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La nécessaire cartographie de l’action économique des personnes publiques

n’exclut pas un pilotage d’ensemble

1.3.2. La nécessaire cartographie de l’action économique des personnes publiques

1.3.2.1. Une action en quête d’un cadre conceptuel

„ L’approche de la doctrine

La doctrine se concentre d’abord sur les fondements de cette action économique.

Il s’agit pour les économistes d’identifier les imperfections du marché. La réflexion est ici largement dominée par les analyses fondatrices de Musgrave sur les différentes fonctions de l’État : allocation des ressources, redistribution, rééquilibrage de la conjoncture204. Au-delà du constat des insuffisances de marché, les juristes s’efforcent pour leur part, avec notamment les notions de bien public et d’intérêt général, de trouver les fondements de l’action économique des personnes publiques dans le prolongement de leurs missions de service public205.

La doctrine s’intéresse ensuite aux moyens de l’action. Il s’agit d’identifier les institutions, les procédures et les instruments mobilisés pour agir sur l’économie.

L’évaluation des résultats de l’action est le champ privilégié des économistes, qui cherchent à mesurer les effets concrets de chaque mesure et à comparer les performances. Les juristes traitent pour leur part de ce champ sous l’angle des procédures permettant de procéder à l’évaluation.

„ Le critère de l’objectif économique

Pour le juriste, l’action économique des personnes publiques se définit par sa finalité, elle suppose une volonté d’influer sur une situation donnée pour atteindre un objectif économique. Est économique ce qui se rapporte à la production, à la distribution, à l’échange et à la consommation de biens et de services. L’action est économique lorsqu’elle a, au moins partiellement, pour objectif d’influer directement sur l’un ou l’autre de ces éléments.

La question conceptuelle la plus difficile à appréhender est celle des actions mixtes, qui poursuivent concurremment des objectifs économiques et non économiques.

Il est souvent impossible de raisonner par bloc et de placer une politique publique entièrement dans le champ de l’action économique ou au contraire de l’en sortir complètement. Et il serait contestable de nier la mixité d’un grand nombre de politiques en cherchant à les classer en fonction des seuls objectifs principaux qu’elles poursuivent. Pour tenir compte de cette mixité tout en parvenant à un 204. R. Musgrave, The Theory of Public Finance, 1959.

205. V. not. A. de Laubadère et P. Delvolé, Droit public économique, Dalloz, 5e éd., Coll. Pré-cis, 1986 ; P. Delvolvé, Droit public de l’économie, Dalloz, 1998 ; B. du Marais, Droit public de la régulation économique, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004 ; R. Moulin et P. Brunet, Droit public des interventions économiques, LGDJ, coll. Droit des affaires, 2007 ; J.-Y. Ché-rot, Droit public économique, Economica, coll. Corpus droit public, 2e éd., 2007 ; D. Linotte et R. Romi, Droit public économique, Litec, Manuel, 7e éd., 2012 ; S. Bernard, Droit public économique, Lexisnexis, Coll. Objectif Droit cours, 2e éd., 2013 ; S. Nicincski, Droit public des affaires, 4e éd., LGDJ, 2014 ; J.-Ph. Colson et P. Idoux, Droit public économique, LGDJ, 2014 ; L. Rapp et Ph. Terneyre, Droit public des affaires, Lamy, 2014.

résultat intelligible, on peut classer chaque politique publique dans le champ de l’action économique, uniquement « en tant » qu’elle poursuit un objectif économique.

„ La mutabilité de l’action économique

L’action économique des personnes publiques est par nature évolutive. Ainsi, son champ se rétrécit ou s’élargit selon que les effets des actions engagées sont positifs ou négatifs.

Si l’on pousse le raisonnement à l’extrême, une politique d’attractivité conduit à repenser toutes les politiques publiques ayant une incidence sur l’activité économique.

Il y a aussi de fortes inflexions liées à la conjoncture. Les situations de crise ont un impact considérable sur le champ de l’action économique des personnes publiques : des circonstances exceptionnelles peuvent en effet conduire à des extensions temporaires de l’action pour faire face aux nécessités du temps. Ce phénomène est particulièrement net depuis l’éclatement de la crise financière et des dettes souveraines de 2008, qui a conduit notamment à organiser le sauvetage de grandes institutions financières privées206 ou à ce que l’État entre au capital de grandes entreprises fragilisées au plan financier207.

1.3.2.2. Les enjeux d’une cartographie de cette action

„ L’esquisse d’un zonage en cercles concentriques

Si l’action économique des personnes publiques se diffuse dans un nombre toujours plus grand de politiques publiques, la dimension économique n’y est pas toujours aussi prégnante. Le critère de l’objectif économique permet ainsi de classer les politiques publiques selon la part plus ou moins grande qu’y occupent les préoccupations économiques. Il est alors possible de procéder à un zonage de l’action économique des personnes publiques autour de trois cercles concentriques.

Le premier cercle regroupe l’action relative aux entreprises et celle relative aux marchés.

L’action économique tournée vers les entreprises les accompagne tout au long de leur cycle de vie. Il s’agit d’abord des mesures en faveur de la création d’entreprise (promouvoir l’entreprenariat, inciter financièrement ou par des conseils à des créations, simplifier les formalités administratives), de la définition des règles relatives à la constitution de l’entreprise (sous forme individuelle ou de personne morale distincte, principalement les sociétés) ainsi qu’à son organisation et à son exploitation (baux commerciaux, fonds de commerce). Il s’agit ensuite des mesures prises en vue de l’aider à croître et à développer ses activités (régimes propres aux PME et ETI), à trouver les financements dont elle a besoin (bancaire ou par 206. V. not. la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le finance-ment de l’économie.

207. Entrée de l’État, via la SOGEPA, au capital de PSA Peugeot-Citroën en avril 2014, simul-tanément à l’entrée de Dongfeng. V. rapport relatif à l’État actionnaire, annexé au projet de loi de finances pour 2015, p.69.

les marchés financiers ; aides publiques à l’innovation et à l’investissement), à vendre et à exporter (soutien sur certains marchés, notamment à l’export). Il s’agit enfin des mesures prises pour l’aider à faire face à des difficultés (prévention et règlement à la fois par la définition d’un cadre juridique équilibré et par des fonctions de médiation et de soutien et des juridictions spécialisées) ou à perdurer sous d’autres formes ou avec d’autres acteurs (cessions, transmissions).

L’action générale relative aux marchés comprend quant à elle les règles concernant les produits (notamment pour définir ce qui est dans ou « hors du commerce » mais aussi pour les standardiser), les transactions (y compris la manière de les effectuer et de les garantir), les lieux d’échanges (marchés locaux, nationaux, aménagement commercial), le respect de la liberté des prix et de la concurrence et la protection des consommateurs. On peut y ajouter les actions relatives à l’organisation, au contrôle et à la promotion des échanges internationaux.

Le deuxième cercle de l’action économique des personnes publiques correspond plus directement aux actions mixtes, qui poursuivent des objectifs à la fois économiques et non économiques, mixité caractéristique du champ des actions et politiques sectorielles.

Il inclut d’abord la plupart des actions relatives aux secteurs dits « régulés » par des autorités indépendantes : banques, bourses, assurances, transport, énergie, communications électroniques et postes, audiovisuel, jeux en ligne. Bien que très largement économiques, ces régulations ne peuvent être réduites à ce seul aspect, les objectifs étant en réalité plus diversifiés que le simple fonctionnement harmonieux du marché, comme cela ressort d’ailleurs assez clairement de leurs textes statutaires.

Peuvent également être classées dans les activités mixtes, d’autres actions sectorielles dans des domaines où la dimension économique est significative sans être nécessairement dominante. C’est notamment le cas du secteur du logement (lié à la construction), du secteur sanitaire et social (industrie pharmaceutique, établissements privés à but lucratif) ainsi que des produits et marchés culturels, agricoles, de défense...

Si dans ces secteurs l’action des personnes publiques n’est pas d’abord guidée par des objectifs économiques, ceux-ci sont loin d’être accessoires.

Ces actions mixtes comprennent également les activités économiques conduites par les personnes publiques elles-mêmes. Il s’agit ainsi à la fois de la production de biens et services par les personnes publiques, les entreprises qu’elles constituent (entreprises publiques) ou qu’elles investissent de cette mission (délégations, marchés publics), et de la « consommation » de biens et services par les mêmes (marchés publics là encore). Dans la plupart des cas en effet, les personnes publiques ne mènent pas ces activités pour des motifs exclusivement économiques.

Le troisième cercle recouvre l’ensemble des actions qui ne poursuivent pas d’objectif économique mais dont l’impact économique peut être mesuré et pris en compte, comme source d’externalités positives ou négatives par le marché dans le cadre des politiques d’attractivité et de compétitivité.

Il s’agit par exemple de l’action en faveur de la qualité du système éducatif, du système de santé, des infrastructures, de l’environnement ou du rayonnement culturel du pays, mais aussi la simplicité, la prévisibilité et l’accessibilité du cadre administratif, juridique, fiscal et social (droit du travail notamment) indépendamment de celui spécifiquement applicable aux activités économiques. Les actions conduites en ces domaines ne poursuivent pas directement d’objectif économique, mais elles relèvent néanmoins de l’action économique des personnes publiques, en raison des incidences, positives ou négatives, qu’elles peuvent avoir sur l’attractivité et la compétitivité d’un territoire ou d’une Nation.

Mais ce troisième cercle n’est pas infini et n’a pas vocation à couvrir tous les champs de l’activité humaine. Tout n’est pas économique et le droit s’oppose à ce que certains domaines le deviennent, notamment lorsqu’il dispose que certaines matières ou activités sont « hors du commerce » (comme par exemple les produits du corps humains)208.

LE 3eCERCLE

Pas d’objectif économique, mais un impact en matière d’attractivité et de compétitivité (travail, éducation, recherche, infrastructures, environnement,

cadre administratif et juridique, pression fiscale…)

LE 2eCERCLE

Les actions mixtes dans les secteurs régulés (transports, énergie, banque…)

ou autres secteurs logement, santé, défense,

agriculture, culture…)

LE 1erCERCLE

Les actions relatives aux entreprises

et aux marchés

„ Préciser et partager ce zonage : un enjeu d’opérationnalité

Une telle cartographie de l’action économique des personnes publiques n’a d’intérêt que si elle présente un caractère suffisamment précis pour être opérationnelle. Elle doit aussi être partagée par les différents acteurs et pouvoir servir de référence lorsque l’on entend étudier et évaluer l’action économique des personnes publiques.

Si une telle cartographie n’existe pas à l’heure actuelle, son élaboration peut s’appuyer sur des démarches et travaux d’ores et déjà engagés.

208. V. not. G. Canivet, « Les contrats portant sur les choses hors commerce : l’exemple des contrats sur les organes humains », Actes du Cycle Droit, économie et justice, 25 septembre 2006.

Les travaux de l’INSEE seraient à l’évidence d’un grand secours compte tenu de sa capacité non seulement à recenser les activités économiques mais aussi à évaluer l’impact de l’action des personnes publiques sur ces activités avec les outils de la comptabilité nationale.

Les travaux de la direction du budget. Dans le cadre des dispositions de la loi organique sur les lois de finances (LOLF), le Gouvernement présente le budget de l’État à partir d’une cartographie générale de son action construite autour de missions, elles-mêmes divisées en programmes, lesquels sont subdivisés en actions. Il en va de même pour l’examen du « volet performance » de la dépense publique. L’appréciation des résultats obtenus pour chaque poste de dépense est faite en fonction notamment d’objectifs instruits sur la base d’indicateurs.

Cette cartographie générale pourrait servir de base à un travail consistant à isoler la dimension proprement économique au sein de chaque mission, programme et action du budget de l’État, avec le concours des administrations concernées.

Elle contribuerait à une prise de conscience ou au moins à une explicitation de la contribution de chaque activité des personnes publiques à l’économie, utile tant aux administrations qu’au Gouvernement, qui pourrait ainsi disposer d’une vision précise de ce que recouvre la politique économique de la nation.

Une telle démarche pourrait ensuite être appliquée aux personnes publiques agissant dans le cadre d’une décentralisation technique (établissements publics) ou territoriale (collectivités locales) ou bien être menée ab initio avec ces dernières pour disposer d’une grille conçue en commun.

Proposition n° 13 : Faire l’inventaire de l’action économique des personnes publiques

1) demander à l’INSEE et à la direction du budget de faire une cartographie précise de l’action économique des personnes publiques, le cas échéant, avec l’appui de France Stratégie et des inspections et corps de contrôle concernés ; 2) élaborer un document de référence permettant de disposer d’une vision d’ensemble de cette action.

Vecteur : action du Gouvernement (INSEE, France Stratégie, direction du budget, inspections et corps de contrôle)

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