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Un droit prétorien historiquement modéré en matière économique

mais dont il ne faut pas sous-estimer les exigences pour l’action économique

2.1.1. Une constitution économique pondérée

2.1.1.2. Un droit prétorien historiquement modéré en matière économique

L’absence de véritable « constitution économique » en France tient surtout à l’approche modérée du juge constitutionnel, qui a de longue date veillé à ne pas opposer les normes constitutionnelles aux orientations de fond des politiques économiques des majorités successives.

„ Des bornes constitutionnelles assez éloignées

La modération du juge constitutionnel en matière d’action économique s’est notamment illustrée par l’attitude qu’il a adoptée face aux mouvements qui ont affecté la taille du secteur public. Sans doute cette présentation classique survalorise-t-elle un élément parmi d’autres du contentieux constitutionnel économique244, mais les limites fixées à ce sujet par le Conseil constitutionnel sont aujourd’hui encore les « butoirs ultimes » quant aux grandes évolutions du périmètre du secteur public et donc, quant à la place de l’initiative privée dans l’économie.

La limite haute de l’action économique des personnes publiques a été tracée à l’occasion de la décision sur les nationalisations245. Le Conseil constitutionnel a en effet affirmé que les nationalisations ne devaient pas avoir pour conséquence de conduire à une socialisation de l’économie telle qu’elle remettrait en cause la liberté d’entreprendre246.

244. P. Mbongo, op. cit.

245. Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982.

246. « Il existe un seuil de collectivisme au-delà duquel les gouvernants ne pourraient aller sans d’abord provoquer et obtenir une révision constitutionnelle » (G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, Thémis, PUF, Ed. 1992, tome 2, p. 640).

Symétriquement, lorsqu’il a examiné les privatisations votées par le Parlement en 1986, le Conseil constitutionnel, se fondant sur le 9e alinéa de la Constitution de 1946, a précisé ce que recouvraient les « services publics nationaux » et les

« monopoles de fait » insusceptibles de faire l’objet d’une privatisation247 et donc défini la limite basse du secteur public.

Mais ces butoirs se sont révélés eux-mêmes peu contraignants.

S’agissant des nationalisations, le contrôle de la « nécessité publique » susceptible de les justifier s’est montré beaucoup moins exigeant qu’en matière d’utilité publique des expropriations. Il n’a en effet porté que sur l’erreur manifeste d’appréciation et a laissé une marge importante quant au choix des entreprises concernées au regard du principe d’égalité, notamment en ce qui concerne l’exclusion des sociétés étrangères mais aussi l’inclusion des sociétés mutualistes248.

De même, s’agissant des privatisations, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne consacre comme réellement intangibles que les services publics dont la nécessité découle d’exigences constitutionnelles (police, justice, armée) et dont la privatisation n’a en tout état de cause jamais été envisagée. Quant aux services publics nationaux, le législateur peut les privatiser dès lors qu’il leur retire ce caractère et notamment leur monopole de droit. Enfin, la catégorie des monopoles de fait a été réduite à peu de chose par l’approche du juge constitutionnel, assez éloignée des méthodes d’analyse concurrentielles, même lorsqu’il a été confronté à la question des monopoles naturels249. Le 9e alinéa du préambule de 1946 a ainsi été largement « neutralisé » 250.

„ Des principes qui laissent une certaine liberté au législateur

A l’intérieur de ces bornes ultimes, le législateur garde une assez grande marge d’appréciation pour définir ce que doit être l’action économique des personnes publiques. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a en effet plutôt porté sur les modalités de mise en œuvre que sur les orientations de fond.

La liberté d’entreprendre occupe une place centrale et paradoxale.

Cette place centrale s’explique par le fait qu’il s’agit de l’unique composante du bloc de constitutionnalité propre au champ économique et qu’elle a été dégagée dans le contexte historique qui vient d’être rappelé. Elle a été regardée par la doctrine comme une liberté « première »251, « de portée générale »252, « la plus large et la plus haute de toutes les libertés économiques »253.

247. Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986.

248. B. Genevois, « Les nationalisations et privatisations », actes du colloque L’entreprise et le droit constitutionnel, CREDA du 26 mai 2010, p. 92 s.

249. Décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006.

250. V. A. Cartier-Bresson, « ‘Marché’, ‘concurrence’, ‘État actionnaire’. Dits, non dits et clairs obscurs constitutionnels », actes du colloque du 3 octobre 2008, La Constitution écono-mique de l’État, L’ordre constitutionnel éconoécono-mique, 1958-2008.

251. G. Carcassonne, op. cit.

252. S. Nicinski, Droit public des affaires, Montchrestien, 2014, n° 63.

253. P. Delvolvé, Droit public de l’économie, op. cit., n° 86.

Elle a néanmoins aussi été regardée comme une liberté incertaine, suscitant des interrogations tant sur ses sources textuelles dans la Déclaration de 1789 – on a cru pouvoir les trouver dans les articles 2 (propriété) et 4 (liberté) avant que seul ce dernier soit retenu254 – que sur ses liens avec d’autres libertés comme la liberté du commerce et de l’industrie. Elle est aujourd’hui parfois rapprochée du principe de libre concurrence (qui n’a pas lui-même valeur constitutionnelle255) et du principe de liberté contractuelle.

Mais c’est surtout sur le degré de protection dont elle bénéficie aux yeux du Conseil constitutionnel que porte le débat doctrinal. Initialement, le Conseil constitutionnel avait affirmé que cette liberté n’était « ni générale ni absolue » et ne pouvait

« exister que dans le cadre d’une réglementation instituée par la loi », et il bornait son contrôle à celui de l’erreur manifeste d’appréciation. Ce contrôle restreint est désormais limité aux cas où le législateur doit la concilier avec un autre principe ou objectif de valeur constitutionnelle, le juge constitutionnel effectuant un plein contrôle lorsque le législateur limite la liberté d’entreprendre en poursuivant un simple objectif d’intérêt général ne disposant pas d’une assise constitutionnelle256. Si d’autres principes fondamentaux régissent l’action économique des personnes publiques257, la jurisprudence constitutionnelle s’est montrée suffisamment flexible pour laisser des marges de manœuvre aux décideurs publics.

Il en va notamment ainsi du droit de propriété, qui couvre un champ important notamment pour les entreprises, encore accru par l’élargissement de la notion de patrimoine aux actifs immatériels. Selon une jurisprudence bien établie, les atteintes aux droit de propriété sont possibles, mais à la double condition, s’agissant des privations pures et simples de propriété, d’une nécessité publique légalement constatée et d’une juste et préalable indemnité. Les autres restrictions sont quant à elles possibles sous réserve qu’elles soient proportionnées à l’objectif poursuivi258.

De même, le principe de liberté contractuelle, dégagé progressivement259, joue un rôle considérable en matière économique, le contrat étant « pour l’entreprise, l’instrument privilégié de son activité, l’habit juridique de son organisation et de

254. La rédaction de la décision du 16 janvier 1982 avait pu faire croire qu’elle découlait au moins en partie du droit de propriété.

255. Le principe de libre concurrence peut en réalité converger avec la liberté d’entre-prendre ou prolonger le principe d’égalité, v. not. décision n° 2014-434 QPC du 5 décembre 2014, Société de laboratoires de biologie médicale Bio Dômes Unilabs SELAS ; v. en outre sur l’idée que la libre concurrence ait pu appartenir au bloc de constitutionnalité, D. Ribes, « La concurrence saisie par le droit constitutionnel français ? », note sous CC, décision n °2002-460 DC, RFDC 2003, p. 168.

256. V. R. Fraisse, op. cit.

257. Seules sont ici mentionnées les principales libertés en matière d’action économique.

258. V. pour une « codification » de cette jurisprudence, infra 2.1.3.2.

259. Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 la rattachant à la liberté de l’article 4 de la Déclaration, après un refus de la reconnaître dans sa décision n° 94-348 DC du 3 août 1994 et une première évolution dans sa décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997.

sa réalisation »260. Mais il n’est pas absolu et la jurisprudence autorise même la remise en cause des conventions légalement conclues dès lors que l’atteinte à la liberté contractuelle n’est pas excessive261.

Enfin, le principe d’égalité est très sollicité par l’action économique des personnes publiques, dans la mesure notamment où elle utilise des dispositifs ciblés sur des territoires ou des catégories d’activités ou de personnes, toutes formes de sélectivité qui suscitent des contentieux sur les distinctions ainsi opérées. Ce principe se décline en outre de manière spécifique dans certains domaines (égalité devant les charges publiques, égalité devant l’impôt, égal accès à la commande publique...). Selon une jurisprudence constante, le législateur ne méconnaît pas le principe constitutionnel d’égalité lorsqu’il règle de façon différente des situations différentes, ni même lorsqu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, dès lors qu’à chaque fois, la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l’objet de son intervention.

2.1.2. Un contrôle de constitutionnalité a priori très présent

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