fins purement symboliques ne présenterait pas de réelle utilité et pourrait en revanche avoir des conséquences imprévues sur les exigences constitutionnelles en matière d’action économique des personnes publiques.

L’action économique des personnes publiques dans la Constitution : exemples étrangers

Allemagne

Art. 104 b : Dans la mesure où la présente loi fondamentale lui confie des compétences législatives, la Fédération peut accorder aux Länder des aides financières destinées aux investissements particulièrement importants des Länder et des communes (ou groupements de communes) lorsque ceux-ci sont nécessaires, 1. pour parer à une perturbation de l’équilibre global de l’économie, ou 2. pour compenser les inégalités de potentiel économique existant à l’intérieur du territoire fédéral, ou 3. pour promouvoir la croissance économique. / Par dérogation à la première phrase, la Fédération peut accorder des aides financières sans avoir de compétences législatives en cas de catastrophes naturelles ou de situations exceptionnelles d’urgence qui échappent au contrôle de l’État et portent des atteintes considérables à la situation des finances publiques.

240. G. Carcassonne relevait ainsi que « l’économie de marché, que permet et que traduit la liberté d’entreprendre, est consubstantiellement attachée à la société dans laquelle nous vivons. Il est assez étrange qu’aucune constitution française ne soit allée jusqu’à la procla-mer formellement alors que plus personne ne remet véritablement en cause les principes de l’économie de marché », « La liberté d’entreprendre », actes du colloque L’entreprise et le droit constitutionnel, CREDA du 26 mai 2010, p. 80.

241. Le rapport du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééqui-librage des institutions de la Ve République, centré sur l’organisation des pouvoirs publics, n’y consacre pas de développement spécifique : Pour une Ve république plus démocratique, rapport remis le 29 juin 2007.

242. Proposition faite par L. Parisot au nom du MEDEF, v. le rapport au Président de la République : Redécouvrir le Préambule de la Constitution, La documentation Française, 2009, p. 160.

243. V. J. Peyrelevade, « La Constitution contre l’économie », Revue Commentaire, 2013/4,

Espagne

Art. 38 : La liberté d’entreprise est reconnue dans le cadre de l’économie de marché. Les pouvoirs publics garantissent et protègent son exercice et la défense de la productivité conformément aux exigences de l’économie générale et, s’il y a lieu, de la planification.

Art. 128 : [...] 2. L’initiative publique est reconnue dans l’activité économique.

Une loi pourra réserver au secteur public des ressources ou des services essentiels, tout particulièrement en cas de monopole, et décider également le contrôle d’entreprises lorsque l’intérêt général l’exigera.

Art. 131 : 1. L’État pourra, par une loi, planifier l’activité économique générale pour veiller aux besoins collectifs, équilibrer et harmoniser le développement régional et sectoriel et stimuler la croissance des revenus et de la richesse et leur plus juste distribution.

Italie

Art. 41 : L’initiative économique privée est libre./ Elle ne peut s’exercer en opposition avec l’utilité sociale ou de manière à porter atteinte à la sécurité, à la liberté, à la dignité humaine./ La loi détermine les programmes et les contrôles nécessaires afin que l’activité économique publique et privée puisse être orientée et coordonnée à des fins sociales.

Pologne

Art. 20 : L’économie sociale de marché fondée sur la liberté de l’activité économique, sur la propriété privée et la solidarité, le dialogue et la coopération entre les partenaires sociaux, constitue le fondement du système économique de la République de Pologne.

Art. 22 : La liberté d’exercer des activités économiques ne peut être limitée qu’en vertu de la loi et uniquement au regard d’un intérêt public important.

Suisse

Art. 27 : La liberté économique est garantie.

Art. 94 : 1. La Confédération et les cantons respectent le principe de la liberté économique./ 2. Ils veillent à sauvegarder les intérêts de l’économie nationale et contribuent, avec le secteur de l’économie privée, à la prospérité et à la sécurité économique de la population./ 3.Dans les limites de leurs compétences respectives, ils veillent à créer un environnement favorable au secteur de l’économie privée./

4. Les dérogations au principe de la liberté économique, en particulier les mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont prévues par la Constitution fédérale ou fondées sur les droits régaliens des cantons.

Art. 95 : La Confédération peut légiférer sur l’exercice des activités économiques lucratives privées.

p. 841s. ; P. Delvolvé, J. Peyrelevade, « La Constitution et l’économie », Revue Commentaire, 2014/2, p. 343s.

Art. 100 : 1 La Confédération prend des mesures afin d’assurer une évolution régulière de la conjoncture et, en particulier, de prévenir et combattre le chômage et le renchérissement./ 2. Elle prend en considération le développement économique propre à chaque région. Elle collabore avec les cantons et les milieux économiques./ 3. Dans les domaines du crédit et de la monnaie, du commerce extérieur et des finances publiques, elle peut, au besoin, déroger au principe de la liberté économique. / 4. La Confédération, les cantons et les communes fixent leur politique budgétaire en prenant en considération la situation conjoncturelle.

Turquie

Art. 166 : L’État a le devoir de planifier le développement économique, social et culturel, et en particulier le développement rapide et harmonieux de l’industrie et de l’agriculture d’une manière équilibrée sur le plan national, d’inventorier et d’évaluer les ressources nationales en vue de planifier leur utilisation productive, ainsi que de créer les structures nécessaires à ces fins […].

Art. 167 : L’État prend les mesures susceptibles de garantir et de promouvoir le bon fonctionnement et la régularité des marchés monétaire, de crédit, des capitaux, des biens et des services; il empêche la formation sur ces marchés de monopoles et de cartels de fait ou résultant d’une entente.

Russie

Art. 8 : 1. Dans la Fédération de Russie sont garantis l’unité de l’espace économique, la libre circulation des biens, services et moyens financiers, le soutien de la concurrence, la liberté de l’activité économique. / 2. Dans la Fédération de Russie sont également reconnues et protégées la propriété privée, d’État, municipale et les autres formes de propriété.

Article 34 : 1. Chacun a le droit à la libre utilisation de ses capacités et de ses biens pour l’activité d’entreprise et les autres activités économiques non interdites par la loi. 2. Est interdite l’activité économique tendant au monopole et à la concurrence déloyale.

Chine

Art. 6 : 1. Le régime économique socialiste de la République populaire de Chine est fondé sur la propriété socialiste publique des moyens de production, c’est-à-dire la propriété du peuple tout entier et la propriété collective des masses laborieuses. Le régime de la propriété socialiste publique remplace le système d’exploitation de l’homme par l’homme, il applique le principe « de chacun selon ses capacités à chacun selon son travail » / 2. Durant la première étape du socialisme, l’État applique un régime économique fondé sur la propriété publique comme facteur dominant et différents secteurs de l’économie se développant côte à côte, et un système de distribution, avec la distribution selon le travail comme facteur dominant et la coexistence de plusieurs modes de distribution.

Art. 11 : Le secteur économique individuel, le secteur privé et les autres secteurs qui n’appartiennent pas à l’économie publique qui existent dans les limites définies par la loi, constituent une composante majeure de l’économie socialiste de marché.

Corée du sud

Art. 119 : 1. L’ordre économique de la République de Corée est basé sur le respect de la liberté et de l’initiative des entreprises et des particuliers dans le monde des affaires ; / 2. L’État régule et coordonne les affaires économiques de manière à maintenir une croissance stable et la stabilité de l’économie nationale, à assurer une redistribution adéquate des revenus, à prévenir les situations de domination ou d’abus de pouvoir économique sur le marché et à démocratiser l’économie en assurant l’harmonie entre les agents économiques.

Brésil

Art. 173 : sauf dans les cas prévus par la présente Constitution, l’exercice direct par l’État d’une activité économique n’est permis que lorsqu’il répond à des impératifs de sûreté nationale ou d’intérêt collectif de première importance, au sens de la loi.

Art. 174 : En tant qu’agent normatif et régulateur de l’activité économique, l’État exerce, selon les formes de la loi, les fonctions de surveillance, de stimulation et de planification; cette dernière est contraignante pour le secteur public et indicative pour le secteur privé.

2.1.1.2. Un droit prétorien historiquement modéré en matière

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