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L’émergence d’un levier budgétaire propre de l’Union européenne

économique nationale

1.1.3. L’émergence d’un levier budgétaire propre de l’Union européenne

1.1.3.1. L’esquisse d’une utilisation du budget de l’Union européenne à des fins de stabilisation

„ Les limites économiques de l’unification monétaire sans budget central

La théorie des zones monétaires optimales (ZMO) fait dépendre leur cohésion de la mobilité des facteurs de production, notamment celle des travailleurs ; à défaut, une capacité budgétaire « centrale » peut jouer un rôle de palliatif79.

La faible mobilité des travailleurs au sein du marché unique européen, comparée à celle de bien d’autres zones monétaires, n’est cependant pas compensée par la capacité budgétaire propre de l’Union européenne. Celle-ci finance le fonctionnement des institutions ainsi que des interventions de soutien à l’économie (V. infra), mais son volume, de l’ordre de 1 % du PIB de l’Union, est sans commune mesure tant avec celui de la dépense publique au sein des États membres (près de 45 % en moyenne) qu‘avec celui des budgets centraux des systèmes fédéraux (27 % aux États-Unis)80. L’Union européenne ne dispose donc pas aujourd’hui des capacités qui lui permettraient de jouer le rôle de stabilisateur budgétaire de la zone euro.

Cette option a été très tôt assumée par les promoteurs de l’Union économique et monétaire. J. Delors relevait ainsi en 1989 que : « Le fait que le budget communautaire soumis à une gestion centrale ne représentera sans doute qu’une très faible partie des dépenses totales du secteur public et que l’essentiel de ce budget ne pourra pas être utilisé pour des ajustements conjoncturels signifie que la tâche qui consiste à déterminer une orientation budgétaire pour l’ensemble de la Communauté devra être accomplie par la coordination des politiques budgétaires nationales » 81. Mais le renforcement de la coordination des politiques budgétaires des États ne permet pas de corriger les asymétries internes de la zone82 et la perspective de la conduite d’une politique macroéconomique plus intégrée, avec notamment la création d’un « Trésor européen », reste encore assez lointaine83. L’idée a alors germé de compléter le cadre de coordination par un levier budgétaire propre de l’Union pouvant agir de manière contracyclique. Les travaux sur ce sujet

79. R. Mundell, « A theory of optimum currency areas », American economic review, 1961.

80. « Un budget pour la zone euro », Trésor-Eco, n° 120, octobre 2013.

81. Rapport du 12 avril 1989, L’Union économique et monétaire dans la Communauté euro-péenne.

82. Cette coordination a conduit à des politiques restrictives pro-cycliques pour les pays en crise et la complexité et le manque de réactivité de ces mécanismes ne permettent pas de leur faire jouer le même rôle que celui du levier budgétaire central dans un système fédéral (Trésor-éco, op. cit.).

83. Elle est cependant explicitement mentionnée dans le rapport des cinq présidents du 22 juin 2015 précité, point 5.

suggèrent aussi une mutualisation des dettes publiques84 et un meilleur équilibre avec la politique monétaire85. Malgré le regain d’intérêt qu’ils ont suscité après la crise de 2010, seuls des dispositifs d’urgence ont été mis en place.

„ L’amorce de dispositifs financiers de stabilisation limités aux cas de crises Le Traité se bornant à énoncer le principe de l’absence de solidarité juridique entre l’Union et les États ainsi qu’entre États, sans interdire les mécanismes volontaires d’entraide en cas de difficulté, le sommet de Bruxelles du 9 mai 2010 a institué, sur le fondement de l’article 122 §2 du TFUE, le fonds européen de stabilité financière assorti d’un règlement sur le mécanisme européen de stabilité financière, équivalent à ce qui existait hors zone euro. La décision du Conseil européen du 25 mars 2011 ajoutant à l’article 136 du TFUE un troisième paragraphe, a substitué à ce premier dispositif le Mécanisme européen de stabilité (MES), conçu comme une institution financière internationale selon un schéma intergouvernemental assez proche du TSCG qui s’en est inspiré86.

Un second mécanisme qui s’adresse aux banques est destiné à les protéger contre de nouveaux effets de contagion aux dettes souveraines (« Backstop ») : le fonds de résolution unique institué par le Règlement du 15 juillet 2014 dans le cadre de l’Union bancaire87. S’il ne constitue pas un levier budgétaire européen, puisqu’il est financé par des contributions du secteur bancaire, il partage avec le MES la logique d’une ressource financière massive, prélevée pour assurer la solidarité au sein de la zone, afin d’en assurer la stabilité.

„ La perspective encore lointaine d’un budget de stabilisation hors crise

Dans le contexte de sortie de la crise financière, le Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 a demandé, sur la base d’un rapport intermédiaire d’H. Von Rompuy, un rapport sur l’édification d’une véritable union économique et monétaire.

Remis le 5 décembre 2012, ce rapport préconise de doter l’Union européenne d’une capacité budgétaire propre susceptible d’absorber les chocs conjoncturels88. Parallèlement, la précédente Commission européenne a remis un « blueprint », sous forme de communication relative à un « Projet détaillé pour une Union économique et monétaire véritable et approfondie : Lancer un débat européen »89, dans laquelle elle examine les modalités concrètes, y compris juridiques, de la création d’une telle capacité. Cette démarche a reçu un accueil favorable du 84. F. Allemand, « La faisabilité juridique des projets d’euro-obligations », RTDE, 2012, p. 553.

85. Trésor-éco, op. cit.

86. Décision du Conseil européen (2011/199/UE) du 25 mars 2011. Cette création a été vali-dée, au regard du droit de l’Union, par l’arrêt Pringle du 27 décembre 2012 (CJUE, Ass. Plén., 27 novembre 2012, C-370/12), qui a jugé qu’elle n’interférait pas avec la politique monétaire et ne conférait pas de nouvelle compétence à l’Union européenne.

87. Règlement (UE) n° 806/2014 établissant le Mécanisme de résolution unique (MRU).

88. Rapport du président du Conseil européen Vers une véritable Union économique et mo-nétaire, 5 décembre 2012.

89. Projet détaillé de la Commission européenne pour une Union économique et monétaire véritable et approfondie : Lancer un débat européen, (COM 2012/777) du 28 novembre 2012.

Parlement européen ainsi qu’en France, de l’Assemblée nationale90 et du Sénat91. Elle a été reprise à son compte par la Commission européenne issue des élections de 2014 dans une note d’analyse du 12 février 2015, de même que par les cinq présidents dans leur rapport du 22 juin déjà mentionné.

Celui-ci propose un « mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro » dont l’objectif « ne serait pas de chercher activement à ajuster le cycle économique dans la zone euro, mais d’atténuer les effets des chocs macroéconomiques de grande ampleur et ainsi, de rendre l’UEM globalement plus résiliente »92. Il servirait ainsi à prévenir les crises et à repousser la perspective d’avoir à mobiliser les mécanismes d’urgence comme le MES.

La France a toujours été à l’avant-garde des évolutions de la zone euro et aurait tout intérêt à expertiser dès maintenant les modalités et les conséquences d’une éventuelle capacité budgétaire propre de l’Union européenne93.

Proposition n° 4 : Expertiser les conditions et les conséquences, en matière financière et juridique, d’une éventuelle capacité budgétaire propre de l’Union.

Vecteur : action du Gouvernement (SGAE et ministre des finances et des comptes publics) 1.1.3.2. La montée en puissance des interventions financières de soutien à l’économie

„ Une mobilisation audacieuse des fonds et programmes spécifiques

Les cinq « fonds structurels et d’investissement européens » (FSIE)94 sont désormais mobilisés dans une stratégie unique, dite « Europe 2020 », propre à mettre leur emploi en cohérence avec les objectifs de politique économique de l’Union95. 90. L’Assemblée nationale a même invité le Conseil européen à être « plus ambitieux dans les projets d’approfondissement de l’Union économique et monétaire, avec comme pers-pectives de moyen terme (...) la mise en place d’une capacité budgétaire jouant un rôle contracyclique, la possibilité d’émettre de la dette en commun et la création d’un Trésor européen ». Résolution de l’Assemblée nationale n° 204 du 11 août 2013 sur l’approfon-dissement de l’Union économique et monétaire (confirmée par la résolution n° 284 du 30 janvier 2014 sur les progrès de l’union bancaire et de l’intégration économique au sein de l’Union économique et monétaire).

91. Le Sénat a préconisé qu’à terme le budget de la zone euro soit doté « d’un financement significatif », Résolution européenne du Sénat n° 73 (2013-2014) du 4 février 2014 sur l’ap-profondissement de l’Union économique et monétaire.

92. Rapport des cinq présidents du 22 juin 2015 précité, point 4.2.

93. Les orientations exprimées par le Président de la République le 14 juillet 2015 sur le

« gouvernement économique de la zone euro » vont en ce sens. V. également la contribu-tion de Christian de Boissieu, infra p. 245.

94. Ils regroupent le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social européen (FSE), le Fonds de cohésion (FC), le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).

95. Leur emploi est décidé dans le cadre d’accords de partenariat entre la Commission et les États, celui de la France ayant été adopté le 8 août 2014. Conformément aux dispositions de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, leur gestion sera transférée aux régions (v. infra 3.1.2.2).

D’autres dispositifs ont été développés plus récemment, comme par exemple les programmes « horizon 2020 » en faveur de la recherche et de l’innovation et

« COSME », programme pluriannuel européen pour la compétitivité des entreprises et des PME doté d’un budget de 2,3 milliards d’euros pour la période 2014-2020 et qui tend à promouvoir l’accès des PME au financement et aux marchés ainsi que la promotion de l’entrepreneuriat.

Par la conjugaison de ces différents mécanismes, l’Union parvient à promouvoir, avec des ressources non négligeables, des secteurs ou des projets qu’elle juge prioritaires au regard de ses objectifs économiques.

„ Une mobilisation nouvelle sur l’investissement

Jusqu’à une période très récente, les investissements de niveau européen étaient d’abord l’affaire des États qui financent la Banque européenne d’investissement (BEI), même si les projets soutenus par la BEI doivent s’inscrire dans les objectifs essentiels de l’Union.

Avec le Fonds européen d’investissement stratégique (FEIS) dont la nouvelle Commission européenne a annoncé la création (proposition de règlement du 13 janvier 201596), l’Union européenne disposera désormais d’une importante capacité propre de financement des investissements97. Elle lui permettra de mener sa propre politique d’investissement direct : si la BEI joue dans ce dispositif le rôle de financeur et d’expert, la responsabilité du plan incombe bien à l’Union européenne.

„ L’articulation avec les programmes nationaux

La Commission a invité les États à compléter par des contributions volontaires les ressources prévues par le « plan Juncker » pour le Fonds européen d’investissement stratégique afin d’accroître son effet de levier. Elle s’est engagée à ne pas comptabiliser ces contributions dans les objectifs de dépense de ces États98. La France a indiqué qu’elle répondrait favorablement à cette invitation par l’intermédiaire de la BPI et de la CDC, c’est-à-dire non pas en abondant directement le fonds, mais en complétant le financement des projets qui auront bénéficié de ressources du FEIS, ce qui lui permet de veiller à la bonne articulation de ce dernier avec ses propres objectifs nationaux99.

96. Communication COM 2015 (10) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques et modifiant les règle-ments (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013.

97. Les montants annoncés s’élèvent à 315 milliards d’euros, dont 75 milliards pour les PME et les entreprises de moyenne capitalisation et 240 milliards pour les investissements à long terme. Le plan est fondé sur un effet de levier assez ambitieux de 1/15, permettant de n’abonder le Fonds qu’à hauteur de 21 milliards (dont 16 pour constituer la garantie de l’Union, sur ses ressources) et 5 milliards apportés par la BEI.

98. Communication du 13 janvier 2015 précitée.

99. Ce qui a pu être interprété comme la volonté de ne faire bénéficier ces fonds supplé-mentaires qu’à des projets suivis par la BPI et la CDC, c’est-à-dire des projets essentiellement français, alors qu’un abondement direct du FEIS aurait pu profiter à des projets sans lien direct avec la France.

Cette articulation doit se faire en priorité avec le dispositif des investissements d’avenir pilotés par le commissaire général à l’investissement, plan dont l’inspiration est très proche de celle du plan Juncker100. À cette fin, l’adjoint au commissaire général à l’investissement a été désigné comme coordonnateur du plan Juncker pour la France. Une doctrine d’emploi de chaque dispositif a par ailleurs été esquissée par le commissaire général à l’investissement, selon la taille des projets, leur objet, les instruments financiers utilisables…101.

La tâche de veiller à la meilleure complémentarité possible entre ces deux dispositifs et, Au-delà, avec les dispositifs d’investissements nationaux, constitue le prolongement naturel des missions de coordination qui viennent d’être confiées au Commissariat général à l’investissement. Elle pourrait être explicitée dans les textes.

Proposition n° 5 : Veiller à la complémentarité du plan d’investissement européen avec les plans et dispositifs d’investissements nationaux en complétant les missions du Commissariat général à l’investissement à cet effet.

Vecteur : décret d’organisation du CGI (Commissariat général à l’investissement)

1.2. L’action économique des personnes publiques,

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