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Mieux prendre en compte le droit de l’Union dans la conception de l’action économique des personnes publiques

et dont il est possible de mieux tirer parti

2.2.2. Un droit dans l’élaboration duquel il est utile de s’investir et qui doit être mieux pris en compte dans la conduite de l’action

2.2.2.2. Mieux prendre en compte le droit de l’Union dans la conception de l’action économique des personnes publiques

„ Le droit de l’Union est pris en compte trop tardivement dans l’action économique

Alors que les pays comme la Belgique et l’Allemagne tirent parti des opportunités ouvertes par les mécanismes et les libertés institués par le droit européen en les prenant en compte pour concevoir leur politique économique, il n’en va pas de même en France où ce droit est pris en compte trop en aval.

Ce travers a des conséquences néfastes en matière économique. Lorsque le dialogue intervient trop tard, il ne peut plus être que la phase officieuse d’une confrontation qui deviendra rapidement officielle et accréditera l’idée d’un problème général de 346. Par ex., la création d’un secteur « PF » pour « Présence française » au SGAE.

347. V. par ex. le rapport d’information de M. J. Floch, du 12 mai 2004, fait au nom de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, n° 1594.

compatibilité de l’action économique des personnes publiques françaises avec le droit de l’Union. Il peut aussi avoir de lourdes conséquences financières, comme l’illustrent actuellement les problèmes rencontrés dans la récupération des aides de la SNCM348 ou le domaine du rachat de l’électricité d’origine éolienne349. Comme en matière constitutionnelle, il faut se donner les moyens d’un examen préalable du risque conventionnel pesant sur l’ensemble des dispositions ayant un impact économique et ce, le plus en amont possible de la préparation des mesures.

Proposition n° 23 : Procéder à un examen approfondi du risque conventionnel que peuvent receler des dispositions ayant un impact économique, notamment celles figurant dans des propositions de loi ou dans les amendements aux projets et propositions de loi ; en cas de difficulté particulière, saisir le Conseil d’État.

Vecteur : action du Gouvernement ; saisine du Conseil d’État (SGG, SGAE, ministères concernés, Conseil d’État) Au-delà, il faut cesser de vivre le droit de l’Union comme un élément extérieur, une « contrainte » étrangère à la conception des projets. L’appropriation du droit européen dès la réflexion initiale sur la conception d’une action économique est affaire de réflexe, de culture ou de mentalité, toutes choses difficiles à faire évoluer sans mesures organisationnelles substantielles.

„ Repenser l’organisation des administrations et la formation des agents

L’un des ressorts essentiels du sentiment d’extériorité qu’inspire le droit de l’Union est sa prise en charge par des structures dédiées, qui dans certains ministères ont le statut de direction ou de service350. Souvent de grande qualité, elles ont néanmoins comme effet pervers de nourrir un manque d’intérêt en amont d’administrations qui ne se sentent plus responsables des questions européennes dans leur champ de compétence. Revenir chaque fois que c’est possible sur ce type d’organisation permettrait de faire percevoir la question du droit européen comme partie intégrante des missions de chaque agent, en particulier de ceux concevant des dispositifs d’action économique. Seuls des pôles d’expertise légers seraient maintenus pour traiter des questions européennes transversales, nouvelles ou délicates. Composés de « correspondants Union », ils pourraient être organisés en réseau, à l’image de ce qui se pratique au Royaume-Uni en matière d’aides d’État.

Au niveau interministériel, la séparation et l’absence de lien organique entre le SGAE (chargé de la coordination européenne) et le SGG (chargé de la coordination générale) peut se justifier par des métiers, des méthodes de travail et des réseaux 348. CJUE, 4 septembre 2014, SNCM / Corsica Ferries France, C-533/12 P, C-536/12 P.

349. Elles soulèvent de délicates questions de récupération à la suite de la décision du 28 mai 2014 par laquelle le Conseil d’État a annulé les arrêtés du 17 novembre 2008 et du 23 décembre 2008 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations éoliennes (CE, 28 mai 2014, Association Vent de Colère, n° 324852).

350. V. par ex., la direction des affaires européennes et internationales du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ou encore le service des affaires euro-péennes et internationales du ministère de la justice.

très différents. Il serait souhaitable que le SGAE vienne en appui du SGG pour l’animation de ce réseau des « correspondants Union ».

La formation des agents au droit européen doit par ailleurs être renforcée.

La formation initiale en la matière a fait de nets progrès dans les écoles d’administration mais elle reste centrée sur le droit institutionnel de l’Union.

L’enseignement reste lacunaire sur le droit matériel économique et tout particulièrement le droit des aides d’État qui devrait être au programme dans les écoles généralistes (ENA, INET, IRA, CNFPT).

Pour une mise à niveau rapide des agents, un effort sur la formation continue est sans doute souhaitable. Des « modules » très opérationnels en droit des aides d’État et plus généralement en droit matériel seraient précieux. Des agents du SGAE et des directions juridiques des ministères pourraient être mobilisés pour organiser des formations dans un cadre ministériel ou interministériel, à la manière de ce qui a pu être fait ces dernières années en matière de légistique.

Déjà mentionnés, des échanges d’agents entre les administrations des personnes publiques françaises et les institutions européennes, outre l’intérêt qu’ils représenteraient en termes d’influence du modèle français à Bruxelles, auraient le mérite de diffuser la culture européenne dans les administrations.

Proposition n° 24 : Favoriser une diffusion de l’expertise européenne dans les administrations et son fonctionnement en réseau :

1) mettre en place, au sein des ministères, des pôles d’expertise légers composés de « correspondants Union » plutôt que de grands services spécialisés dans les questions européennes afin de responsabiliser davantage les administrations et leurs agents aux enjeux européens ; les organiser en réseau animé par le SGG avec l’appui du SGAE ;

Vecteur : décrets et arrêtés d’organisation des ministères (la mesure pouvant être utilement étendue, de manière volontaire, dans les AAI, les entreprises publiques et les collectivités locales) ; circulaire du Premier ministre (Premier ministre, ministres concernés, SGG en liaison avec le SGAE) ; 2) organiser, dans un cadre ministériel et interministériel, des formations opérationnelles en droit des aides d’État, en formation initiale dans les écoles de fonctionnaires et en formation continue au profit des administrations elles-mêmes.

Vecteur : action du Gouvernement ; (DGAFP, réseau des écoles de service public, ministres)

„ Rendre plus clair et plus accessible le droit de l’Union

Si la diffusion du « réflexe européen » dans les services et chez les agents conditionne l’appropriation nécessaire du droit de l’Union dès la conception des actions économiques des personnes publiques, les exigences concrètes qui en découlent doivent aussi pouvoir être comprises par les personnes publiques.

La difficulté tient d’abord aux particularismes du droit européen, caractérisé par la diversité des sources (Traités, directives, règlements, actes d’exécution), la place qu’y occupe le droit souple (lignes directrices, communications interprétatives) et le foisonnement de la jurisprudence européenne et nationale, qui ne facilitent pas la compréhension de ce droit. Les mesures adoptées par la Commission européenne dans le cadre de son action « Mieux légiférer », dont elle a annoncé le renforcement le 19 mai 2015351, pour indispensables qu’elles soient, ne réduiront pas fondamentalement cette complexité inhérente au droit européen.

Il reste possible d’améliorer l’accessibilité du droit de l’Union pour les administrations, par des ressources permettant d’identifier et de consulter les informations pertinentes sur l’ensemble des règles applicables à un secteur ou une question donnée. Elles sont aujourd’hui éparpillées sur plusieurs sites y compris sur internet (Eur-lex et Légifrance)352 de sorte que l’unification des portails de sites et bases de données européennes ne suffirait pas. Il faudrait au moins créer des portails thématiques sous l’égide des services concernés, dont un portail dédié aux aides d’État (d’ailleurs prévu par le règlement européen d’exemption par catégories). Des guides plus didactiques compléteraient utilement cette offre, à la manière de celui élaboré sur les aides d’État par la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers.

Proposition n° 25 : Améliorer l’accessibilité du droit de l’Union en créant des portails internet thématiques traitant à la fois des questions de droit de l’Union et de droit interne sur les principaux champs de l’action économique.

Vecteur : action du Gouvernement (ministres concernés)

2.2.3. La montée en puissance d’autres normes internationales

2.2.3.1. L’emprise croissante du droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en matière économique

Ratifiée en 1974 et pouvant donner lieu à des recours directs depuis 1981, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après convention EDH) n’est pas une déclaration économique353. Elle s’est néanmoins imposée à l’action économique des personnes publiques par les exigences nouvelles que la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après Cour EDH) a dégagées.

351. Communication (2015) 215 Améliorer la réglementation pour obtenir de meilleurs ré-sultats – Un enjeu prioritaire pour l’UE et communication (2015) 216 Proposition d’accord interinstitutionnel relatif à l’amélioration de la réglementation. V. en outre sur ce sujet, la contribution de F. Timmermans, infra p. 275.

352. La pratique des liens sur Légifrance n’est pas suffisante à cet égard.

353. Le terme n’y figure qu’une fois, dans l’expression « bien-être économique du pays », à propos des cas dans lesquels les ingérences d’une autorité publique dans la vie privée et familiale peuvent être admises (art. 8).

„ La protection conventionnelle du droit de propriété

Rares sont les conventions internationales abordant le droit de propriété. Même s’agissant de la Convention EDH, ce droit est longtemps resté assez discret. Pour des raisons diplomatiques, il ne figure pas dans le texte initial du 4 novembre 1950 et n’apparaît, d’ailleurs de manière un peu elliptique, que dans le 1er protocole additionnel à la convention adopté le 20 mars 1952.

La Cour elle-même n’a affirmé qu’en 1979 que ce protocole « garantit en substance le droit de propriété »354 et n’a précisé qu’en 1982 les exigences qui en découlent355 et qui lui confèrent une portée concrète pour les opérateurs économiques356 : elle est ainsi « parvenue à faire de ce texte flou et peu contraignant une disposition économique majeure dont les États doivent nécessairement tenir compte dans un cadre de plus en plus contraint par l’interprétation jurisprudentielle »357.

La protection conventionnelle du droit de propriété est proche de celle prévue par notre droit interne, notamment par la distinction faite entre les restrictions (réglementation de l’usage des biens) et les privations. La Cour s’attache toutefois de moins à moins à cette distinction, notamment en présence d’atteintes difficilement classables dans l’une ou l’autre catégorie et qu’elle qualifie alors d’atteinte à la substance du droit de propriété au sens du premier alinéa de l’article 1er du premier protocole.

La jurisprudence de la Cour EDH sur le droit de propriété lui donne un large champ d’application, notamment par son approche autonome et extensive de la notion de bien au sens de la convention, où elle fait entrer l’ensemble des éléments du patrimoine, y compris incorporel, et tant les « ‘biens actuels’ que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une ‘espérance légitime’ d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété »358, protection particulièrement précieuse pour les entreprises, d’autant que l’article 1er du Premier protocole est la seule stipulation de la Conv. EDH à mentionner expressément les personnes morales parmi ses bénéficiaires359. Cette extension a des implications concrètes pour l’action économique des personnes publiques, dont elle affecte la liberté de revenir sur des autorisations d’exercice d’une profession360, un avantage fiscal361 ou une occupation du domaine public362, de retarder le remboursement d’une TVA363 ou de ne pas tirer les 354. CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, req. 6833/74.

355. CEDH, 23 septembre 1982, Sporrong et Lonnroth c. Suède, req. 7151/75.

356. F. Sudre « Le dynamisme interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme », JCP, G 2001, I, 335.

357. M. Lascombe, Code constitutionnel et des droits fondamentaux, Dalloz, 2014, p. 2446.

358. CEDH, 12 juillet 2001, Prince Adam II, req. n° 42527/98; Kopecky c. Slovaquie du 28 sep-tembre 2004, n° 44912/98.

359. V. R. Dumas, E. Garaud, « CEDH et droit des affaires », F. Lefebvre 2008, n° 1190. L’article 10 mentionne néanmoins les « entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision ».

360. CEDH, 7 juillet 1989, Tre traktörer Aktiebolag c. Suède, n° 10873/84 ; CEDH 18 février 1991, Fredin c. Suède, no 12033/86.

361. CE, 9 mai 2012, Min du budget c. Sté EPI, n° 308996.

362. CEDH, 29 mars 2010, Brosset-Triboulet c. France, n° 34078/02.

363. CEDH, 16 avril 2002, SA Dangeville c. France, n° 36677/97.

conséquences d’une autorisation audiovisuelle en termes de droit d’émission364. Elle restreint aussi leur droit à adopter des dispositifs rétroactifs ou d’application immédiate, et ce, indépendamment même de la question particulière des validations législatives365. Cette jurisprudence peut enfin obliger l’État à assurer une protection contre les atteintes à la propriété par la prévention des risques industriels366 ou naturels367.

Ce droit peut se combiner avec le principe de non discrimination qui est plus exigeant que le principe d’égalité applicable en droit interne puisque le premier oblige, dans certains cas, à des différences de traitement368.

Les questions relatives à l’application de la Convention EDH font désormais l’objet d’une étude approfondie lors de l’examen des projets de texte soumis au Conseil d’État dans le domaine de l’action économique des personnes publiques. Pour les autres textes, il appartient aux personnes publiques de procéder à cet examen et de demander que le Conseil d’État soit saisi des questions les plus délicates.

Proposition n° 26 : Permettre aux personnes publiques de mieux prendre en compte la jurisprudence de la CEDH lorsqu’elles agissent dans le domaine économique en mettant à leur disposition des outils d’information adaptés ; saisir le Conseil d’État sur les questions de droit présentant une difficulté particulière.

Vecteur : action du Gouvernement ; saisine du Conseil d’État (SGAE, ministres concernés, Conseil d’État)

„ Un droit processuel qui pèse sur la répression économique

Bien que la jurisprudence de la Cour EDH en matière de droit processuel ne soit pas spécifique à l’action économique, son retentissement dans le domaine de l’action économique est important et susceptible de limiter fortement les marges de liberté des personnes publiques.

Retenant une interprétation extensive du champ d’application du droit au procès équitable consacré par l’article 6-1 de la convention, la Cour, se séparant en cela de

364. CEDH, 7 juin 2012, Centro europa 7 SRL et di Stefano c. Italie, n° 38433/09.

365. CEDH, 6 octobre 2005, Draon c. France, n° 1513/03 ; CEDH, 14 février 2006, Lecar-pentier et autre c. France n° 67847/01 ; CEDH, 9 janvier 2007, Aubert et autres c. France n° 31501/03 ; CEDH, 23 juillet 2009 Joubert c. France, n° 30345/05. Le Conseil constitution-nel a depuis fait converger sa jurisprudence avec celle de la Cour (v. décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014 et la note du Conseil constitutionnel de mars 2014 mise en ligne sur son site, sur le contrôle des validations législatives).

366. CEDH, 18 juin 2002, Öneryildiz c. Turquie, n° 48939/99.

367. CEDH, 20 mars 2008, Budayeva c. Russie, n° 15339/02.

368. Article 14 de la Convention. La Cour affirme que « dans certaines circonstances, l’ab-sence d’un traitement différencié pour corriger une inégalité peut en soi emporter violation de cette disposition » (v. rappelant cette position : CEDH, 16 mars 2010, Orsus et autres c.

Croatie, n° 15766/03, § 149).

la position traditionnellement retenue par le juge interne369, a appliqué certaines des exigences qui en découlent aux procédures administratives de sanction, avec des implications, notamment en termes d’impartialité des régulateurs dotés de pouvoirs de sanction. Cette jurisprudence, appliquée par le juge administratif et judiciaire auxquels elle s’imposait, a ensuite été déclinée par le juge constitutionnel, parachevant ainsi le mouvement de mise en conformité des procédures répressives des régulateurs, notamment en ce qui concerne la séparation des fonctions de poursuite et de jugement370.

Autre jurisprudence intéressant le pouvoir de sanction des régulateurs, mais cette fois sur le terrain du cumul des poursuites administratives et pénales (principe du non bis in idem), la Cour EDH a retenu une interprétation extensive de l’article 4 du protocole n° 7 annexé à la convention qu’elle a regardé comme prohibant ce type de cumul dans le cas du régulateur boursier italien, écartant à cette fin la réserve faite par la République italienne lors de la ratification de ce protocole371. Cette décision intéresse la France compte tenu de la rédaction analogue de sa réserve à ce même protocole et de la solution inverse retenue par la Cour de cassation372. Le Conseil constitutionnel en a tiré le premier les conséquences au regard de ses propres normes de référence, en prohibant ce cumul dans le cas des délits et manquements d’initiés373.

La jurisprudence de la Cour EDH a par ailleurs influé sur le pouvoir de contrôle de l’administration dans le champ économique, en jugeant contraire aux exigences de la convention le fait que les visites domiciliaires faites à des fins fiscales ne puissent être contestées devant le juge d’appel374, recours que permet désormais la loi.

2.2.3.2. L’essor d’autres normes internationales intéressant l’action

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