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Un droit relativement équilibré

et dont il est possible de mieux tirer parti

2.2.1. Bien qu’imprégné par l’idée de marché, le droit de l’Union admet la légitimité d’une action économique des personnes

2.2.1.1. Un droit relativement équilibré

„ La « constitution économique » de l’Union et son évolution

Si l’on peut hésiter à parler de « constitution économique » pour la France, l’hésitation n’est pas permise pour les traités européens dont les dispositions relatives aux orientations et aux politiques de l’Union européenne ont pour objet et pour effet d’en fixer la constitution économique311, ce qui leur a été reproché lorsque ces éléments ont été formellement repris dans le projet de Constitution pour l’Europe.

La place de l’économie dans les traités est consubstantielle au projet européen.

Puisant son inspiration dans les « solidarités de fait » évoquées par la Déclaration Schuman du 9 mai 1950, l’Europe s’est construite par l’intégration économique des États membres avant comme après le Traité de Rome du 25 mars 1957312. 310. Le droit de l’Union européenne ne connaît pas de véritable équivalent dans les autres intégrations régionales, qu’il s’agisse par exemple de l’ALENA (Amérique du Nord), du Mer-cosur (Amérique du Sud), de l’ASEAN (Asie du Sud-Est)... Les règles instituées par ces traités n’ont qu’un impact limité sur l’action économique des personnes publiques dans les diffé-rents pays concernés.

311. G. Farjat, « La Constitution économique de l’Europe et le couplage droit-économie », La constitution économique de l’Union européenne, Editions Bruylant, septembre 2008. V. aussi H. Rabault, op. cit. V. P. Mbongo, op. cit.

312. C’est l’idée originelle de la CECA (Traité de Paris du 18 avril 1951) à laquelle, après l’échec de la démarche plus politique de la CED (Traité du 27 mai 1952, rejeté par l’Assemblée nationale

Le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 n’a pas remis en cause le caractère essentiellement économique de l’Union313. Dans ce contexte de construction progressive d’un marché sans frontières intérieures reposant lui-même sur la définition de règles communes, l’action économique propre des personnes publiques a pu être perçue comme remettant en cause les principes même du processus d’intégration européenne, tant dans leur fonction de réglementation de l’activité des acteurs économiques que lorsqu’elles agissent en tant qu’opérateurs de marché.

Les textes ont toutefois peu à peu évolué, notamment dans les objectifs qu’ils entendent poursuivre en tempérant la primauté du marché et de la concurrence qui pouvait ressortir des premiers traités. À la suite du débat qui a surgi sur la concurrence « libre et non faussée » auquel faisait référence le traité établissant une Constitution pour l’Europe314 et du rejet de ce projet lors du référendum du 29 mai 2005, les grands principes ont été réécrits, notamment à l’initiative de la France.

Les dispositions économiques des 8e et 9e considérants du Traité sur l’Union européenne (TUE) issues du Traité de Lisbonne suggèrent un nouvel équilibre qui se traduit à son article 3 : « 3. L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique ».

La concurrence est toujours un objectif, mais moins emblématique : la référence au « principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » est cantonnée dans les articles 119 et 120 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), celle à la concurrence « non faussée » dans le protocole n° 27 sur le « marché intérieur et la concurrence ».

„ Une place prépondérante mais pas exclusive de l’idée de marché

L’équilibre recherché dans les dispositions fondatrices des Traités est également présent dans les textes plus directement normatifs portant sur l’organisation du marché intérieur et sur les politiques de l’Union.

le 30 août 1954), les européens reviennent avec le Traité de Rome instituant la Communauté

« économique » européenne et le « marché commun », que l’Acte unique de 1986 a vocation à parachever (Traité de Luxembourg des 17 et 28 février 1986). Pour marquer l’élargissement de ses missions Au-delà du champ économique, la Communauté devient « européenne » (tout court) avec le Traité de Maastricht 7 février 1992 mais l’Union économique et monétaire en constitue l’apport essentiel. Le Traité de Nice (26 février 2001), plus institutionnel, ne revient pas sur cette orientation, que l’échec de la démarche politique de la Constitution européenne en 2004 (Traité de Rome du 29 octobre, rejeté par référendum en France le 29 mai 2005, puis par les Pays-Bas le 1er juin 2005) n’a fait que renforcer.

313. Le constat fait en 2003 par le professeur L. Idot selon lequel l’essentiel du droit matériel de l’Union est économique demeure vrai, v. « L’impact du droit communautaire sur le droit économique », colloque Le droit communautaire et les métamorphoses du droit, 2003.

314. Traité signé à Rome le 29 octobre 2004, article I-3, §3.

Pierre angulaire de la construction européenne, le marché intérieur repose sur les

« quatre libertés » rappelées à l’article 26 § 2 du TFUE qui constituent autant de limitations directes à l’action économique des personnes publiques.

La libre circulation des marchandises entre États membres s’oppose à tous droits de douane ou taxes d’effet équivalent, restrictions quantitatives et mesures d’effet équivalent315. La libre circulation des travailleurs impose l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres sur l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail316.

La liberté d’établissement317, la libre prestation de service318 et la libre circulation des capitaux319 affectent plus nettement encore la liberté d’action des personnes publiques. Les mesures que celles-ci peuvent adopter pour les besoins de leur action économique sont susceptibles de constituer des restrictions interdites par le traité, y compris si leur champ d’application est purement interne320. Mais de telles mesures sont admises lorsqu’elles sont justifiées par des motifs liés notamment à l’ordre public ou à la sécurité publique ou à d’autres motifs impérieux d’intérêt général321 : il s’agit donc d’une exigence de compatibilité conditionnée à des justifications sérieuses et non d’une interdiction.

Les politiques mentionnées par le traité se rattachent pour la plupart au marché intérieur et déclinent aussi le principe de libre concurrence tout en reconnaissant des objectifs propres d’intérêt général (transport, énergie, action régionale...), dont la mise en œuvre repose sur une action économique des États sur leur territoire.

Le droit dérivé définit pour chaque politique l’équilibre entre le libre jeu du marché et l’action économique des États. Les marges de manœuvre laissées à ces derniers dépendent alors des orientations de fond de ces textes mais aussi du degré d’harmonisation qu’ils ambitionnent.

„ Plusieurs articles du TFUE traitent de l’action économique des personnes publiques et lui confèrent ainsi une forme explicite de reconnaissance

Les aides d’État ne sont proscrites par le §1 de l’article 107 que « dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres » et si elles « faussent ou (...) menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Des exceptions existent par ailleurs en vertu du traité lui-même (§3) dont certaines de plein droit (§2). Parfois qualifiée de « véritable mise sous tutelle des politiques nationales d’aides aux entreprises »322, cette réglementation

315. Articles 28 et suivants du TFUE.

316. Articles 45 et suivants du TFUE.

317. Article 49 du TFUE.

318. Article 56 et suivants du TFUE.

319. Articles 63 et suivants du TFUE.

320. Les libertés de circulation sont en cause dès lors que ces mesures, sans viser spécifique-ment les autres États membres ou leurs ressortissants, peuvent avoir un effet sur ceux-ci.

321. Les motifs économiques en sont souvent exclus, contrairement au droit interne (V. not.

CJCE, 5 juin 1997, Ypourgos Ergasias, C-398/95).

322. J.-L. Clergerie, A. Gruber, P. Rambaud, L’Union européenne, 2014, n° 540.

ne préjuge cependant pas, par elle-même, de l’acceptabilité des aides par la Commission européenne, après débat contradictoire avec l’État concerné et sous le contrôle du juge européen.

S’agissant des entreprises publiques, la remise en cause de leur existence est exclue tant en raison de l’article 345 aux termes duquel « Les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres » que de la mention des entreprises publiques à l’article 106, tandis que ce même article ainsi que l’article 37 admettent le principe de l’attribution à ces entreprises de droits exclusifs ou spéciaux, y compris en matière commerciale.

Enfin, le TFUE fait désormais une large place aux services d’intérêt économique général (SIEG), qui ne figurent plus seulement parmi les valeurs communes de l’Union mais qui sont reconnus, depuis le Traité de Lisbonne, par des dispositions faisant corps avec le TFUE. Son article 14 prévoit en effet que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, de nature à leur permettre d’accomplir leurs missions. L’article 106 confirme l’application aux SIEG des règles de concurrence, mais seulement dans la mesure où elles ne font pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le protocole n° 26 spécialement consacré aux SIEG affirme enfin la liberté de création et d’organisation de ces services par les autorités nationales régionales et locales.

2.2.1.2. Des marges d’interprétation qui dépendent surtout de la manière

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