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La force d’attraction d’autres types de règlement des litiges

et dont il est possible de mieux tirer parti

2.3. Un bloc de légalité favorable à une action économique des personnes publiques soumise

2.3.3. Un contrôle juridictionnel de plus en plus approfondi 1. Une action économique de plus en plus portée devant le juge

2.3.3.2. La force d’attraction d’autres types de règlement des litiges

„ La place croissante du juge répressif

L’action économique des personnes publiques fait peser, sur les agents publics qui l’exercent, un risque de répression non négligeable.

Une répression spécifique et originale a été mise en place, à partir de 1948, avec la création de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), compétente pour juger les manquements commis par les ordonnateurs451 et dont la procédure a été récemment jugée conforme à la Constitution452.

Le champ des justiciables, particulièrement large, couvre l’ensemble des agents des personnes publiques mais aussi des représentants des organismes soumis au contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, c’est-à-dire notamment les entreprises publiques et les organismes bénéficiant de concours financiers publics. L’essentiel de l’action économique des personnes publiques453 est susceptible de donner lieu à des poursuites devant la CDBF au titre de l’exécution des recettes et dépenses ou de la gestion des biens454, des avantages injustifiés procurés à autrui455 ou d’agissements ayant causé un préjudice grave à une entreprise publique456. Tout manquement à une « règle » quelle qu’en soit la nature (règle budgétaire, mais aussi du droit de la commande publique ou encore du droit des sociétés par exemple) est en outre susceptible de constituer une infraction.

Le caractère extensif des incriminations a contrasté avec la parcimonie des poursuites engagées pendant de nombreuses années. Le nombre de saisines a connu toutefois une nette augmentation en 2014 du fait notamment de « la plus grande sensibilisation des chambres de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes à la saisine de la CDBF »457.

451. Loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, codifiée aux articles L.311-1 et suivants du code des juridictions financières. L’exécution de la dépense, relève quant à elle des comptables, justiciables de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes.

452. Décision n° 2014-423 QPC du 24 octobre 2014.

453. À l’exception de celles n’ayant aucun impact financier comme les activités normatives, les déclarations publiques ou certaines mesures d’accompagnement.

454. Article L. 313-1 à L. 313-4 du code des juridictions financières.

455. Article L. 313-6 du code des juridictions financières.

456. Article L. 313-7-1 du code des juridictions financières.

457. Rapport d’activité de la CDBF pour 2014 (février 2015), p. 6.

Avec un champ plus étroit mais des enjeux symboliques et pratiques plus lourds, l’action économique des personnes publiques est également susceptible de donner lieu à des poursuites pénales, soit contre les personnes morales de droit public (à l’exception de l’État458) soit, plus fréquemment, à l’encontre des agents à l’origine de l’infraction.

Plusieurs incriminations du code pénal concernent spécifiquement l’action économique des personnes publiques ou y sont mises en œuvre à titre principal.

C’est notamment le cas des manquements au devoir de probité comme la prise illégale d’intérêt459 ou encore du délit dit de « favoritisme » en matière de marchés publics ou de délégation de service public460.

D’autres infractions peuvent être commises par les personnes publiques et leurs agents lorsqu’elles agissent comme des opérateurs économiques (par exemple, en matière d’abus de biens sociaux461) ou non (par exemple, en matière de divulgation de fausse information sur les marchés financiers462).

Le principal attrait de la voie répressive pour les entreprises plaignantes est de les dispenser de la charge de la preuve des infractions commises par les personnes ou agents publics, qui pèse sur l’autorité de poursuite463. Le succès de la démarche présente en plus l’attrait symbolique d’une véritable « condamnation ». Elle peut ainsi, compte tenu de ces différents avantages par rapport aux autres voies de droit ouvertes aux opérateurs, faire partie d’une stratégie contentieuse par « le dépôt de plainte » ou une dénonciation.

Mais en matière pénale plus encore qu’en matière disciplinaire, la mise en jeu de ces voies de droit doit conserver un caractère exceptionnel. Le juge répressif n’est en outre pas toujours le mieux placé pour se prononcer sur l’action économique des personnes publiques, dont on a déjà souligné les pièges et les aspérités techniques.

Cependant la voie d’une dépénalisation, déjà explorée avec un succès mitigé dans le cadre de la vie des affaires464, serait sans doute encore plus difficile à faire accepter pour les agents publics, compte tenu de l’exemplarité dont ils doivent faire preuve.

La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel appliquant le principe « non bis in idem » au cumul des sanctions administratives et pénales pourrait également conduire à un réexamen des cas dans lesquels le maintien d’une incrimination se justifie465.

Il faut en tout état de cause faire confiance aux autorités de poursuite pour rechercher le meilleur équilibre par une mise en œuvre mesurée de ces procédures répressives, étant précisé qu’en matière pénale, la constitution de parties civiles limite les marges d’appréciation sur l’opportunité des poursuites.

458. Article 121-2 du code pénal.

459. Articles 432-12 et 432-13 du code pénal.

460. Article 432-14 du code pénal.

461. Articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce.

462. Article L. 465-2 du code monétaire et financier.

463. V. not. B. Warusfel, « Le droit économique et ses juges », Rue St-Guillaume, n° 152, 2008.

464. V. le rapport du 20 février 2008 du groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon.

465. Décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015.

„ L’attrait des modes alternatifs de règlement des litiges

Le recours à l’arbitrage suppose d’autoriser les personnes publiques à recourir à des juges privés, ce qui ne va pas de soi, même en matière d’action économique.

A l’heure actuelle, la règle demeure la prohibition du recours à l’arbitrage des personnes publiques466, même si des dérogations de plus en plus nombreuses ont été prévues en droit interne pour l’autoriser au profit de certaines entités ou dans certaines matières467. Des conventions internationales prévoient de plus en plus souvent le recours à l’arbitrage pour les besoins d’une opération particulière468. Il doit être souligné que la transformation en société anonyme d’entreprises publiques instituées sous forme d’établissement public les soustrait par voie de conséquence à la prohibition de principe du recours à l’arbitrage, comme cela a été le cas de La Poste469.

Certaines réflexions conduites sur ces questions ont conclu à l’intérêt d’élargir encore le recours à l’arbitrage pour les personnes publiques tant pour les contrats internationaux que dans les opérations purement internes470. Il arrive que des élargissements ponctuels soient décidés471. Cependant, au regard des intérêts en cause et des graves mécomptes observés à l’occasion de certaines procédures, le Conseil d’État recommande la plus extrême circonspection à l’égard de l’extension du champ d’application de l’arbitrage dans les litiges impliquant directement ou indirectement des intérêts publics. En tout état de cause, l’arbitrage ne saurait permettre de se soustraire à l’application des lois d’ordre public472.

466. CE, avis n° 339710 du 6 mars 1986 : « II résulte des principes généraux du droit public français, confirmés par les dispositions du premier alinéa de l’article 2060 du Code civil que, sous réserve des dérogations découlant de dispositions législ atives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales incorporées dans l’ordre juridique interne, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui dé-terminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties et qui se rattachent à des rapports relevant de l’ordre juridique interne » (EDCE 1987, n° 38, p. 178).

467. Ces dérogations sont rappelées à l’article L. 311-6 du code de justice administrative.

D’autres dérogations ont par ailleurs été prévues pour les contrats de partenariat (art. 11 de l’ordonnance du n° 2004-559 du 17 juin 2004) ou la construction ou la rénovation d’en-ceintes sportives ainsi que pour les équipements connexes destinés à accueillir l’UEFA Euro 2016 (art. 3 de la loi n° 2011-617 du 1er juin 2011).

468. Comme le tunnel du Mont Blanc (convention franco-italienne du 14 mars 1953) ; le tunnel sous la Manche (traité de Cantorbéry du 12 février 1986) ou le Musée universel d’Abou d’Abi (accord du 6 mars 2007).

469. Le 6° de l’article L. 311-6 du CJA est désormais dépourvu d’effet utile de ce point de vue.

470. V. not. l’étude du Conseil d’État, Régler autrement les conflits : conciliation, transaction, arbitrage en matière administrative, 4 février 1993 ; groupe de travail présidé par D. Labe-toulle sur l’arbitrage, 13 mars 2007 ; rapport établi par M. Prada sur Certains facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la place de Paris, mars 2011.

471. V. not. la proposition de loi n° 2887 du 19 octobre 2010 de P. Clément sur l’arbitrage des différends impliquant des personnes publiques, qui n’a jamais été examinée. Des disposi-tions étendant le recours à l’arbitrage aux marchés de partenariat conclus par les personnes publiques, sous la condition d’application de la loi française, sont instituées par l’article 90 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

472. V. par ailleurs la décision du Tribunal des conflits du 17 mai 2010, INSERM c/ Fonda-tion Sausgstad, n° C 3754 qui se prononce pour la compétence de la juridicFonda-tion administra-tive pour connaître des recours contre les sentences arbitrales impliquant le contrôle de la conformité à certaines règles impératives du droit public français (notamment occupation

Le développement des modes non juridictionnels de règlement des litiges, y compris devant la juridiction administrative, parait de nature à sécuriser l’action économique473.

La conciliation, prévue à l’article L. 211-4 du code de justice administrative, a été étendue aux cours administratives d’appel, tandis qu’étaient introduites aux articles L. 771-3 et suivants du même code des dispositions propres à la médiation dans les différends transfrontaliers. Le recours à ces procédés, particulièrement en matière d’action économique, gagnerait à se développer474. Une clarification de l’objet et du champ propres de ces deux dispositifs et la définition de règles plus précises, notamment quant à leurs effets sur les délais de recours contentieux, pourraient y contribuer475.

Il faut également encourager le recours à la transaction, soit comme issue d’une médiation ou d’une conciliation réussie, soit directement après des échanges entre les parties elles-mêmes sans intervention d’un tiers. Plusieurs circulaires du Premier ministre rappellent l’intérêt de cette procédure476, notamment en matière d’action économique des personnes publiques, comme en témoigne encore dans la période récente le règlement de l’affaire Ecomouv.

Proposition n° 31 : Développer les modes alternatifs de règlement des litiges économiques, notamment devant la juridiction administrative en clarifiant l’objet et le champ des deux dispositifs actuellement en vigueur dans le code de justice administrative en matière de médiation et de conciliation et en précisant les règles qui s’y appliquent, notamment quant à leurs effets sur leurs délais de recours contentieux.

Vecteur: loi (SGG, ministre de la justice, Conseil d’État) 473. Le recours administratif préalable obligatoire relève de la même logique en imposant un dialogue préalable entre l’administration et le requérant. Il présente l’intérêt de pouvoir être mis en œuvre dans des matières touchant à l’ordre public et aux prérogatives de puissance publique pour lesquelles le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges n’est pas possible. V., sur les enjeux des RAPO, le rapport du Conseil d’État, Les recours administratifs préalables, La documentation Française, 2008 ; un cadre de droit commun des RAPO a depuis lors été introduit par l’article 14 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit et des procédures à l’article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 et aux articles 19-2 et 20-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000.

474. V. en ce sens, les actes du colloque du 17 juin 2015 organisé à Paris sur la médiation et la conciliation devant la juridiction administrative, Ed. L’Harmattan, à paraître.

475. Des dispositions en ce sens sont prévues dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle. Les difficultés d’articulation de ces deux corps de règles s’expliquent probablement par le fait que des modifications ont été introduites en 2011 par deux textes ayant cheminé parallèlement. La modification de l’article L. 211-4 sur la conciliation a été introduite par la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 tandis que les dispositions de l’article L. 771-3 et suivants du CJA sur la médiation dans les différends transfrontaliers sont issues de l’ordon-nance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 prise sur le fondement de l’habilitation figurant à l’article 198 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 pour transposer la directive 2008/52/

CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (V.

par ailleurs, sur ces questions, le rapport du Conseil d’État, Développer la médiation dans le cadre de l’Union européenne, 29 novembre 2010).

476. V. en dernier lieu, circulaire du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits (JO du 8 avril 2011).

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