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Des travaux plus récents envisagent de travailler les oracles delphiques au regard des écrivains qui les ont transmis : trois publications se chargent de reprendre ce que Crahay a fait dans les années 1950, quand il s’est intéressé aux rapports entre l’œuvre historique d’Hérodote et la transmission oraculaire delphique. Continuateurs des grands compilateurs de l’Antiquité, ils mettent en relation oracles et écrivains, Line Overmark Juul et Pausanias, Aude Busine et Porphyre, Pietro Cappelletto et Mnaséas

Cappelletto (2003) se fonde sur les traces de l’œuvre du grammairien Mnaséas, conservée par morceaux dans des scholies, des lexiques, des travaux de grammairiens, pour envisager de donner de cette œuvre perdue un panorama suffisamment clair et en comprendre ainsi les finalités. « Gran parte dei frammenti proviene dai corpora scoliografici, dai lessici, dai grammatici e dalle raccolte paremiografiche, mentre si conservano solo pochissime citazioni da autori, certamente non dovute a lettura diretta dell’opera. » (2003 : 19) Il fait un travail de collection, en récupérant 61 fragments de l’œuvre de Mnaséas, accompagnés de

36 Nous ne présenterons pas ici les recueils des Anglais Parke et Wormell (1956) et de l’Américain Fontenrose

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commentaires, les uns appartenant à un ouvrage de géographie, une Périégèse, les autres à une collection oraculaire, consacrée à des oracles d’origines diverses et dont les finalités ne sont pas clairement établies. Nous en ferons une étude plus détaillée dans la deuxième partie de notre recherche.

Busine (2005) écrit un essai sur les paroles d’Apollon, dont l’objectif est d’étudier l'oracle d'Apollon dans les provinces orientales de l'Empire Romain pendant la période de l’apparition, puis de l'implantation du christianisme, du IIème au VIème siècles de notre ère.

Nous nous éloignons de notre seule préoccupation delphique, mais les conclusions données sur les contextes et le fonctionnement de l’oracle peuvent éclairer certains aspects du sanctuaire phocidien. Comme pour Delphes, les sources émanent de la tradition directe des inscriptions et indirecte des textes de la littérature qui cite les oracles. Comme à Delphes, la parole d’Apollon est d’abord celle d’un « dieu citoyen», puisque l'oracle appartient au cadre de la cité grecque; c’est aussi la parole d'un « dieu prophète » : la figure d’Apollon évolue constamment de celle du dieu citoyen vers celle du dieu prophète. Les sanctuaires de Delphes, de Didymes et de Claros sont encore en activité à l'époque impériale romaine: les mêmes questions se posent sur leur fonctionnement dans le cadre de la cité, la question de l'authenticité des oracles (rédigés au sein des sanctuaires ou attribués post eventum à Apollon), la production du texte sacré, le mode d'inspiration divine, le personnel oraculaire, l'émission et l'archivage de l'oracle, et la clientèle des sanctuaires. Apollon est bien un dieu citoyen, quand les fidèles venus le consulter participent à leur manière à la gloire de leur cité. Busine fait remarquer que les motifs de la consultation évoluent, durant cette période, passant d'un mode civique (ce sont les préoccupations sociales et politiques) à un mode privé (ce sont les questions familiales, intimes et propres à la vie courante), puis à un mode d'ordre théologique (qui est Dieu, qu'est-ce qu'un dieu?) ; ils reflètent ainsi une conception de plus en plus personnelle du divin. Ces dernières questions s'inscrivent dans un contexte plus large de religiosité privée répandue aux premiers siècles de notre ère car elles ne s'adressent pas simplement au dieu de la mantique ; ainsi s’opère un changement de style de l'expérience religieuse, fondé sur la conviction que les entités divines sont les plus à même de divulguer à l'homme les secrets sur le divin. Les oracles peuvent expliquer un phénomène incompris, en expliquant le présent, mais aussi continuer à prescrire, tout en encourageant une nouvelle forme épurée du culte païen, centrée sur la prière et la contemplation. C’est dans ce contexte que se situe la vocation pour ainsi dire philosophique de l’oracle : tel est le cas des oracles réunis par Porphyre dans la Philosophie tirée des oracles ou dans la Vie de Plotin.

Juul (2010) se fonde à la fois sur l’œuvre de Pausanias, sur les catalogues d’oracles delphiques de Parke et Wormell et de Fontenrose. Elle propose un classement comparatif, à partir d’un catalogue qu’elle établit elle-même des oracles (soit cités intégralement, soit simplement paraphrasés) découverts dans les textes de Pausanias. Le but de cet ouvrage est de rassembler toutes les réponses oraculaires qui se trouvent chez Pausanias et de les étudier selon le modèle des recherches qui ont été consacrées à de tels textes chez Hérodote, par exemple. L’analyse empirique de Juul se consacre à la forme des récits oraculaires, présents dans l’œuvre de Pausanias, de quelque origine qu’ils soient, fondée sur un catalogue de 173 occurrences, présentées selon le modèle jakobsien de la communication: destinateur, destinataire, contexte, message, contact, code. Son analyse reprend des conclusions déjà faites auparavant, notamment que les récits oraculaires présentent des signes évidents de

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composition orale. Durant son voyage dans le monde grec, Pausanias a sans doute rencontré, à certains endroits, une tradition orale vivante, ce qui implique que plusieurs récits oraculaires présents dans son œuvre sont la première version écrite d’une transmission orale. Juul essaie de replacer les oracles conservés dans le cadre de la société gréco-romaine du IIème siècle de

notre ère. Les récits oraculaires renvoient en même temps à une tradition passée historique en vue de construire une identité présente, qui doit assurer le futur de la communauté. On y retrouve l’équation qui met à égalité passé, présent, futur : l’oracle sert de médiation temporelle entre le monde des hommes et le monde de dieux. Pausanias, quant à lui, les utilise pour construire (ou peut-être reconstruire) une identité locale (perdue, souhaitée, revisitée) dans les différentes πόλεις qu’il visite et qu’il décrit dans son ouvrage. L’intérêt de Pausanias pour les sujets religieux est particulièrement fort pour plusieurs raisons. Il dit en effet qu’il a participé lui-même à certains cultes et à des rites religieux. Il se considère donc comme un expert et un témoin fidèle des textes qu’il rapporte. Voilà pourquoi il accorde de l’autorité à ces témoignages religieux, vivants, que sont les oracles.

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