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Le débat spécifique autour de la mesure globale qu’est le PIB

n’exclut pas un pilotage d’ensemble

1.3.3. Disposer d’évaluations précises des performances globales

1.3.3.2. Le débat spécifique autour de la mesure globale qu’est le PIB

„ Une critique croissante du PIB comme mesure globale de la performance Le « produit intérieur brut » mesure la production totale des unités résidentes.

Égal, à la fois, à la somme des productions, des dépenses et des revenus, il est plus fréquemment défini comme la somme des valeurs ajoutées des opérateurs résidents222. Ce concept a émergé progressivement dans les années trente aux États-Unis, alors à la recherche d’une mesure synthétique de l’activité économique, avant de se diffuser dans la plupart des pays développés après guerre, avec l’essor de la comptabilité nationale223. Pour assurer sa comparabilité au niveau international, il est défini dans le cadre du système de comptabilité nationale des Nations Unies (SCN 2008) ; pour les États membres de l’Union européenne, c’est le système européen des comptes (SEC 2010) qui joue ce rôle224.

Cette unité de mesure de la richesse produite par un pays a fait l’objet d’importantes critiques dans la période récente. Pour approfondir ces questions, une commission sur les mesures des performances et du progrès économique et social a été réunie à l’initiative du Président de la République en 2008, sous l’égide de J. Stiglitz, A. Sen et J.-P. Fitoussi. Son rapport, rendu en 2009, fait une douzaine de propositions pour améliorer le PIB comme outil de mesure de la performance économique tout en lui adjoignant d’autres indicateurs complémentaires.

„ Des évolutions possibles du PIB lui-même

Le PIB fait d’abord l’objet de critiques techniques sur le terrain économique. Il a été relevé qu’il ne mesure que les flux de richesse et non les stocks. Il ignore ainsi la question du patrimoine, aussi bien dans son volet actif (les biens et richesses accumulés) que passif (la dette) et livre donc une indication biaisée de la situation d’un pays en faisant par exemple apparaître une « croissance » alors que la valeur de son patrimoine a pu s’effondrer faute d’investissements ou alors que sa dette explose. Par ailleurs, il ne sait pas mesurer « ce qui n’a pas de prix »225 et peine donc à valoriser les services non marchands, qu’il s’agisse des travaux domestiques ou des services publics.

Il est possible de répondre aux critiques concernant la dimension économique du PIB sans le remettre en cause radicalement. D’autres agrégats, comme celui de l’investissement ou de la dette, permettent de compléter assez aisément ses lacunes. En ce qui concerne les flux de richesse eux-mêmes, les règles de calcul du PIB peuvent être modifiées pour tenir compte de ses insuffisances. Elles ne peuvent toutefois évoluer que dans un cadre international ou européen. C’est 222. V. fiche : « Produit intérieur brut aux prix du marché / PIB » (site de l’INSEE).

223. V. not. F. Fourquet, Les comptes de la puissance, Histoire de la comptabilité nationale et du plan, Encres, 1980 ; A. Vanoli, Une histoire de la comptabilité nationale, La découverte, Repères, 2002, cités par D. Méda, « Comment le PIB a pris le pouvoir », Revue Projet, n° 331, 2012/6, pp. 14-21.

224. Règlement (UE) n° 549/2013 du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l’Union européenne.

225. J.-L. Tavernier et Ph. Cuneo, « On ne sait pas mesurer ce qui n’a pas de prix », Revue projet, n° 331, 2012/6, pp 22-25.

ainsi, par exemple, qu’a été décidée dans le cadre du système de comptabilité européen « SEC 2010 » l’intégration à l’avenir de l’économie « souterraine ».

„ L’adjonction d’autres indicateurs

Les secondes critiques, plus politiques, portent sur le positionnement même du PIB qui ne mesure que les résultats économiques, sans tenir compte de l’impact environnemental ou des inégalités. Ces critiques, qui se rattachent à une thématique un peu différente de la première en se focalisant sur la question de la soutenabilité de la croissance et la qualité de vie ressentie, ont eu des conséquences non négligeables.

Elles ont d’abord amené l’INSEE à calculer à partir de 2010 de nouveaux indicateurs s’inspirant directement de ces recommandations ; elles ont par ailleurs contribué à inspirer une démarche de la Commission européenne226 ainsi que la finalisation, par l’OCDE, d’indicateurs de « vivre mieux »227.

Produit intérieur brut (PIB) et nouveaux indicateurs de prospérité (NIP) – Approches étrangères

Si un grand nombre de pays ne semblent pas connaître de réel débat sur le PIB (États-Unis, Canada, Mexique, Corée du Sud, Singapour, Russie, Pologne, Afrique du Sud), ce débat a pris ailleurs une certaine ampleur dans le prolongement du rapport Stiglitz, notamment en Europe.

En Allemagne, une commission spéciale du Bundestag a élaboré 9 indicateurs de prospérité mais les modalités selon lesquelles ils pourraient être pris en compte restent à préciser avec le Gouvernement fédéral. Au Royaume-Uni, un programme a été initié en 2011, comportant des indicateurs de bien-être quantitatifs mais aussi des indicateurs plus subjectifs. Ces indicateurs sont mis en ligne sur un site internet et ont une portée essentiellement politique. En Italie, un rapport est publié tous les ans sur le « bien-être équitable et soutenable » mesuré à partir de 134 indicateurs regroupés en 12 domaines.

Ce débat n’est toutefois pas propre au continent européen. Israël a élaboré une série d’indicateurs permettant d’évaluer la qualité de vie, le bien-être et l’état socio-économique du pays. L’Australie a décidé de publier d’autres agrégats que le PIB pour mesurer le bien être, notamment en matière environnementale ou sociale. En Chine, la place de la croissance du PIB recule dans l’évaluation des dirigeants chinois par le parti communiste et une circulaire de 2013 appelle à la création d’indicateurs plus pertinents et individualisés, notamment en matière de développement soutenable, d’harmonie sociale ou de protection de l’environnement. Le produit régional brut et son taux de croissance ne devraient plus être les indicateurs principaux.

226. Communication COM (2009) 433 du 20 août 2009 de la commission européenne, Le PIB et Au-delà : mesurer le progrès dans un monde en mutation.

227. V. not. sur ces travaux, le rapport Comment va la vie ? (année 2013), OCDE, 12 dé-cembre 2014.

Alors qu’elle avait été à l’initiative de certaines de ces réflexions, ce n’est qu’à la fin de l’année 2013 que la France a décidé d’introduire officiellement ces nouveaux indicateurs dans les textes applicables. Une première proposition de loi organique228 a été retirée au profit d’une proposition de loi ordinaire, devenue la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015. L’article unique de cette loi prévoit que : « Le Gouvernement remet annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et l’année en cours et de celles envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement ».

Contrairement au premier état du texte, la loi ne définit pas elle-même quels doivent être les indicateurs, afin notamment de pouvoir tenir compte des travaux engagés sur ce point par le CESE et France Stratégie.

Leurs propositions ont été rendues publiques le 22 juin 2015 et portent sur 10 indicateurs, dont certains ont un caractère proprement économique : inégalité de revenus (rapport de la masse des revenus détenus par les 10 % les plus riches à celle des 10 % les plus pauvres) ; climat-énergie (empreinte carbone) ; investissement (actifs productifs, physiques et incorporels, en % du Produit Intérieur Net) ; travail-emploi (taux d’travail-emploi de la population active) ; éducation (taux de diplômés de l’enseignement supérieur parmi les 25-34 ans), santé (espérance de vie en bonne santé à la naissance) ; biodiversité (indice d’abondance des oiseaux) ; capital financier (dette des différents agents économiques non financiers, administrations publiques, entreprises, ménages, rapportée au PIB) ; gestion des ressources (taux de recyclage des déchets) ; bien-être (indicateur de satisfaction à l’égard de la vie229).

Si la discussion de la proposition de loi a donné lieu à un très large consensus sur son principe, elle a aussi montré des hésitations sur les modalités pratiques d’insertion de ces nouveaux indicateurs dans les procédures parlementaires, notamment en ce qui concerne le choix de présenter un rapport permettant de les prendre en compte concomitamment au dépôt du projet de loi de finances, mais indépendamment de l’évaluation préalable de la loi de finances.

La question des voies et moyens d’une prise en compte effective de ces nouveaux indicateurs pour compléter l’appréhension des performances économiques reste donc posée. La voie d’une insertion dans l’étude d’impact de la loi de finances mériterait d’être expérimentée. Les objectifs correspondant à ces nouveaux indicateurs auraient en outre naturellement vocation à figurer dans la stratégie économique nationale qui a été proposée (cf. proposition 12 supra).

228. Proposition de loi organique n° 1628, portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse, déposée le 11 décembre 2013 retirée le 23 janvier 2014.

229. Indicateur collecté par Gallup World Poll et utilisé par l’OCDE.

Proposition n° 14 : Moderniser le contenu et l’utilisation des agrégats économiques

1) demander à l’INSEE de préciser le mode d’emploi des principaux agrégats économiques en tenant compte, à la fois, des usages envisagés et des marges d’appréciation liées aux précautions scientifiques nécessaires à l’élaboration de ce document ;

Vecteur : action du Gouvernement (INSEE) 2) engager une réflexion sur la manière de valoriser dans le calcul du PIB les activités des services non marchands, notamment celles des services publics, non pas à leur prix de revient mais en tenant compte de leur valeur ajoutée effective et monétarisée ;

Vecteur : action du Gouvernement (INSEE) 3) définir le contenu des nouveaux indicateurs mentionnés par la loi du 13 avril 2015 en tenant compte des objectifs fixés dans le document de stratégie économique nationale (voir proposition n°12) ;

Vecteur : action du Gouvernement (INSEE et France Stratégie) 4) intégrer les résultats de ces nouveaux indicateurs dans l’évaluation préalable des lois financières.

Vecteur : évaluations préalables des lois financières (ministre des finances et des comptes publics,

ministre des affaires sociales et de la santé)

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